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"Un sentiment de vie", formidable don de Valérie Dréville à Vidy

Valérie Dreville dans la pièce "Un sentiment de vie". [DR - Jean-Louis Fernandez]
L'invitée: Valérie Dreville, "Un sentiment de vie" / Vertigo / 23 min. / le 6 février 2023
A Vidy-Lausanne jusqu'au 11 février, Emilie Charriot présente "Un sentiment de vie" de Claudine Galea avec la magnétique comédienne Valérie Dréville. Un seul en scène pour une lettre d'amour d’une rare intensité. Celle d'une fille à son père, d'une écrivaine aux mots qui disent la vie.

Une histoire d'amour. Une histoire entre une fille et son père. Malgré tout ce qui sépare, malgré les fractures et malgré les mots que l'on n'a pas pu ou su dire au bon moment. Quand ce père était encore vivant, quand cette fille le conduisait régulièrement à l'hôpital pour ses traitements.

Une histoire française aussi. Donc une histoire de guerre, de colonie, de déracinement. La libération de Paris, l'Indochine, l'Algérie et l'exil. Quitter son pays méditerranéen pour se retrouver dans un pays qui s'appelle aussi la France et que l'on ne connaît pas.

Une histoire de littérature et de théâtre. Sur la force de ces deux-là à raconter la vie, le monde et notre histoire. La petite, celle qui se vit au niveau des gens. A l'échelle d'une famille. Comme celle de Claudine Galea, fille d'un ancien militaire pied-noir qui a refusé de se battre en Algérie pour ne pas tirer sur les siens, fille d'un père avec lequel il n'était pas facile de parler de politique et encore moins d'amour. Fille d'une maman anticolonialiste qui avait épousé un anti-communiste.

Un texte puissant et magnétique

"Un sentiment de vie" est un texte dense, puissant, magnétique. Il parle aussi d'une relation toute particulière entre Claudine Galea, autrice française, découvrant le texte d'un auteur, allemand, celui-là, Falk Richter. Lui parle aussi de son papa, du poids de l'Histoire (celle avec un grand H), du lien familial et de la difficulté de s'aimer malgré tout.

Il faut des orfèvres pour porter sur scène un texte de cet acabit. D'abord une Emilie Charriot que les mots transportent et qui a ce don de ciseler ses mises en scène au plus près du texte. Aujourd'hui "Un sentiment de vie". Il y a peu "Passion simple" d'Annie Ernaux, "Outrage au public" de Peter Handke ou encore "Ivanov" de Tchekhov. Ensuite Valérie Dréville qui n'a de cesse, comme interprète, de chercher le sens des textes et la bonne voix pour les adresser au public que cela soit avec les metteurs en scène Antoine Vitez, Alain Françon ou Claude Régy - autant de légendes du théâtre français - qu'avec Emilie Charriot laquelle s'inscrit dans cette lignée amoureuse des mots.

Une lettre d'amour

"Un sentiment de vie" est une lettre d'amour. Pour cela, il faut aussi une salle de théâtre aux lumières restées allumées afin que les regards se croisent et que les phrases se transmettent. Le monologue est un art d'équilibriste. On retient son souffle, on suit le funambule jusqu'au bout, suspendu à ses balancements, ses inflexions, son corps et son souffle.

"Un Sentiment de vie" se joue ainsi: sur un fil. Ni trop tendu, ni trop souple. Juste comme il se doit. Bravo.

Thierry Sartoretti/ld

"Un sentiment de vie" à voir au théâtre Vidy-Lausanne jusqu'au 11 février 2023

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