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"La règle du jeu", comédie des faux-culs et des cocus

"La règle du jeu" de Jean Renoir d'après Musset et Beaumarchais sur la scène du Théâtre de Carouge dans la mise en scène de Robert Sandoz. [Théâtre de Carouge - Guillaume Perret]
La Règle du Jeu / Vertigo / 6 min. / le 30 janvier 2023
Au Théâtre de Carouge jusqu’au 10 mars, puis en tournée romande, Robert Sandoz adapte avec brio le génial film de Jean Renoir, "La règle du jeu". En Sologne, on chasse la bécasse, on court le jupon et la cravate et ce joli monde file à la catastrophe.

Avis de tempête pour les lièvres et les bécasses. Monsieur le Marquis de la Chesnaye est dans la place! Avec ses fusils, ses invités, ses gens et son goût d'aristo pour les massacres à la chevrotine. Le temps est idéal pour une partie de chasse en Sologne, précédée d’un bal masqué au château.

L’époque - en revanche - est moins favorable à la gaudriole. Nous sommes en 1939 et la Seconde Guerre mondiale a déjà débuté à l’Est. Monsieur le Marquis a la tête ailleurs. Le plus important, c’est de se débarrasser de son amante Geneviève, écarter le chevalier servant de sa chère épouse Christine et tirer autant de coups qu’il en plaira à Monsieur le Marquis.

Incompréhension et scandale en 1939

Voici résumé "La règle du jeu", formidable film de Jean Renoir, le réalisateur de "La grande illusion" et de "La bête humaine". Ses deux derniers longs métrages ont été des triomphes populaires. "La règle du jeu", sorti en cette même année 1939, provoque incompréhension et scandale. Des spectateurs balancent des journaux enflammés dans les salles de cinéma (à une époque, il faut le rappeler où une bobine de film est un combustible très réactif). On crie à l’immoralité de cette histoire de badinage dans la Haute. Renoir est accusé de trahir ses idéaux communistes.

"La règle du jeu" perd aussi le public avec ce récit sans héros, sans premier rôle et surtout ce choix audacieux: partir du registre de la comédie pour terminer dans celui de la tragédie. L’Histoire a depuis révisé son jugement, "La règle du jeu" est bel et bien LE grand chef-d’œuvre de Jean Renoir.

Extraordinaire sarabande

Mariama Sylla et Brigitte Rosset dans "La règle du jeu" sur la scène du Théâtre de Carouge dans la mise en scène de Robert Sandoz. [Théâtre de Carouge - Guillaume Perret]
Mariama Sylla et Brigitte Rosset dans "La règle du jeu" sur la scène du Théâtre de Carouge dans la mise en scène de Robert Sandoz. [Théâtre de Carouge - Guillaume Perret]

Voici pour le cinéma. Adieu noir et blanc, place aux couleurs du théâtre. Le metteur en scène Robert Sandoz se plonge à son tour dans cette "Règle du jeu" comptant dix-sept protagonistes toutes et tous jouant au chat et à la souris, séduisant, flirtant, trompant, rompant, renouant, le temps d’un week-end de chasse.

Engager dix-sept comédiennes et comédiens? Le budget ne le permet pas. Alors, allons-y avec un quatuor! Aux formidables Lionel Frésard, Brigitte Rosset, Mariama Sylla et Diego Todeschini d’enfiler toutes les robes, toutes les vestes, tous les accents, tous les métiers: du garde-chasse (cocu) au Marquis (cocu et trompeur), de l’intrigante (trompée et trompeuse) à la Marquise (cocue vengeresse).

Au Théâtre de Carouge, "La règle du jeu" se transforme en une extraordinaire sarabande. Ça courtise sur le plateau et ça court en coulisses. Chacun et chacune endosse une dizaine de rôles, s’échange les personnages et les personnalités. C’est époustouflant et virtuose, machine infernale à jouer en parfait accord avec cette intrigue où tout le monde porte un masque: celui des convenances (la fameuse règle du jeu) ou celui du bal costumé.

"Nos inconséquences ont des conséquences"

On se régale avec cette version théâtrale arbitrée par Robert Sandoz. On comprend aussi les hommages au théâtre du cinéaste Jean Renoir inspiré naguère par "Les caprices de Marianne" de Musset et "Le mariage de Figaro" de Beaumarchais, ces comédies de l’intrigue amoureuse et du déguisement.

"Renoir nous rappelle que toutes nos inconséquences ont des conséquences", résume Robert Sandoz. Cette fringale d’individus obnubilés par leur satisfaction personnelle s’achèvera sur une note morbide. Un "regrettable accident", tranche Monsieur le Marquis. "Danser sur un volcan", disait un fan de "La règle du jeu", rappelant qu’à l’extérieur de ce terrain à badinage, le monde courrait déjà à sa perte.

Au cinéma, Monsieur le Marquis collectionnait les oiseaux mécaniques et autres automates. Au théâtre, Monsieur le Marquis accumule les postes radio vintage. Tel Cassandre, ils annoncent le pire à venir et personne ne leur prête attention.

Thierry Sartoretti/olhor

"La règle du jeu", Théâtre de Carouge, jusqu’au 10 mars. Puis en tournée: Théâtre du Passage, Neuchâtel, le 12 mars; Reflet, Vevey, le 14 mars; Nuithonie, Villars-sur-Glâne, le 21 mars; Stadttheater, Berne, le 23 mars; Théâtre du Jura, Delémont, les 27 et 28 mars; Théâtre du Jorat, Mézières, le 23 juin.

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