Publié

Rideau tiré pour la compagnie de danse romande Neopost

Le monde de la danse romande est touché par la vague #Metoo et la prise de conscience récente des artistes des arts de la scène sur les questions de harcèlement moral ou sexuel. [Depositphotos]
Rideau tiré pour la compagnie de danse romande Neopost / Vertigo / 4 min. / le 18 octobre 2022
Suite à une accusation de harcèlement sexuel, le chorégraphe genevois Foofwa d’Imobilité, Prix suisse de danseur exceptionnel 2013, dissout sa compagnie et annule ses tournées. Explications.

L’avis barre la page d’accueil du site internet de la compagnie: "(…) Foofwa et le comité de l’Association Cie Neopost Foofwa ont décidé, d’un commun accord et à regret, de cesser l’activité de la compagnie et de dissoudre l’association." Cette annonce met fin à vingt années d’activités menées par une figure marquante de la danse contemporaine romande.

Prix de Lausanne en 1987, danseur au sein de la compagnie new-yorkaise de Merce Cunningham puis chorégraphe indépendant récompensé par un Prix suisse de "danseur exceptionnel" en 2013, le Genevois Foofwa d’Imobilité raccroche. La raison: des situations de malaise ressenties par une danseuse dans sa relation de travail avec le chorégraphe et directeur de la compagnie.

Le monde de la danse romande est touché par la vague #MeToo et la prise de conscience récente des artistes des arts de la scène sur les questions de harcèlement moral ou sexuel. Dans ce contexte, après la compagnie Alias du chorégraphe Guilherme Botelho en 2021 et l’audit mené sur le Béjart Ballet Lausanne et sa direction artistique cette même année 2021, c’est la deuxième compagnie de danse suisse à cesser ses activités. Ces trois cas ne relèvent cependant pas du même degré de gravité.

Un geste et des propos inadéquats

De quoi parle-t-on dans le cas présent? Selon nos informations, les parties concernées ont signé avec le soutien du Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS) une convention impliquant la confidentialité. La RTS n’a donc pas connaissance des détails exacts qui relèvent de la sphère privée des deux personnes concernées. Il s’agirait d’un geste, de propos et de regards inadéquats. Les faits ne seraient aucunement comparables en gravité avec la condamnation du chorégraphe genevois Guilherme Botelho pour "attouchement sexuels".

>> A lire aussi : Genève lance une enquête sur le harcèlement sexuel au sein de la compagnie Alias

En 2019, les faits ont d’abord fait l’objet d’une médiation à l’interne de cette compagnie qui ne compte à l’année que trois personnes. En décembre 2021, la danseuse a toutefois ressenti le besoin de faire remonter la problématique au comité de l’association chapeautant la compagnie. Une enquête a alors été mandatée par le comité de l’association Neopost au début de cette année auprès d’une personne externe spécialisée dans les gestions de conflits au travail dans les arts de la scène.

Pour s’assurer qu'il ne s’agit pas d’une problématique récurrente, une dizaine de personnes ayant travaillé avec la compagnie, dont la danseuse, ont été entendues. Selon le comité de l’association, l’enquête a écarté toute dimension pénale, assimilé ces faits de harcèlement sexuel à de la "maladresse" plutôt qu'à de l’abus et n’a pas relevé de dysfonctionnement systématique au sein de la compagnie.

Rumeurs et stigmatisation

A la réception des conclusions de l’enquête, le comité de la compagnie a prévenu les autorités subventionnaires (Ville de Genève, Etat de Genève, Pro Helvetia) de même que les instances professionnelles et syndicales, alors que parallèlement le chorégraphe suspendait ses divers mandats. En accord avec les subventionneurs, le solde de la subvention déjà distribuée a été utilisé pour assurer les salaires de la danseuse, accompagnée par le comité dans sa décision de quitter la compagnie Neopost, de même que du troisième membre de la compagnie, non-concerné directement par les faits, mais impacté par les annulations des spectacles prévus.

Selon le communiqué de la compagnie, "rumeurs et stigmatisation ont compliqué les rapports avec les professionnels et le public, compromettant l’avenir de la compagnie." Fragilisée, cette dernière a décidé de se saborder.

Tolérance zéro

Le comité dit avoir suivi une ligne claire: "Tolérance zéro et traitement immédiat de tout signalement de harcèlement d’ordre moral ou sexuel". Il précise avoir "recherché une proportionnalité des sanctions avec les faits tels qu'ils ont été établis et qualifiés." La RTS n’a pas pu obtenir d’information sur les sanctions.

Actuellement, l’ex-danseuse de la compagnie Neopost mène en duo un projet de danse dans l’espace public contre le harcèlement, projet initié par le chorégraphe à l’occasion de la grève des femmes. Quant à Foowfa d’Imobilité, il a créé une performance en solo en hommage à sa mère décédée, également danseuse émérite, dans le cadre de l’exposition d’arts plastiques "Open End 2" au cimetière des Rois à Genève. Le chorégraphe termine par ailleurs d’ici à décembre l’archivage d’une compagnie qui aura marqué la scène romande et contribué au renom international de la danse contemporaine helvétique.

A noter que Ville et Etat de Genève s’exprimeront courant novembre sur les résultats d’une enquête menée dans les milieux de la danse et du théâtre. Un mémorandum devrait notamment permettre d’affiner les notions de harcèlement sexuel et les mesures à prendre en toute proportionnalité en fonction du degré de gravité des cas de harcèlement potentiels.

Thierry Sartoretti/mh

Publié