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"Médée", une tragédie revisitée en mode rock au théâtre

Médée, spectacle itiinérant de la Comédie de Genève.
Guillaume Perret
Comédie de Genève [Comédie de Genève - Guillaume Perret]
Médée / Vertigo / 6 min. / le 3 mai 2021
A Genève sous l’égide de la Comédie jusqu’au 11 mai, puis au TPR de la Chaux-de-Fonds du 12 au 15 mai, "Médée", le classique de Corneille, est électrisé par la musicienne romande Emilie Zoé.

Médée aime Jason. A la folie. Jason ne l’aime plus. Il lui préfère désormais la jeune princesse Créuse. Médée est bannie. Elle qui a déjà trahi et tué par amour pour son Jason. Qui des deux aura la garde des enfants? Personne. Avant de fuir sur un dragon ailé, Médée les tuera, de même que sa rivale. L’impudente a eu l’imprudence d’exiger de Jason la robe de Médée, le seul bien de valeur qui lui reste.

Voici de la tragédie en courant alternatif, tendue comme une corde de guitare Fender. D’un côté, vous avez les beaux alexandrins ciselés par Pierre Corneille. Du millésime 1635 bien déclamé par Françoise Boillat et François-Xavier Fernandez-Cavada, avec la complicité du metteur en scène Guillaume Béguin. De l’autre, vous avez le jeu sous tension permanente d’Emilie Zoé, chanteuse et guitariste rock romande venue rejoindre cette bien nommée compagnie théâtrale, la Compagnie du gaz. Dans le couple Jason&Médée, il y bel et bien de l’eau dans le gaz.

"Médée" se joue à la bohémienne. Là où l’on veut bien l’accueillir. Ce soir-là, c’était au Pneu, un club genevois logé dans un ancien garage. Un autre soir, ce sera dans une discothèque, un atelier de menuiserie, une halle, allez savoir. En tout cas pas dans une salle de théâtre lambda.

"Médée", un spectacle itinérant à voir actuellement en Suisse romande. [Comédie de Genève - Guillaume Perret/Lundi 13]
"Médée", un spectacle itinérant à voir actuellement en Suisse romande. [Comédie de Genève - Guillaume Perret/Lundi 13]

Le carnage peut commencer

Le public se répartit sur deux rangs de chaises à même le béton. Entre les deux, le couple tragique s’affronte sur un espace évoquant la piste de duel. Un haut-parleur délimite chaque extrémité. Le carnage peut commencer. Le verbe est feutré, le résultat pas moins tragique.

Les rôles secondaires ont été coupés. "Médée" n’est plus que l’affrontement d’un couple avec la brève apparition de la rivale. Un parti pris audacieux qui fonctionne. Ce qu’on perd en vers, on le gagne en verve et en temps. Cette "Médée" dépasse à peine l’heure. La comédienne Françoise Boillat joue à la fois Médée et Créuse. Un jeu de perruque permet la transformation. Sapé en costard de marié un brin mafioso, Xavier-François Fernandez-Cavada incarne Jason.

Une énergie très rock’n’roll

Au milieu de la pièce, à l’instant du meurtre de Créuse, ces changements de perruques peuvent apporter une certaine confusion sur le qui dit quoi et qui est qui, mais le fil (du rasoir) ne se perd pas. La pièce est recommandée dès 12 ans. C’est une belle introduction à Corneille. On y a le verbe, la scansion, plus cette énergie très rock’n’roll qui nous rappelle que des couples se déchirant pour une garde d’enfants, ça n’existe pas que chez les Grecs antiques ou au temps de Richelieu.

La rockeuse Emilie Zoé tient parfois le rôle du chœur tragique: elle déclame ses vérités au micro, à l’intention de Jason ou de Médée, reprenant les vers qui de Pollux, l’ami de Jason, qui de Nérine, la suivante de Médée. Elle joue sa partition tel un Neil Young accompagnant en live le film "Dead Man" de Jim Jarmush. Au plus près de l’émotion des personnages: "les vers ont toujours quelque chose de beau et de retenu quand bien même dans cette histoire, Médée tue tout le monde, explique Emilie Zoé. Mon rôle est de rendre à Médée sa part de sauvagerie et de rage."

Thierry Sartoretti/mh

"Médée", d'après Corneille, à Genève jusqu’au 11 mai dans différents lieux. Renseignements sur le site de la Comédie. Dans l’atelier du TPR de la Chaux-de-Fonds, du 12 au 15 mai.

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