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"Lovers, Dogs and Rainbows", un film-spectacle dansant saisissant

Une scène du spectacle "Lovers, Dogs and Rainbows" de Rudi van der Merwe. [grutli.ch - John Hogg]
Théâtre: Lovers, Dogs and Rainbows / Vertigo / 6 min. / le 17 octobre 2019
Chorégraphe et danseur, le Genevois Rudy van der Merwe nous plonge dans son enfance afrikaner. "Lovers, Dogs and Rainbows" est un film-spectacle saisissant à découvrir au Théâtre du Grütli à Genève.

"D'abord, il y eu…" C'est la maman qui parle. Voix afrikaans, débit de femme blanche âgée. Elle se souvient, égrène le nom de tous les chiens qui ont vécu à la ferme, du plus petit cabot au plus gros molosse. La liste est interminable. Et toutes ces morts sont brutales, cruelles, prématurées, sans pitié. Ici la mort est familière et fragille. C'est la vie d'un chien de campagne sud-africaine.

Ensuite, nous remontons le temps. Voici les dernières années de l'apartheid. Commence le récit des employés de la ferme. La bonne, le gardien de moutons, leurs enfants, leurs grands-parents, les cousins… Là aussi, il est question de coups de fusil, de bagarres, de dèche absolue, de maladie inguérissable. Ces témoins-là sont noirs et parlent eux aussi en afrikaans, cette langue héritée des premiers colons hollandais venus occuper et cultiver cette immense portion d'Afrique.

Un spectacle qui prend aux tripes

Rudy van der Merwe est danseur, chorégraphe, Genevois d'origine afrikaner. Il y a longtemps, on l'a vu danser dans la Compagnie Alias. Depuis quelques années, il crée en solo des spectacles qui mêlent danse contemporaine et culture pop.

Dernier né, "Lovers, Dogs and Rainbows" prend aux tripes et se vit d'ailleurs comme un trip. Moitié cinéma façon road movie, moitié performance de danse queer en mode "Priscilla Queen of the Desert", ce film qui plantait des talons aiguilles dans le bush australien. Rudy Van der Merwe nous emporte à Calvinia, dans le pays de son enfance, une terre peuplée de moutons, plantée de rooibos et farcie d'emmerdes si l'on est né noir, pauvre, gay ou simplement plus faible que son voisin.

Un portrait de famille

Que voit-on dans ce spectacle? Un film documentaire. La toile de projection est en broderie. Le même genre de broderie qui orne les fenêtres des anciennes maisons des Boers directement inspirées des traditions néerlandaises. A gauche de l'écran, Rudy van der Merwe et Ivan Blagajevic posent et dansent en sulfureuses drag queens. Parfois dans le film, il y a du chant que miment en live les deux complices selon les rituels des cabarets travestis.

Lana Del Rey, Haendel ou French 79, de la pop, du baroque ou de l'électro-pop composent la bande sonore. Du strass et des roses d'un côté. Des pick-up et des fusils de l'autre. On ne peut pas rêver contraste plus abyssal entre la sophistication urbaine des danseur-se-s et l’âpreté de cette province africaine brûlée par le soleil. Et pourtant, la source est là, Calvinia. Trou perdu protestant et écho ironique à l'actuelle ville de Calvin où vit aujourd'hui Rudy Van der Merwe.

"Lovers, Dogs and Rainbows" est à la fois un portrait de famille, un pan de passé dévoilé, une vision de l'Afrique et une réflexion sur le retour. C'est fort, secouant, touchant, d'une rare sincérité et d'une immense finesse.

Thierry Sartoretti/ld

"Lovers, Dogs and Rainbows", Théâtre Le Grütli à Genève, jusqu'au 19 octobre.

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