Boby Lapointe, as des calembours

Grand Format

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Introduction

Boby Lapointe est né le 16 avril 1922. C'était un dimanche de Pâques qui, cette année aussi, tombe un 16 avril. Quarante-cinq ans après sa mort, le chanteur aux jeux de mots alambiqués garde toute sa fraîcheur potache.

La rive gauche

Commençons par la fin: le 1er juillet 1972, Boby Lapointe meurt. Il a 50 ans.

Il était un peu connu, mais pas trop, et il l'était surtout par un public de connaisseurs, un public qui fréquentait le Paris bohème, le Paris des cabarets, celui de St-Germain-des-Prés. Un monde totalement disparu, dont heureusement il reste quelques traces sonores. Les frères Jacques, Raymond Queneau, Boris Vian, pour n'en citer que quelques-uns, proches de Boby Lapointe, circulent et l'inspirent. Aucun n'ira aussi loin que lui dans l'entreprise de "dynamitage du langage" (comme l'écrit Jacques Donzel).

Les artistes sont mal payés, ils enchaînent les numéros d'un cabaret à l'autre, ils passent parfois la nuit entière à aller d'une petite scène enfumée à la suivante. Des talents éclosent, des personnalités se rencontrent… Boby Lapointe fait notamment la connaissance de Pierre Etaix, le cinéaste-magicien, et de Georges Brassens, à qui une solide amitié le noue. Brassens, qui l'aidera de son mieux, une fois son propre succès venu, en l'engageant – parfois à ses risques et périls – pour faire ses premières parties.

Ce qui le rend unique? Entre autres, son attitude sur scène, sa gestuelle invraisemblable, son sens de la mesure très personnel, et ses textes pratiquement incompréhensibles, sauf si on les a déjà entendus plusieurs fois.

Boby Lapointe en 1965. [AFP]AFP
Vertigo - Publié le 10 avril 2017

Une vie hors du commun

Boby Lapointe a un parcours de vie tout sauf banal: c'était un homme athlétique, mais qui savait très bien coudre (il cousait les robes de sa première femme). Il a tenu un magasin de layettes à Paris, il a été installateur d'antennes TV mais, bien avant tout cela, il s'était échappé d'un camp de travail forcé pendant la Seconde Guerre mondiale, et il était devenu scaphandrier dans le port de Marseille.

Qu'est-ce que ça voulait dire être scaphandrier dans les années 1940/50? C'était une activité hautement à risque, et physiquement très exigeante.

Boby Lapointe était un homme qui vivait tout avec intensité, et qui aimait le danger. Les plongeons entre les rochers, les accidents de voiture, tout cela faisait partie de son quotidien.

Homme de cabaret, chanteur, compositeur, Boby Lapointe était aussi, ça on le sait moins, mathématicien de génie, et inventeur d'une méthode – la méthode bibinaire qui en aurait fait un précurseur de l'informatique!

Bobby Lapointe, debout sur une chaise, sur le plateau de l'émission "Les Raisins verts". [AFP - Jean Pierre Loth]AFP - Jean Pierre Loth
Vertigo - Publié le 11 avril 2017

"C'était un aventurier de l'esprit qui avait sans doute une culture qu'on a sous-estimée, qui avait un intérêt pour toutes les choses de la vie et qui a vécu son aventure jusqu'au bout, avec parfois un sentiment de désespoir, une sorte de désespérance devant l'absurdité de l'existence. À la fois c’était un bouffon mais comme beaucoup de bouffons, il y avait derrière, une profonde mélancolie."

Jacques Donzel

Le cinéma

Boby Lapointe a fait tout un tas de choses dans sa vie, plutôt courte, puisqu'il est mort à 50 ans. On le retrouve même au cinéma! À vrai dire, c'est le cinéma qui le révèle, d'abord en tant que chanteur, puis en tant qu'acteur.

Lui, Boby, né le dimanche de Pâques, grand farceur devant l'éternel, c'est en 1954, grâce au film "Poisson d’avril" – un film totalement tombé dans l'oubli depuis – qu'il va émerger.

Boby Lapointe sur le plateau de tournage des "Raisins verts". [AFP - Jean Pierre Loth]AFP - Jean Pierre Loth
Vertigo - Publié le 12 avril 2017

C'est grâce à Bourvil, qui interprète ce qui va devenir le "grand tube" de Boby: "Aragon et Castille".

Quelques années plus tard, en 1960, c'est François Truffaut qui découvre Boby Lapointe, et qui lui fait faire ses débuts de "chanteur sous-titré", dans le film "Tirez sur le pianiste", avec Charles Aznavour dans le rôle du pianiste.

Boby Lapointe y est immortalisé avec sa gestuelle incroyable et inimitable. Et sous-titré, pour que le public puisse suivre les paroles. C'est la parade que Truffaut a trouvée pour imposer le chanteur à un producteur pas vraiment enthousiaste.

L'affiche du film "Tirez sur le Pianiste". [Les Films de la Pléiade]
L'affiche du film "Tirez sur le Pianiste". [Les Films de la Pléiade]

Et il y a les autres films, qui viendront plus tard (Boby Lapointe apparaît dans 10 films). Les principaux: "Les choses de la vie", "Max et les ferrailleurs", de Claude Sautet, "La veuve Couderc", de Pierre Granier-Defferre. Des films où Boby Lapointe joue vraiment, autre chose que son propre rôle, tout en restant tout de même toujours fidèle à lui-même: la barbe de trois jours et l'oeil inquiet au milieu d'une grande carcasse bon enfant.

Ce qui perce malgré lui, et malgré son humour à fleur de peau, c'est son désespoir, et ces metteurs en scène sauront le mettre en valeur.

Un jongleur de mots

Boby Lapointe était le premier à écrire des chansons que personne ne pouvait comprendre. C'était un rêveur qui se moquait de ce que pensaient les gens. Les histoires qu'il raconte dans ses chansons sont empreintes de cruauté, peut-être parce que sa vie n'a pas toujours été facile. Mais derrière cette réalité cruelle, il laissait aussi entendre que tout n'est pas si désespérant.

Boby Lapointe (1922-1972). [AFP]AFP
Vertigo - Publié le 13 avril 2017

C’était un jongleur, un jongleur de mots. Il avait beaucoup d'admiration pour les gens qui jonglaient avec des objets et lui s'est dit on peut jongler avec les mots. En fait, les surréalistes l'ont certainement influencé. Je crois qu'il était un admirateur de Raymond Queneau. Il a vu les exercices de style interprétés par les Frères Jacques. Il y a des facilités dans ses jeux de mots, mais il y a aussi de jolies surprises, une forme de poésie, et même une forme de tendresse.

Jacques Donzel

La postérité inattendue

Boby Lapointe, on a bien failli ne plus jamais en entendre parler, après sa mort, en 1972, à l'âge de 50 ans. Il avait enregistré plusieurs 45 tours, mais n'avait jamais vraiment "percé". Comme le raconte Jacques Donzel dans son livre, les radios ne voulaient pas de lui: "trop compliqué".

Mais voilà, en 1972, une intégrale de ses enregistrements paraît, un coffret de 4 disques, chez Philips, et depuis son succès de se dément pas, les rééditions et remasterisations s'enchaînent. Et sa cinquantaine de chansons garde toute sa fraîcheur potache, tendre et cruelle à la fois.

Boby Lapointe (1922-1972). [AFP]AFP
Vertigo - Publié le 14 avril 2017

En 2002 sort l'album "Boby Tutti Frutti", hommages variés de chanteurs de variété. Higelin, Lilicub, Vassiliu, Elli Medeiros et Souchon, entre autres, reprennent à leur compte, revisitent le répertoire de l'inclassable chanteur en y mettant leur patte.

En ce moment, comme chaque année depuis l'an 2000, on peut se rendre au Festival Printival dans sa ville natale de Pézenas, créé en hommage à Boby par son fils Jacky et dirigé depuis le décès de Jacky par sa petite-fille Dany Lapointe.

Crédits

"Boby Lapointe… de l'iceberg", une série d'Isabelle Carceles

Réalisation web: Lara Donnet