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Lausanne, cette ville "organisée pour le mieux de tous", écrivait le compositeur Gabriel Fauré

Gabriel Fauré (1845-1924). [AFP - ©Harlingue / Roger-Viollet]
Pourquoi Fauré préfère Lausanne / L'Actu Musique / 8 min. / le 24 avril 2024
Durant l'été, Gabriel Fauré s'échappait régulièrement pendant plusieurs semaines du domicile conjugal pour composer. Il venait notamment en Suisse, à Zurich, Lausanne ou Lugano. Les lettres que le compositeur adressait à son épouse à l'occasion de ses déplacements viennent d'être publiées.

Les missives que le compositeur Gabriel Fauré (1845-1924) envoyait à sa femme durant ses voyages estivaux, destinés principalement à composer, ont été rassemblées dans "Lettres à Marie". En plus d'y jouir du calme nécessaire à la concentration pour avancer sur des œuvres exigeantes, Fauré trouvait en Suisse une société au goût musical sans doute plus raffiné qu'à Paris, à en croire une lettre du 12 septembre 1904:

"J'ai été goûter dans un de ces rendez-vous de très paisibles plaisirs de la population zurichoise. Là il y avait un gigantesque phonographe qui, entre autres choses, a reproduit toute une scène des 'Maîtres Chanteurs' de Wagner, l'accompagnement du piano s'entendait avec une netteté prodigieuse. La reproduction de la voix la rendait, au contraire, absolument canaille! C'était, d'ailleurs, plutôt laid. Mais le point intéressant, étant donné la qualité du public, c'est le choix des morceaux. À Paris, ce serait le 'Père la Victoire' ou les chansons de Bruant 'A Montparnasse!'"

Sa santé, son sommeil et sa musique

Au cours des près de six cents pages de lettres que Gabriel Fauré adresse à Marie, le panel des thèmes abordés est assez restreint. Il est souvent question de sa santé, de la qualité de son sommeil au fil des jours, de l'avancée de ses partitions et des affaires courantes que sa fonction de directeur du Conservatoire de Paris vient lui imposer jusque dans les périodes estivales.

D'une villégiature suisse à l'autre, Fauré développe une préférence avouée pour Lausanne, au point d'imaginer un moment y louer une maison, à moins qu'il ne se soit d'abord laissé flatter par la place que sa musique commence à y trouver.

"En me promenant, j'ai été tout à l'heure chez un brave marchand de musique de mes amis; j'y ai vu, sur le programme général des concerts symphoniques de cet hiver à Lausanne, ma 'Suite de Pelléas'. Ces choses-là, ça fait toujours plaisir! Oui, vraiment, c'est ici qu'il faudrait trouver une maison pour l'avenir. J'ai vu qu'on trouve ici des maisons 'meublées', avec six ou sept pièces, à louer pour 300 ou 400 francs par mois. Une maison 'non meublée' ne coûterait donc pas cher à l'année. Ce pays est si beau et cette ville si commode, organisée pour le mieux de tous. Et ce n'est pas la Suisse allemande, stricte, mais revêche et 'infatuée'! On est plus méridional ici, plus latin, sans les défauts des Latins", écrit-il le 27 septembre 1906.

"L'ignoble phonographe"

L'été suivant, Lausanne va être un lieu d'épanouissement d'une passion nouvelle: Fauré va photographier des cygnes sur le lac à Ouchy, mais aussi les enfants qui se trouvent là et qui se laissent photographier pour le plaisir. Un seul élément gâche ses journées: le phonographe.

À part l'ignoble phonographe qui assaisonne les repas – (tout bon hôtel doit de la musique aujourd'hui à ses clients!) – la maison et la nourriture sont irréprochables.

Gabriel Fauré, juillet 1907, Lausanne, cité dans "Lettres à Marie"

Ou encore:

Et le phonographe hélas, après dîner. Mais comme j'ai fini de dîner à 7h¾ (ce qui fait 7h à Paris), je fuis le phonographe en descendant à Ouchy d'où je remonte à 9h.

Gabriel Fauré, 28 juillet 1907, Lausanne, cité dans "Lettres à Marie"

Au-delà des anecdotes de villégiature, toutes ces lettres de Gabriel à Marie Fauré rassemblées par Jean-Michel Nectoux sont aussi l'occasion pour le compositeur de parler de musique.

Il critique "la polyphonie excessive de Wagner, les clairs-obscurs de Debussy, les tortillements bassement passionnés de Massenet", dont il s'exaspère de voir qu'ils "émeuvent et attachent" le public alors que la musique claire et loyale de Saint-Saëns qu'il affectionne davantage semble laisser le public plus indifférent.

Sujet radio: David Christoffel

Adaptation web: mh

Gabriel Fauré, "Lettres à Marie", rassemblées par Jean-Michel Nectoux, éd. Le Passeur, avril 2024.

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