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Sister Rosetta Tharpe, reine du gospel, guitar hero et marraine du rock’n’roll

La chanteuse afro-américaine Sister Rosetta Tharpe avec sa guitare électrique lors de l'émission "Musique pour vous" en 1957. [INA/AFP - Daniel Fallot]
Sister Rosetta Tharpe, reine du gospel, guitar hero et marraine du rock’n’roll / L'Echo des Pavanes / 15 min. / le 7 octobre 2023
Il y a cinquante ans tout juste, le 9 octobre 1973, décédait la chanteuse afro-américaine Sister Rosetta Tharpe. La musique et la religion lui doivent beaucoup. Portrait en cinq volets d’une pionnière et d’un sacré tempérament.

Elle a rejoint les anges il y a tout juste cinquante ans, partie un 9 octobre 1973 à Philadelphie. Sister Rosetta Tharpe, c’était une star, un monument au bonheur de chanter et jouer sur scène. Il y a eu une époque où la sister a dû partager, voire laisser sa couronne de reine du gospel à Mahalia Jackson. Cependant, elle a rayonné bien au-delà des portiques d’église. Retour sur une artiste hors normes en cinq épisodes clés.

1. Remuer l’église jusqu’au dernier banc

Sister Rosetta fut la première à oser faire swinguer pareillement la parole du Seigneur. Et tant pis pour les bigots des églises baptistes plus policées. Chez Rosetta Nubin, née dans la dèche campagnarde à Cottin Plant Arkansas en 1915, la religion, c’est d’abord la joie et la transe par la danse et le chant.

Elle vient d’une église où le culte est une fête, une révélation autant physique que spirituelle. Autour d’elle, il y a la musique du diable: le blues des vagabonds et le boogie des cabarets. Elle en emprunte les rythmes et part à la conquête des fidèles. Son premier tube, enregistré en 1938, s’appelle "Rock Me". Tout un programme.

2. Un pied à l’église, l’autre au club

Il fallait un sacré culot dans les années 1940 pour oser chanter les louanges du Seigneur et se risquer dans un répertoire profane, voire coquin. Sister Rosetta pouvait entonner "God Don’t Like It" ("Le Bon Dieu n’aime pas ça") et enregistrer avec un pur orchestre de jazz "I Want a Tall Skinny Papa" ("J'en veux un qui soit grand et mince").

A son époque, quitter la chapelle pour le club c’était risquer l’excommunion. Sister Rosetta apprécie le succès, les fourrures, la fête. Ses choix ont pu dérouter, ils ont triomphé: au Cotton Club, elle entonne des gospels tout en passant à la radio en plein boom du swing.

3. Electrique, la guitare!

Elle est la première femme à arpenter la scène avec une guitare électrique en bandoulière. Son instrument n’est pas là pour faire de la figuration ou prodiguer un modeste accompagnement. Sister Rosetta est une véritable guitar hero, avec des riffs percutants, un style personnel hérité du blues et un son saturé en diable.

Dans les années 1960, elle arbore une superbe guitare Gibson SG blanche du plus bel effet (le même modèle qu’utilisera Angus Young chez AC/DC, dans une version rouge avec les cornes de diablotin).

4. Marraine du rock’n’roll

En 1945, à Macon Georgia, Sister Rosetta Tharpe donne sa chance à un jeune fan à la voix prometteuse. "Tout le monde nous a félicités et applaudis. C’était la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. A la fin du show, Sister Rosetta m’a filé une liasse. 35 ou 40 dollars. Je n’avais encore jamais autant gagné d’argent".

Parole de Richard Penniman, futur Little Richard, roi du rock’n’roll. A l’époque, Penniman est croyant et gay, "preacher" avant de devenir rocker. Ce qui révèle en passant l’ouverture d’une Sister qui filait alors le parfait amour avec sa choriste Marie Knight tout en étant mariée. Dans le milieu gospel, cela se savait. Que cela devienne public et cela lui aurait valu une descente en enfer. "Strange Things Happening Every Day" date de 1944. Soit dix ans avant le triomphe d’Elvis, lequel était, lui aussi, fan de la chanteuse. Sam Price martèle le piano, Marie Knight chante la seconde voix. On dirait bien que le rock’n’roll a été inventé ce jour-là...

5. Reine du show business

Quand on parle de concert en stade, on cite comme pierre de Rosette les Beatles au Shea Stadium de New York en 1965. Et quand on cite la première femme capable de tenir un stade entier au diapason de sa voix, c’est Janis Joplin qui vient en tête. Or la première, c’est elle: Sister Rosetta Tharpe, en juillet 1951 au Griffith Stadium de Washington.

Un manager aurait soufflé à l’artiste alors divorcée et solo: "Trouvez-vous un mari et j’assure la promotion de la cérémonie". Elle prendra la forme d’un culte, d’un festival gospel, ponctué d’un feu d’artifice dans un stade plein qui a payé son billet d’entrée, apporté des cadeaux pour la mariée et acheté des souvenirs à la sortie.

Et pour immortaliser l’affaire (car il s’agit bel et bien de business avant tout), la firme Decca sort l’album de la cérémonie en 1951. A partir des années 1960, la carrière de Sister Rosetta Tharpe connaît un deuxième printemps en Europe.

Les fans de blues la redécouvrent et la TV anglaise l’invite pour une émission assez folle en 1964, "The Blues and Gospel Train" où participe notamment le bluesman Muddy Waters. Sister Rosetta Tharpe arrive en train dans une gare de campagne anglaise pour y jouer en live devant des fans transis et sous la pluie. Mythique.

Thierry Sartoretti/mh

Pour en savoir plus sur Sister Rosetta Tharpe: Frémeaux et Associés a sorti une intégrale de ses enregistrements entre 1938 et 1961 en sept volumes.

Gayle F. Wald a publié chez l’éditeur américain Beacon la passionnante biographie "Shout, Sister, Shout!: The Untold Story of Rock-and-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe".

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