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Un "Don Carlos" de Verdi sous haute surveillance ouvre la saison d'opéra à Genève

Production "Don Carlos" de Verdi au Grand Théâtre de Genève. [GTG - Magali Dougados]
Production "Don Carlos" de Verdi au Grand Théâtre de Genève. - [GTG - Magali Dougados]
Proposé dans une version très rarement jouée, l'opéra "Don Carlos" de Verdi est à voir jusqu'au 28 septembre au Grand Théâtre de Genève. Dans une mise en scène conçue par l'Américaine Lydia Steier, cette production séduit grâce à sa magnifique distribution.

Pour ouvrir sa nouvelle saison placée sous la thématique des jeux de pouvoir, le Grand Théâtre de Genève a choisi "Don Carlos" de Verdi. Avec une particularité de taille et peu courante: le proposer dans sa version originale en français.

Comme l'explique le chef d'orchestre français Marc Minkowski, présent dans la fosse genevoise à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR), entendre "Don Carlos" dans sa version d'origine "est un événement". En effet, l'oeuvre a été revue et écourtée par la suite et c'est la version italienne (appelée "Don Carlo", perdant donc un "s" au passage) de ce remaniement qui a conquis les scènes mondiales.

Aujourd'hui encore, rares sont les maisons d'opéra qui proposent la version d'origine, structurée en cinq actes et comportant un ballet, comme le veut la tradition du grand opéra à la française qui faisait fureur au milieu du XIXe siècle à Paris et dont est issu "Don Carlos".

>> A écouter, une interview du chef d'orchestre français Marc Minkowski :

Le musicien et chef d'orchestre français, Marc Minkowski. [AFP - DIETER NAGL]AFP - DIETER NAGL
Marc Minkowski à lʹassaut de Don Carlos / L'Echo des Pavanes / 25 min. / le 2 septembre 2023

Tensions entre raisons du coeur et raison d'Etat

Dans cet opéra, on suit le destin de Don Carlos, l'infant d'Espagne à qui est promis la princesse française Elisabeth de Valois, deux jeunes gens tombés amoureux au premier regard. Mais lorsqu'il faut sceller la paix entre leurs deux pays, ce mariage est annulé au profit d'une union entre la jeune femme et Philippe II d'Espagne, le roi et père de Don Carlos. Une situation intenable qui va tourner à la tragédie.

Basé sur un roman écrit par Friedrich Schiller, "Don Carlos" mêle habilement drame intime et politique. Jalousies et trahisons, alliances et désunions, amitiés et amour, pouvoir politique et religieux sont au coeur de cet opéra composé par Verdi alors au faîte de sa renommée. Le compositeur italien y décrit admirablement bien les tensions qui peuvent naître lorsque les grandes émotions humaines se retrouvent en conflit avec les puissants intérêts politiques et religieux.

Une action transposée au XXe siècle

Plusieurs pendaisons jalonnent la production de "Don Carlos" de Verdi au Grand Théâtre de Genève. [GTG - Magali Dougados]
Plusieurs pendaisons jalonnent la production de "Don Carlos" de Verdi au Grand Théâtre de Genève. [GTG - Magali Dougados]

Dans la production genevoise, la mise en scène a été confiée à l'Américaine Lydia Steier, qui avait déjà proposé au Grand Théâtre les "Indes galantes" de Rameau en 2019 et qui a récemment marqué les esprits à Paris avec sa mise en scène sans concession de "Salomé" de Strauss.

Pour "Don Carlos", la metteuse en scène propose une version moderne de cette intrigue dont les thématiques restent très actuelles. On se retrouve ainsi au milieu du XXe siècle dans un régime autocratique prenant place dans un lieu et une esthétique rappelant l'URSS de la fin du régime stalinien et l'Allemagne de l'Est de la Stasi.

On baigne dans un monde cruel et grisâtre traduit sur scène dès les premiers instants par une pendaison qui en préfigure d'autres, posées comme des jalons dans cette production de près de 4h30, entracte compris.

Des protagonistes épiés en permanence

Un décor tournant situé au centre de la scène permet de passer de la forêt de Fontainebleau à un monastère, d'une salle du palais royal à une cellule de prison. Un dispositif qui révèle également un système d'espionnage caché derrière les murs de ces différents lieux. Sous l'égide du Grand Inquisiteur, des moines affublés de casques d'écoute épient, enregistrent et dénoncent des conversations qui auraient dû rester privées.

La plupart du temps simple, épurée et très lisible, cette mise en scène laisse place le temps d'une scène à un contrepoint bienvenu. Il s'agit du ballet du troisième acte durant lequel le plateau tournant prend tout son sens. Tournoyant de plus en plus vite, il rend compte d'une fête qui dégénère rapidement en orgie. Une belle réussite que l'on ne retrouve pas lors des autres scènes de foule quelque peu brouillonnes, par exemple celle de l'autodafé.

Une distribution convaincante

Du côté des voix, on nous promettait un plateau d’exception. Et l’on n’a pas été déçu tant le ténor Charles Castronovo (Don Carlos), la soprano Rachel Willis Sorensen (Elisabeth) et la basse Dmitry Ulyanov (Philippe II) ont proposé une prestation de qualité.

La mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux (au centre) campe la princesse Eboli dans "Don Carlos" de Verdi à voir au Grand Théâtre de Genève. [GTG - Magali Dougados]
La mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux (au centre) campe la princesse Eboli dans "Don Carlos" de Verdi à voir au Grand Théâtre de Genève. [GTG - Magali Dougados]

Mais c'est surtout le baryton français Stéphane Degout (Rodrigues) qui a séduit tout au long de cette production avec en point d'orgue son magnifique air "C'est mon jour suprême", à la fin duquel il meurt après s'être sacrifié pour son ami Don Carlos. On relèvera également la très belle prestation de la mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux (la princesse Eboli) qui a convaincu, tout en montrant des talents de comédienne certains.

Présents en nombre, les chanteurs et chanteuses du Choeur du Grand Théâtre de Genève ont été à la hauteur de l'événement, malgré quelques départs précipités lors de la première vendredi soir.

Une soirée durant laquelle le public n'a pas boudé son plaisir, applaudissant les airs les plus remarquables durant la représentation et réitérant ses félicitations à l'ensemble de cette belle production lors des salutations finales.

Andréanne Quartier-la-Tente

"Don Carlos" de Verdi, Grand Théâtre de Genève, à voir encore les 21, 24, 26 et 28 septembre 2023.

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