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"Petit Papa Noël", une chanson née pendant la Seconde Guerre mondiale

Des enfants regardent le Père-Noël dans le ciel. [Fotolia - Konstantin Yuganov]
Petit Papa Noël / Versus-écouter / 49 min. / le 14 décembre 2018
La chanson "Petit papa Noël" est incontournable à l'approche de Noël. Créée en 1944 en pleine Seconde Guerre mondiale, elle devient rapidement un immense succès grâce, notamment, à son emblématique interprète Tino Rossi.

Un enfant demande au Père Noël de… ne pas lui offrir de jouets. Et surtout pas de petits soldats ni de fusils. L’enfant demande au Papa Noël de lui rendre son papa à lui, son vrai papa, prisonnier de guerre en Allemagne.

C’est la version originale de "Petit Papa Noël", entendue pour la première fois en 1944 dans une revue, à l’Odéon de Marseille. Les paroles sont bien différentes de celles que l’on connaît et chante aujourd’hui. La mélodie frappe le public marseillais. Et son texte aussi. Un texte courageux dans la France de Vichy et de l’Occupation.

La version de Tino Rossi

En 1946, un jeune chanteur et acteur, Tino Rossi, est censé chanter un gospel de Noël dans un film intitulé "Destin". Mais si sa voix est exceptionnelle de légèreté et de clarté, le jeune Corse n’est pas dans ses meubles quand il s’agit de swinguer. On décide de changer sa chanson.

On se souvient du succès de la revue de 1944. Mais la guerre est finie et ces paroles n’ont plus de place dans un monde qui cherche à se réparer. On en change les paroles. Tino la chante. Avec sa voix à la fois pastorale et aérienne. Une voix de berger et une voix d’ange. Une voix empreinte d’une technique de chant d’église. Toute la Crèche de Noël est là, dans une chanson.

Un succès immense

Pour Serge Hureau, spécialiste du patrimoine de la chanson et de son histoire, il y a même dans cette mélodie et sa clarté un esprit de miniature, un esprit de proche du XVIIIe siècle, un esprit de petite boîte à musique.

Il est possible d’ailleurs que le thème en soit emprunté à une des lignes vocales d’une célèbre musique chorale, le "Tiebe Payom" de Dimitri Bortnianski (1751-1825). Mais il faut une écoute attentive pour l’entendre, car la ligne est dissimulée dans une voix intermédiaire... celle des ténors!

La chanson rencontre un succès commercial immense. A la grande surprise du premier intéressé, Tino Rossi. Et ses avatars innombrables: de la tigresse Dalida au hard rock de Trust, en passant par une version des Chœurs de l’Armée Rouge qui dérogent quelque peu à l’esprit de miniature.

Une dimension laïque

À l’écoute de la version de Tino Rossi en 1946, et quel que soit le destin commercial de la chanson, Serge Hureau réagit: "C’est très provocant! Les enfants lèvent les yeux non pas sur Dieu, sur Notre Père, mais sur le Petit Papa Noël. Le père devient papa".

Un Saint-Nicolas transformé et laïque

Serge Hureau, spécialiste de la chanson

Cette dimension laïque, Serge Hureau la replace dans le contexte d’après-guerre. D’une forme de réaction contre le catholicisme dominant dans la France de Vichy. Et dans la relance du petit commerce après la guerre. "C’est une sorte de berceuse, on a du mal à endormir la blessure de la guerre. Pour moi ce n'est pas du tout dérisoire, c’est très beau, et même cruel. Mais de quel endormissement parle-t-on? De la guerre, de la douleur…"

Texte: Francesco Biamonte, d’après les propos de Serge Hureau et Marie-Claude Cudry

Réalisation web: aq

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