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"Une saison à Montparnasse", les Années folles de Colin Thibert

L'écrivain franco-suisse Colin Thibert. [Éditions Héloïse d'Ormesson - Philippe Matsas]
Entretien avec Colin Thibert, auteur de "Une saison à Montparnasse" / QWERTZ / 26 min. / le 11 mars 2024
Dans son nouveau roman "Une saison à Montparnasse", l’auteur neuchâtelois Colin Thibert signe un panorama multicolore du Paris des Années folles. On y suit la jeune Gabrielle, fille de soyeux lyonnais, qui "monte" à la capitale pour s’émanciper d’entraves familiales étouffantes et manipulatrices. 

C’est avec la langue facétieuse et savante qu’on lui connaît que Colin Thibert nous emmène dans ce nouveau roman historique. Après la Flandre des peintres de "Torrentius" (2019), après la Neuchâtel révolutionnaire du "Chevalier fracassé" (2022), ce collectionneur de jolis mots insolites et de petits destins rocambolesques pose sa machine à voyager dans le temps au beau milieu d’une des périodes les plus incroyables du XXe siècle: l’entre-deux-guerres (1919-1939).

Par une série de portraits truculents dont le plus lumineux est celui de Gabrielle, une jeune femme saisie par l’effervescence du Paris des Années folles, l’auteur nous offre avec "Une saison à Montparnasse" un roman aux allures de retable bigarré et réjouissant.

Le récit prend naissance dans la loge de conciergerie de madame Ernest, veuve obèse et suspicieuse, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de la jeune Gabrielle Bertholon dont la réputation est pourtant garantie par ses deux frères. En effet, Théodore et Léon ont fraîchement repris l’affaire paternelle, une soierie lyonnaise de renom.

Madame Ernest se faisait donc un devoir d’éconduire et d’humilier tel ou tel personnage dont elle jugeait l’élégance rastaquouère, tel autre à cause de ses inflexions d’Europe centrale, ou encore ce timide jeune homme, qui commit l’erreur de mentionner la flûte à bec dont il enseignait les rudiments aux enfants. 

Extrait de "Une saison à Montparnasse" de Colin Thibert

Eviter le scandale

Suivant les conseils de son tuteur, l’abbé Migeaud, Gabrielle, petite dernière à la marge de cette famille peu recommandable et obsédée par la bonne marche des affaires, voyage et se passionne pour la peinture. A Montparnasse, elle découvre une jungle fourmillant de diversité, mais aussi la liberté, l’anonymat et les plaisirs charnels. Rien qui ne suscite plus d’intérêt de la part des grands frères, jusqu’au jour où l’on découvre l’homosexualité de la jeune femme et sa passion pour Marcelle, grande brune au caractère tempétueux.  

Craignant qu’un scandale n’éclabousse la réputation familiale, et sans aucun scrupule, Léon et Théodore vont alors intervenir pour faire cesser cette infamie. Sans en dévoiler plus d’une intrigue que Colin Thibert épaissit de nombreux personnages réels ou fictifs, il sera question, dans ce roman à petits tiroirs, de détective privé, de travestissement, de crise économique et de séjour en clinique du côté de Neuchâtel. Cette étape du récit en est d’ailleurs la source: "j’avais envie de parler de mon grand-père qui a été, pendant presque dix ans, à la tête d’un asile psychiatrique. Je n’avais pas grand-chose, juste ce que la légende familiale disait de lui", explique Colin Thibert dans le podcast QWERTZ du 11 mars.

Une Gabrielle inattendue

Si les recherches sur le parcours de ce grand-père psychiatre s’avèrent décevantes, une figure inattendue émerge: celle de sa sœur Gabrielle, une femme libre qui ne s’est jamais mariée et a voyagé, navigant à contre-courant d’une famille pétrie de morale protestante. "J’ai croisé cette histoire avec ma passion pour la peinture; les fils s’enchevêtrent et l’histoire naît", raconte l’auteur.

Avec l’amusement des choses comme moteur de son écriture, Colin Thibert navigue aisément au-dessus de la gravité pourtant omniprésente de ces Années folles, sans jamais pour autant les occulter. Les blessés de guerre, les internements, la ruine, les maladies sont en effet le quotidien de cette parenthèse enchantée que fut cette période. Mais avec "Une saison à Montparnasse", le cinéaste, graveur et scénariste sait ce qui doit faire le décor et ce qui doit prendre la lumière. Et nous voilà ravis.

Ellen Ichters/aq

Colin Thibert, "Une saison à Montparnasse", ed. Héloïse d’Ormesson, mars 2024.

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