Modifié

"La route" de Manu Larcenet, l'adaptation en BD d'un chef-d'œuvre apocalyptique

Couverture de "La route" de Manu Larcenet, d'après l'oeuvre de Cormac McCarthy. [Dargaud]
Chronique BD : Postapocalyptique, créatures magiques et afroféminisme au menu / Vertigo / 7 min. / le 9 avril 2024
Après "Le rapport de Brodeck", Manu Larcenet a repris ses stylos pour s'emparer d'une œuvre majeure de la littérature américaine. Il adapte "La route", roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy, dans une bande dessinée aussi intense qu'oppressante.

Il fallait du courage et un brin de folie pour s'attaquer à "La route" de Cormac McCarthy. Dès sa sortie, l'ouvrage rencontre un immense succès auprès du public et des critiques. Ce roman post-apocalyptique reçoit le prix Pulitzer de la fiction en 2007 et fait l'objet d'une adaptation au cinéma, deux ans plus tard, avec Viggo Mortensen dans le rôle principal.

Mais le désir est là chez le dessinateur français Manu Larcenet qui rêve d'adapter "La route" en bande dessinée. Après deux ans de travail acharné, l'auteur de "Blast", "Retour à la terre" et "Combat ordinaire" nous livre sa vision de la quête impossible d'un père et de son fils dans une Amérique hostile et dévastée.

Une esthétique torturée

Avis aux âmes sensibles, dans "La route" dessinée par Manu Larcenet, même les nuages ont l'air de souffrir. Les villes et les routes sont dévastées, la nature polluée et mortifère, et on trouve des cadavres suspendus et attachés à tous les coins de rue, dans des mises en scène aussi macabres que morbides.

Dans ce contexte, toute rencontre est à éviter. Surtout quand les seuls survivants sont des hordes de barbares, pilleurs, violeurs et cannibales. A cela vient s’ajouter un froid glacial, un air irrespirable et la faim omniprésente. Les seules choses mangeables, en dehors des humains, sont les très rares boîtes de conserve trouvées çà et là. En observant les scènes de baignade du père et de son fils, on est touché en plein coeur par leur apparence squelettique.

>> Quelques planches tirées de "La route" dessinée par Manu Larcenet : "La route", une adaptation BD de l'œuvre de Cormac McCarthy par Manu Larcenet – extrait [Dargaud]
"La route", une adaptation BD de l'œuvre de Cormac McCarthy par Manu Larcenet – extrait [Dargaud]

De rares moments de grâce

Difficile de ne pas sombrer en parcourant les 160 pages de cet album. A la lecture, on se raccroche à ce père ultra-protecteur vis-à-vis de son fils, ce qui ne l'empêche nullement de lui apprendre toutes les méthodes de survie, y compris celle de se tirer une balle en pleine tête en cas de capture.

Pour faire face à la sauvagerie ambiante, le duo tente de garder certaines valeurs morales comme "rester dans le camp des gentils", "ne pas manger d’autres personnes" et, surtout, "tenir ses promesses" quoi qu’il advienne. Lors de leur périple vers le sud, le père et le fils vivent également des moments de grâce. Descendre une pente sur un chariot à commissions ou boire une canette de soda tiennent ici de l'expérience extatique.

Une utilisation particulière de la couleur

Au niveau artistique, soulignons que Manu Larcenet est son propre coloriste, il ne fait pas appel à une tierce personne. Pour "La route", le dessinateur français voulait d'abord s'orienter vers le noir et blanc, mais cette binarité ne le convainc pas.

L'illustrateur se rappelle alors d'une technique découverte lors de ses années d’étude à l'école Olivier-de-Serres: celle des gris colorés. Pour "La route", il dit avoir utilisé quatorze nuances de gris et le résultat est magnifique. Les jaune-orange délavés, les mauves glacés apportent une réelle plus-value à cet album aussi sombre que grandiose. Les lecteurs et lectrices ne s'y sont pas trompés: quinze jours à peine après sa sortie, "La route" est la bande dessinée la plus vendue en France.

Sarah Clément

Manu Larcenet, "La route", d'après l'œuvre de Cormac McCarthy, Dargaud, paru le 29 mars 2024.

Publié Modifié