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"L'escale" de Marion Lejeune, un premier roman à la saveur nordique

Marion Lejeune.
Entretien avec Marion Lejeune, autrice de "L'escale", ed. Le Bruit du Monde / QWERTZ / 30 min. / le 19 mars 2024
Un marin menacé de mort profite d'une escale sur l'Archipel pour s'enfuir. Commence alors une autre vie au milieu d'insulaires singuliers et de paysages envoûtants. "L'escale" de Marion Lejeune est un très beau premier roman d'une autrice à suivre.

Grigori est gabier sur le Gren, un voilier commerçant en provenance de Norvège. A bord s'organisent des combats de rats où les paris vont bon train; activité pour laquelle Grigori s'est endetté auprès de Thomassen, l'un de ses co-équipiers qui désormais ne le lâche plus. "Question d'honneur. Question de cruauté aussi".

La vie du jeune matelot est en jeu et il profite de l'escale du navire sur l'Archipel, au cœur de l'océan subarctique, pour trouver refuge auprès de Jon et Halle, couple de jeunes instituteurs qui lui offrent l'hospitalité sans rien lui demander en retour.

L'étranger

Grigori, ce jeune Russe parlant le norvégien, figure de l'étranger, des identités multiples et des frontières mobiles, s'acclimate progressivement au rythme et au tempo de l'Archipel. Il y fait des rencontres qui vont le façonner, l'ouvrir à une autre dimension de sa propre histoire, de son existence et de son rapport au monde.

Solitude, silence: à croire que ces mots sont nés sur l'Archipel. Il faut tendre l'oreille pour recueillir les bruits que font les habitants, étouffés qu'ils sont par la pluie et ce vent terrible, effacés au point qu'on peut soupçonner les gens de dormir le jour tant parfois rien ne bouge. 

Marion Lejeune, extrait de "L'escale"

Tout ici est plus lent et plus gris, tout dépend du temps, de la météo et des saisons. La lumière ou l'absence de lumière dessinent le relief aussi bien que les caractères. Dans cet espace suspendu entre ciel et mer, Grigori parviendra-t-il à échapper à son destin? Sera-t-il retrouvé par Thomassen? Reprendra-t-il sa vie d'errance lorsque le Gren repartira? Ou son passage sur l'île le conduira-t-il vers un ailleurs insoupçonné?

Alda l'insulaire

Parmi les autres personnages marquants dont le héros suivra pour un temps les pas, il y a Alda, sorte de double inversé. Une jeune insulaire qui n'a jamais quitté ces terres isolées, mue par le désir irrépressible de partir, d'abandonner l'Archipel et sa pauvre condition. Aller "là-bas", là d'où les autres viennent.

Alda, qui pour survivre met sa vie en péril en chassant des œufs d'oiseaux sauvages à même les nids. Suspendue aux falaises telle une équilibriste, elle joue sa vie et sa survie, son gagne-pain. Entre elle et les oiseaux nicheurs, c'est un combat interespèces d'une intensité égale où l'une lutte pour subsister, l'autre pour procréer. Grigori s'y essaiera lui aussi, comme pour imprimer une manière différente d'évoluer avec les éléments et faire partie d'un grand tout.

Entre ciel et mer

Il se dégage de ce premier roman, inspiré par un voyage de l'autrice aux îles Féroé, quelque chose qui touche au cosmos et à son harmonie. Humains et animaux, air, mer, ciel et terre, végétal et minéral ne font qu'un. Tout semble obéir aux mêmes règles et tente de bouger à la même cadence. Eloge du cycle de la vie? Même les passages des scènes très fortes et violentes de chasse à la baleine lors de la tradition sanglante du Grind, propre aux îles, ne parviennent à rompre cette sensation.

À aucun moment les animaux ne se heurtent aux barques, qui, pourtant les pressent avec rage. Chasseurs comme chassés ouvrent un passage fluide dans l'eau, progression harmonieuse, comme chorégraphiée pour quelques secondes encore.

Marion Lejeune, extrait de "L'escale"

Style poétique

Pour l'écriture de son roman, Marion Lejeune dit avoir été très inspirée par l'auteur islandais Jón Kalman Stefánsson et sa trilogie "Entre ciel et terre". Un vocabulaire précis et juste ainsi qu'un style très évocateur qui se rapproche par moments de la poésie nourrissent les pages de "L'escale".

Un éventail de mots et d'images sont déployés pour nous faire à la fois goûter à la saveur d'un territoire où les humains vivent au rythme de la nature et du climat, tout en nous racontant une histoire imaginaire. Dans ce roman, le faux et le vrai se confondent harmonieusement pour nous emmener dans une véritable fiction, dont les dénouements avérés ou suggérés tiennent toutes leurs promesses.

Céline O'Clin/mh

Marion Lejeune, "L'escale", éditions Le bruit du monde, mars 2024.

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