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Dans "Monstera", Simon Roure aborde la tyrannie de l'image et des corps

L'auteur de bande dessinée Simon Roure. [Mélanie Beyl]
Entretien avec Simon Roure, auteur de "Monstera" / QWERTZ / 15 min. / le 1 mai 2024
Dans son deuxième roman graphique aux accents monochromes bleu-violet, le bédéaste français Simon Roure aborde d'un trait fin l'invasion pernicieuse de la dictature de l'image, qui mène à l'isolement des corps. "Monstera" confronte aussi les idéaux face à la société de consommation.

Le monstera, c'est cette liane tropicale qu'on retrouve dans à peu près toutes les salles d'attente, reconnaissable à ses grandes feuilles luisantes et trouées. Souvent élément de décor, cette espèce de philodendron devient un indicateur métaphorique de l'évolution de Gabriel, l'un des deux protagonistes principaux de cette autofiction.

Jeune homme timide, amateur de longboard dancing, engagé dans un militantisme de gauche, il se fait démarcher par hasard dans la rue par un agent de mannequinat. En parallèle, Gabriel entame une liaison avec Lina, jeune femme réservée, elle aussi engagée socialement. Deux destins bouleversés, l'un par la griserie de son reflet grossi par les réseaux sociaux, l'autre par une image délétère de soi et cette maladie qu'est l’anorexie. Ces deux spirales descendantes vont de moins en moins faire corps alors que Lina et Gabriel vivent dans le même appartement, sous le regard muet d'un monstera, livré à lui-même.

Planche tirée de la bande dessinée "Monstera" de Simon Roure. [Simon Roure]
Planche tirée de la bande dessinée "Monstera" de Simon Roure. [Simon Roure]

Miroir, mon beau miroir

La thématique est suffisamment rare sous la plume d'un homme pour qu'elle soit remarquable. Faire des injonctions de l'image et des troubles alimentaires le cœur d'une œuvre étant, de façon générale, plus souvent associé à la parole féminine.

Je voulais un angle de vue masculin, parce qu'on n'en a pas et qu'on en a besoin. Parce que le féminisme concerne surtout les hommes, qui sont les premières personnes à devoir changer. 

Simon Roure , auteur de "Monstera"

La délicatesse du propos est soulignée par un trait fin au stylo, et par les silhouettes longilignes des personnages. Ce qui frappe, c'est l'absence de bouche dans la plupart des cas; un choix délibéré de Simon Roure: "Si on met une bouche tout le temps, quand quelqu'un sourit, ça a moins d'impact", détaille le dessinateur. "Alors que s'il n'y a jamais de bouche, le sourire prend une importance beaucoup plus grande".

Bouche encore, mais de métro cette fois, pour la couverture de ce roman graphique, où un Gabriel gigantesque, posant sur une affiche, toise une minuscule Lina sur le quai, à la station parisienne des Invalides. Une image qui rappelle qu'au centre de "Monstera" le regard est roi, qu'il soit porté sur son téléphone à l'affût d'une image de lui-même pour Gabriel, ou l'image déformée que Lina voit dans son miroir. Deux reflets aussi faux l'un que l’autre.

Ellen Ichters/sc

Simon Roure, "Monstera", ed. Virages graphiques, mars 2024.

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