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Dans "Le tombeau", Marc Graciano déclare sa flamme à Jeanne d’Arc

Marc Graciano. [Jean-Luc Bertini]
Entretien avec Marc Graciano, auteur de "Le Tombeau" aux éditions Le Tripode. / QWERTZ / 42 min. / le 29 avril 2024
Avec "Le tombeau", l’auteur français Marc Graciano poursuit son exploration littéraire de la vie de Jeanne d’Arc, donnant voix à un vieil ermite esseulé dont la parole sinueuse façonne le portrait d’une jeune fille terrienne et libre.

Deux ans après "Johanne", récit contant la chevauchée de Jeanne d’Arc, Marc Graciano brûle encore pour la Pucelle. Tombé en amour de sa Johanne, l’auteur français projetait une trilogie. Mais pourquoi se restreindre, quand la passion est là? "Le tombeau" n’est donc que le deuxième volet d’une saga promise à de multiples spin-offs et variations.

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Une musicalité unique

Il l’affirme dans un grand éclat de rire: à défaut d’entendre des voix, Marc Graciano a des visions. Et ces visions peuplent ses récits de personnages en marche, de bourgs et de vallées saisis dans la nudité des temps anciens. Pour donner chair à ce Moyen Âge suspendu, l’auteur développe, depuis "Liberté dans la montagne" (2013), une musicalité unique. Phrases sinueuses déployées sur l’entier d’un chapitre, lexique ancien décanté d’une lecture assidue des dictionnaires historiques, le style Graciano invite ses lectrices et lecteurs à s’abandonner à un "magma" poétique bouillonnant de gestes, de sensations et d’images intemporelles.

Mais le moment que je préfère reste celui des matins d'automne, quand le soleil à peine levé, mais déjà triomphant, tandis que brille encore l'étoile journale, celle mêmement nommée Vénus, de laquelle il semble qu'elle ait premièrement faonné l'imparfaite lumière de l'aube, transmute la plate lumière albine qui, je te le confesse, par son blême, me fait toujours entrer en désespérance (…)

Extrait de "Le tombeau" de Marc Graciano

De l'usage du vocabulaire

Dans "Le tombeau", aucun mot n’appartient à une époque postérieure au XVe siècle. Prouesse stylistique, ce nouveau roman joue aussi avec malice de l’art de la digression. L’homme qui parle et qui évoque, à l’intention d’un auditoire fictif, l’enfance de Jeanne d’Arc est un vieil ermite, confesseur occasionnel de la jeune fille. Est-ce donc la solitude qui le rend si prolixe? En évoquant ses souvenirs, son admiration pour la Pucelle, l’ermite lâche la bride de son esprit, accorde à son récit de grandes embardées dont on suit avec un certain vertige les mouvements successifs.

Oui, il radote! Il est très seul, avec tous les dangers de la solitude que peuvent connaître les ermites. On appelait ça 'l’acédie', ce sentiment de déréliction, de n’être plus en lien. Alors il va chercher à faire revivre Jeanne d’Arc.

Marc Graciano, auteur de "Le tombeau"

A travers les réminiscences de cet ermite enamouré s’esquisse le portrait d’une "Johannette" sensuelle, en communion directe avec ce Dieu qu’elle rencontre dans l’eau de pluie, dans le vol d’un oiseau ou le bruissement des insectes.

A la manière d’un historien d’aujourd’hui, l’ermite de Marc Graciano taille dans le folklore, élague le mythe et ses miracles pour dégager la personnalité touchante d’une Jeanne de chair et d’os, hippie avant l’heure, "bigote" et révolutionnaire à la fois. Le bûcher ne l’a pas anéantie puisque la jeune femme revit ici, sortie du tombeau poétique que lui offre ce roman pascal.

Nicolas Julliard/mh

Marc Graciano, "Le tombeau", ed. Le Tripode, avril 2024.

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