Dans "La vie de ma mère!", Magyd Cherfi conte le récit d'une (re)naissance

Slimane, la cinquantaine ni trop accablante ni trop épanouie, est bien connu dans sa communauté à Toulouse: avec son ami juif Boris, ils sont devenus les rois du burger hallal. Tout pourrait aller pour le mieux, si ce n'est que des cadavres traînent dans les placards. Une séparation soft, des relations "polaires" avec ses cinq frères et soeurs et, surtout, le silence radio total depuis huit mois avec Taos, mère tyrannique de cette fratrie sclérosée. Mais lorsque le père de Boris meurt, Slimane revoit ses positions et va trouver la terrible matriarche.

"On a une mère, et on ne voudrait pas qu'elle soit autre chose. Mais avec les décennies, je me suis demandé qui était cette femme? Qui était ma mère? Parce que derrière chaque mère, il y a une femme qui a eu des désirs qu'elle a réprimés au nom de la famille, des fils, du père, des frères", explique Magyd Cherfi dans le podcast QWERTZ du 30 janvier.

Bâton de vieillesse

Un geste qui aura l'effet d'un battement d'aile de papillon sur la galaxie familiale. Car cette chose amoindrie, terrassée par les grossesses, par son rôle de mère et les injonctions culturelles, cache le potentiel d'une "reine berbère", affranchie de ses devoirs familiaux et religieux. La mobilité retrouvée, grâce aux efforts de Slimane, Taos demande à son fils l'impensable: brushing et renouvellement de la garde-robe (à commencer par les soutiens-gorges), baskets Adidas et pantalon à carreau.

Le plus terrible, c'est que j'ai trouvé qu'elle avait de la gueule, en Adidas, et plus terrible encore, c'est quand elle m'a balancé son déambulateur et s'est mise à marcher presque normalement, baskets aux pieds, étiquette au vent, j'étais moi, derrière elle, la personne à mobilité réduite

Cette histoire de la mère permet à Magyd Cherfi d'aborder par un autre angle une thématique qui lui est chère: le tiraillement intérieur entre émancipation et aliénation. "Le fils s'est cru émancipé des tabous et des normes, commente-t-il. Il s'est pris pour quelqu'un de progressiste, de féministe, d'anti-raciste. Et en se rapprochant de sa mère, il se rend compte qu'il n'est pas à la fin de ce parcours, mais seulement au début."

Cuisine de famille

La mère serait-elle plus "évoluée" que ses enfants? La question frappe la fratrie de plein fouet: cette jeddah (grand-mère), si souvent encline à culpabiliser sa progéniture de ne pas en faire assez pour elle, ose désormais prendre des libertés embarrassantes. Un pèlerinage à la Mecque? Pas sûr, peut-être plus tard. L'heure de la prière a sonné? Bof, pas trop envie.

Tout à coup, j'ai davantage redouté la laïque que la musulmane, la femme libre que la ligotée, me suis senti devenir chèvre, excommunié par la famille qui m'avait façonné, un vrai pogo dans ma tête…

"La vie de ma mère!" est un roman qui expose comment nos propres limites limitent les autres et qui célèbre la plantation de graines intérieures. Un livre de développement personnel alors? "Peut-être", s'amuse Magyd Chefi. Mais surtout un moyen, par le roman, de tenter le défi de vouloir à la fois éclairer les esprits et proposer l'idée d'une passerelle entre deux sociétés qui, en France, se tournent le dos désormais: "En France il y a deux nations, une nation blanche légale, officielle, légitime. Et il y en a une autre qui est dans la suspicion, illégitime. Et un précipice s'élargit. Je propose, en tant qu'auteur, des passerelles." A nous de réfléchir.

Ellen Ichters/ld

_{Magyd Cherfi, "La vie de ma mère!", ed. Actes Sud.}

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