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Le prix Nobel de Littérature est décerné au dramaturge Jon Fosse

Le Prix Nobel de Littérature est décerné à l'auteur Norvégien Jon Fosse
Le Prix Nobel de Littérature est décerné à l'auteur norvégien Jon Fosse / 19h30 / 2 min. / le 5 octobre 2023
Le prix Nobel de littérature 2023 a été décerné jeudi au romancier, essayiste et dramaturge norvégien Jon Fosse. L'auteur de 64 ans s'est dit "bouleversé et quelque part effrayé" par le choix du comité Nobel. L'Académie couronne notamment "ses pièces novatrices".

C'est juste après 13h que l'annonce a résonné en suédois, puis en anglais, dans les salons feutrés de Stockholm: "Jon Fosse", un dramaturge dont les pièces de théâtre sont les plus jouées en Europe. "L'auteur norvégien donne la parole à ce qui est indicible", a spécifié le jury. Romancier, essayiste, poète, Jon Fosse est un écrivain touche-à-tout chez qui la forme est généralement plus importante que le fond, le non-dit plus parlant que les mots.

L'écrivain norvégien Jon Fosse photographié à Stockholm, Suède, le 21 octobre 2021. [AFP - JESSICA GOW / TT NEWS AGENCY]
L'écrivain norvégien Jon Fosse photographié à Stockholm, Suède, le 21 octobre 2021. [AFP - JESSICA GOW / TT NEWS AGENCY]

L'Académie suédoise a distingué l'écrivain, âgé de 64 ans, "pour ses pièces de théâtre et sa prose novatrices qui ont donné une voix à l'indicible". "Sa singularité est évidente, il expose les ambivalences humaines". "C'est par sa capacité à évoquer (...) la perte d'orientation, et la façon dont celle-ci peut paradoxalement donner accès à une expérience plus profonde, proche de la divinité, que Fosse est considéré comme un novateur", a détaillé Anders Olsson, président du comité Nobel pour la Littérature.

Son œuvre écrite en "nynorsk" – le "nouveau norvégien", l'une des formes écrites de la langue norvégienne (lire encadré) –, idiome de l'ouest de la Norvège dont il est originaire, est composée de pièces de théâtre, de romans, de recueils de poésie, d'essais et de livres pour la jeunesse. Il est surtout connu comme étant un dramaturge: Jon Fosse est d'un accès peu facile pour le grand public. Pourtant, il est peut-être l'auteur vivant dont les pièces de théâtre sont les plus jouées en Europe.

Comme son illustre prédécesseur de la littérature nynorsk Tarjei Vessas, Jon Fosse conjugue de fortes attaches locales, tant linguistiques que géographiques, avec des techniques artistiques modernistes, souligne le jury.

L'homme de lettres était au volant de sa voiture, en pleine campagne, en direction du fjord au nord de Bergen, au moment de recevoir l'appel du Comité. "Il gardait confiance jusqu'à 13h; il était surpris mais pas trop", a remarqué Mats Malm, secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise. Le dramaturge s'est dit "bouleversé et quelque part effrayé" par le choix du comité Nobel.

Il a ensuite réagi dans un communiqué: "Je suis bouleversé et reconnaissant. Je considère qu'il s'agit d'une récompense pour la littérature qui vise avant tout à être de la littérature, sans autre considération". Son nom circulait pour cette récompense ultime depuis une vingtaine d'années: "Je me suis prudemment préparé au fait que cela pourrait se produire ces dix dernières années. Mais croyez-moi, je ne m'attendais pas à avoir le prix aujourd'hui, même s'il y avait une chance", a-t-il dit au téléphone à la chaîne publique norvégienne NRK.

Une ponctuation parcimonieuse et imprévisible

Le visage rondouillard serti d'un regard bleu scandinave, d'une barbe et de cheveux mi-longs blanchis par le temps, c'est un enfant des fjords, né le 29 septembre 1959 à Haugesund. Il grandit dans un milieu d'inspiration piétiste avec un grand-père Quaker, pacifiste et gauchiste à la fois. Un piétisme dont le jeune Fosse s'éloigne, préférant se dire athéiste et jouer de la guitare dans un groupe, Rocking Chair, avant finalement d'embrasser la foi catholique sur le tard, en 2013.

Après des études littéraires, il fait ses débuts en 1983 avec "Rouge, Noir", un roman où un jeune homme règle ses comptes avec le piétisme. Le style, marqué par de nombreuses projections dans le temps et une alternance des points de vue, deviendra sa marque de fabrique.

Suivent, entre autres, "La Remise à bateaux" (1989), qui lui gagne l'estime de la critique, et "Melancholia" I et II (1995-96), une autre œuvre majeure.

Son dernier coup de maître, "Septologien" – sept chapitres répartis en trois volumes, pas encore traduit – exploite la rencontre d'un homme avec une autre version de lui-même pour soulever des questions existentielles avec, comme toujours, une ponctuation parcimonieuse et imprévisible.

Le théâtre par nécessité

Fosse vient au théâtre presque par nécessité: sans revenus réguliers, il accepte au début des années 1990 d'écrire le début d'une pièce, y prend goût et décide d'aller jusqu'au bout. C'était "Someone is going to come" ("Quelqu'un va venir") – qui fut mise en scène par Claude Régy en 1999 à Paris.

Finalement, c'est ce genre qui lui assurera sa notoriété internationale. Après "Et jamais nous ne serons séparés" en 1994, s'enchaîneront "Un jour en été", "Rêve d'automne" ou encore "Je suis le vent".

Rompant une pause d'une décennie, il se surprend lui-même en renouant avec le genre en 2021, avec la pièce "Sterk Vind", non traduite. Selon sa maison d'édition norvégienne Samlaget, ses textes ont été traduits dans une cinquantaine de langues et ses pièces produites plus d'un millier de fois dans le monde.

S'émancipant des règles classiques, il fait fi de l'intrigue, réduite à un strict minimum, et recourt à une langue simple et dépouillée où la clé de compréhension est dans le rythme, la musicalité et les pauses.

Ses personnages sont peu volubiles. Leurs phrases se répètent, à quelques changements infimes près, et restent en suspens. Ce sont les silences qui sont souvent lourds de sens et qui font que, même ensemble, les êtres restent seuls: "Je n'écris pas de personnages au sens traditionnel du terme. J'écris de l'humain", confiait Fosse en 2003 au Monde.

L'essentiel, les interstices et les non-dits

Dans ses pièces, "les éléments sociologiques sont présents: chômage, solitude, éclatement des familles, mais l'essentiel est ce qui est entre. Dans les interstices, les failles entre les personnages, entre les différents éléments du texte. Ça passe plus par les silences, par ce qui n'est pas dit que par ce qui est dit", disait-il.

Des failles, sa vie personnelle en est parsemée. Marié trois fois, ce père de six enfants a dû renoncer à la boisson après des ennuis de santé.

Bien qu'extrêmement difficiles à monter, ses pièces trouvent d'influents relais à l'étranger. En 2007, le Daily Telegraph le place au 83e rang dans un classement des 100 génies vivants.

Dans un pays qui a enfanté peu d'auteurs ou d'autrices dont le succès ait franchi les frontières, hormis pour les romans policiers, on associe inévitablement Fosse à l'autre grand dramaturge national, Henrik Ibsen (1828-1906). Mais il est sans doute plus proche de Samuel Beckett (1906-1989) qu'il admire. Comme en lui-même, il dit voir dans le célèbre Irlandais "un peintre pour le théâtre plutôt qu'un véritable auteur".

Stéphanie Jaquet et les agences

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Le nyorsk

Jon Fosse "combine un enracinement dans la langue et la nature de ses origines norvégiennes avec des techniques artistiques issues du modernisme", a estimé Anders Olsson, membre de l'Académie de Suède.

Le nynorsk – aussi appelé le néo-norvégien – est la langue officielle la moins utilisée de Norvège, employée par environ 10% à 15% de la population du pays. Elle a été développée au XIXe siècle à partir des dialectes ruraux, constituant une alternative à l'usage majoritaire du danois sur lequel s'appuie l'autre langue officielle, le bokmål, résultat de quatre siècles de domination danoise sur la Norvège.

Les prédictions de cette année

Selon des personnes expertes dans le domaine, circulait le nom de la romancière russe et opposante au Kremlin Lioudmila Oulitskaïa: un choix de l'Académie suédoise qui serait ouvertement politique. La romancière est comparée par les critiques aux géants Léon Tolstoï ou John Steinbeck.

D'autres noms couraient également, tels le Japonais Haruki Murakami, l'Américaine Joyce Carol Oates ou le Britannique Salman Rushdie.

L'an dernier, la prestigieuse récompense avait été attribuée à la Française Annie Ernaux, grande figure du féminisme, pour "le courage et l'acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle", avait annoncé le Jury du Nobel.

>> Lire : Le prix Nobel de littérature décerné à la Française Annie Ernaux