Publié

"Reste", chant d’amour et de mort signé Adeline Dieudonné

Adeline Dieudonné. [Leextra / L’Iconoclaste - Céline Nieszawer]
Entretien avec Adeline Dieudonné, autrice de "Reste", aux éditions L'Iconoclaste. / QWERTZ / 30 min. / le 9 mai 2023
Dans son troisième roman "Reste", l’autrice belge Adeline Dieudonné donne la parole à une femme qui vit quelques jours avec le cadavre de son amant, mort accidentellement.

Depuis huit ans, c’est là qu’ils se retrouvaient en secret. Dans ce chalet de montagne, face au lac, ils s’inventaient une vie de couple à l’écart de leurs familles respectives. Mais ce jour-là, S. ne voit pas revenir M. de sa baignade matinale. Inquiète, elle découvre alors, flottant sur le lac, le corps sans vie de son amant.

Ainsi débute "Reste", troisième roman d’Adeline Dieudonné. Comme dans ses précédents livres au succès phénoménal ("La vraie vie" en 2018, "Kérozène" en 2021), l’autrice belge fait de la mort le détonateur initial de sa fiction. Ici pourtant, la violence qu’on associe à son imaginaire débridé ne fait plus partie de l’équation.

Un journal, des lettres

Tendre et intimiste, "Reste" se présente comme le journal intime d’une femme endeuillée. En deux grandes lettres, adressées à l’épouse de son amant, la narratrice décrit par le détail le lien qui les unissait, l’histoire de leur amour clandestin et les raisons qui la poussent à différer la remise du corps à la famille du défunt.

Je la comprends parfaitement cette femme. C’est effectivement complètement fou, mais c’est aussi un acte de résistance par rapport au monde moderne dans lequel elle considère qu’on traite les morts d’une façon trop expéditive.

Adeline Dieudonné

Pendant quelques jours, cette femme, mère d’une fille adolescente, va donc veiller le corps de M., le trimballant dans son monospace comme au fil d’une cavale sans poursuivants. Sur le corps mort, des taches apparaissent, et l’odeur se fait de plus en plus prégnante. Détails macabres qui contrastent avec la tendresse des souvenirs convoqués par cette amoureuse dévastée.

Un idéal amoureux

Car au delà de l’étrangeté de la situation, de la déraison de cette veillée secrète, "Reste" témoigne surtout de l’idéal amoureux qu'a pu constituer cette liaison durable, offrant à cette femme l’occasion d’en comparer les joies avec les amours qui l’ont précédée.

M. m’avait appris à prendre ma place, à prendre forme. Avant lui j’étais une matière molle, presque liquide, qui s’ajustait aux nécessités de l’autre.

Adeline Dieudonné, "Reste"

Agée de 41 ans, exactement comme l’autrice, la femme qui parle ici fait ainsi le bilan post-#MeToo de sa vie amoureuse. "Fille sexy en short", femme trophée qui a bien intériorisé "sa place", la narratrice réalise au fil de sa confession combien elle a encaissé de violences et de dominations, recherchant malgré elle la protection d’hommes forts et sourds à ses désirs.

Avec la complicité discrète de Virginie Despentes, de Simone de Beauvoir ou de Virginia Woolf, traversé par les voix de chanteuses au verbe haut (Nina Simone, Billie Holiday, Emilie Loizeau), "Reste" devient alors bien plus qu'un chant d’amour en forme de faux polar. Il est aussi le bilan, qu’on devine très personnel, d’une vie de femme, adressé à une autre femme, qui vaut sans doute pour toutes celles et ceux qui le liront. Et s’y reconnaîtront.

Nicolas Julliard/mh

Adeline Dieudonné, "Reste", ed. L’Iconoclaste

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.

Publié