Publié

Emmanuelle Richard explore les masculinités toxiques et les plaisirs féminins

L'écrivaine Emmanuelle Richard. [Editions de l'Olivier - Arnaud Delrue]
Entretien avec Emmanuelle Richard, autrice de "Hommes" / QWERTZ / 32 min. / le 27 septembre 2022
Des années après leur relation éphémère, une femme découvre que son ancien amant est accusé de viols en série. Cinquième livre de la romancière française Emmanuelle Richard, "Hommes" explore comment le désir peut faire fi du regard masculin.

A vingt-huit ans, Lena Moss, la narratrice d’"Hommes" d'Emmanuelle Richard a vécu un drame familial et un échec professionnel. Elle aspire à un "effacement du monde" et le met en pratique: elle quitte Paris pour aller défricher des fougères dans un château au Pays de Galles.

L’air est fouetté par les embruns, on y parle une langue étrangère, l’horizon est transparent - Lena Moss pense pouvoir y "laver son âme", et dans ce bain purifiant, Emmanuelle Richard construit un personnage de femme volontaire, prenant ses émotions en charge, assumant ses désirs et ses refus. Mais son repos est mis à mal par les avances d’Aiden, qui partage la demeure et la tâche horticole avec elle. La jeune femme lui plaît et il l’exprime sans retenue.

De guerre lasse, par ennui ou pour satisfaire un élan charnel assez primaire, Lena Moss aura une liaison éphémère avec lui, limitée à des fins de soirées partagées, sans jamais projeter chez cet homme autre chose qu’un partenaire sexuel:

Sans sous-estimer ni mépriser le sexe, j’avais toujours considéré celui-ci comme potentiellement non signifiant de quoi que ce soit, parfois la première étape vers une suite mais pas nécessairement, et le plus souvent le contraire. Encore moins, d’office, le préalable à une histoire, un couple, un binôme...

Emmanuelle Richard, "Hommes"

Des masculinités toxiques

Cette indépendance d’esprit, de corps et de cœur sera mal vécue par Aiden. Et comme tous ceux qu’Emmanuelle Richard, reprenant la formule de la thérapeute Elisende Coladan, appelle les "enfants sains du patriarcat", Aiden tentera d’obtenir par la force ce qui ne lui est pas donné: la soumission de la jeune femme à sa soif de contrôle et de possession, "cette forme d’amour que de nombreux hommes nomment tel et qui n’a à voir qu’avec le trophée."

Quand Lena Moss apprend, vingt ans plus tard, qu’Aiden est accusé de viols en série, elle replonge dans le souvenir de cet hiver glaçant et de la violence de cet homme. A partir de ce cas particulier et à travers des pages entières d’exemples, de chiffres et de constats tous aussi réalistes qu’affligeants, Emmanuelle Richard écrit ce qu’on peut qualifier de linceul, tissé de tous les fils des masculinités toxiques. Ce voile insidieux ou carrément obscène, cette camisole d’agressions qui parasitent le quotidien des femmes, sont exposés sous nos yeux pour mieux en cerner les coutures.

Hors du regard masculin

Mais "Hommes" n’est pas qu’une entreprise de détricotage. Si l’autrice défait les nœuds de cette domination sexiste, c’est pour mieux broder sur ses ruines des imaginaires féminins élargis. Lena Moss est un personnage solide construit hors du "regard masculin", ce biais omniprésent dans l’histoire de l’art et qui a tant dévoyé la perception de la féminité.

Elle parle de ses poils, de ses culottes menstruelles, de sa libido fluctuante, de son rapport à l’âge, de sa sexualité sans pénétration, de l’attractivité des hommes qui savent désirer sans prédation, aimer sans posséder et embrasser sans forcer. Pour Emmanuelle Richard, cet art du contre-pouvoir est une des missions de la littérature:

Je crois énormément à la puissance politique des représentations et des images et je crois que quand on écrit un livre, on produit des images dans la tête des lecteurs.

Emmanuelle Richard

Avec "Hommes", l’autrice des "Corps abstinents" (Flammarion, 2020), un essai sur l’abstinence sexuelle choisie, n’exhibe pas seulement les laideurs masculines - elle nous oriente aussi vers les alternatives possibles, indispensables, urgentes, à mettre en place pour réinventer le plaisir.

Salomé Kiner/aq

Emmanuelle Richard, "Hommes", ed. de l’Olivier.

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.

Publié