Un ouvreur d’imaginaire en une seule strophe de trois lignes ou vers. Dix-sept syllabes qu’en japonais on définit plutôt en sons ou mores. Des instantanés provoquant une émotion, un frétillement de l’âme, une suspension d’éternité. Les haïkus, poèmes japonais au style épuré, sont un outil d’écriture pour Hubert Haddad qui glisse ses pas dans ceux d’un haïkiste imaginaire, Matabei, le personnage poète de son roman "Le peintre d’éventail" (Zulma, 2013).
Hiver de l’hiver
l’air est chargé des cendres
de ceux qu’on aima
Une oeuvre nourrie par les haïkus
Les haïkus, véritables compagnons de route de l’écrivain amoureux du Japon, lui servent de tremplin. Suite au tremblement de terre à Haïti et au tsunami au Japon, les mots arrivent par tombereau, en fragments ciselés, virtuoses d’une temporalité, d’un ici et maintenant, d’une humanité frappée par les éléments naturels. Hubert Haddad soulage sa peine en abandonnant toute autre pratique que celle des haïkus. Il en écrit cinq cents, huit cents. Le fruit, mûr, tombe près de cet arbre éprouvé.
Un sujet de roman lui vient. Face à l’anéantissement ne reste que la beauté, une dilatation du temps où les choses peuvent exister dans une certaine sérénité. Hubert Haddad invente son jardin et son peintre d’éventail. Une œuvre nourrie, portée par tous les haïkus issus de son imaginaire.
A l’envers de l’arbre
la taupe a pris son envol
sur une racine
Deux ouvrages qui se répondent
Au roman "Le peintre d’éventail" s’attache ce recueil de haïkus. Le jardin du jardin, l’œuvre dans l’œuvre, l’incipit. Deux ouvrages mêlés qui se répondent, se nourrissent. Fragile, célébrant la quintessence de l’instant, le poème en dix-sept mores prend ses aises sur les pages blanches, joue des instants suspendus. Le haïku est le contraire de l’aphorisme. C’est la saisie d’un moment, un élément de fragilité, l’image de notre conscience, de notre présence au monde.
Les enfants comprennent très vite la pertinence de l’exercice. Ici, rien d’explicite; ni philosophie, ni humour. "Le haïkiste se doit d’être comme le méditant devant le jardin japonais de sable et de pierre pour que, tout à coup, il y ait une révélation secrète ou absolue", confie Hubert Haddad.
A travers le temps
l’urine des dinosaures
se boit à la source
La force des âmes
Le lecteur fait l’expérience d'un anéantissement heureux. Il n’y a plus rien qui retient la pensée. Tout est juste, même les drames, les tragédies, c’est ainsi et rien de plus! Le poète ne se coupe pas du monde. Maître zen, il l’embrasse, le terrasse et le couche, à plat, en paysage sonore, en philosophie orale, en musique d’une langue qui clame en beauté notre liberté. Le haïku n’est jamais un slogan. Libre, il crée la surprise, enchante à l’infini. "Liberté", clamait Eluard. Les mots d’un poète qui résonnent toujours en adéquation. Aujourd’hui, comme hier, les poèmes sont la force des âmes, la force des hommes, ceux qui nous rendent foncièrement humains.
Rien n’est sans raison
à part cette pomme verte
que je ne sais peindre
Catherine Fattebert/aq
Hubert Haddad, "Les Haïkus du peintre d’éventail", ed. Zulma.
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