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Leïla Slimani poursuit son histoire personnelle du Maroc

L'écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani. [AFP - Lionel Bonaventure]
Entretien avec Leïla Slimani, autrice de "Regardez-nous danser". / QWERTZ / 33 min. / le 3 février 2022
Prix Goncourt 2016, Leïla Slimani publie le deuxième tome de sa trilogie consacrée à l’histoire moderne du Maroc. Avec "Regardez-nous danser", l’autrice française explore la période post-coloniale de son pays d’enfance.

Le Maroc dans les années 1970 était le paradis des babas cools. Mais qui s’en souvient? Leïla Slimani, qui dans son dernier livre a décidé de nous raconter la période post-coloniale du pays où elle est née et où elle a grandi.

"Regardez-nous danser" est le titre du nouveau roman de cette autrice qui avait décroché le Goncourt avec "Chanson douce" en 2016. Il constitue le deuxième tome d’une trilogie, "Le pays des autres", débutée en 2020 avec "La guerre, la guerre, la guerre". Slimani y racontait le mariage à la fin de la deuxième guerre mondiale d’une Alsacienne, Mathilde, avec Amine, jeune Marocain enrôlé par l’armée et venu se battre en métropole à l’époque où le Maroc était encore une colonie française.

Dans la tête de nombreux personnages

Ce nouveau tome débute en 1968. Mathilde et Amine sont des propriétaires terriens prospères. Dans le Maroc fraîchement indépendant, bourgeois français et autochtones se fréquentent dans une apparente bonne entente, mais la pauvreté règne. Leur fille Aïcha fait des études de médecine, leur fils Selim est au lycée. Avec beaucoup de maîtrise, Slimani va braquer son projecteur à tour de rôle sur chacun de ces personnages, mais aussi sur plusieurs autres, les frères et la sœur d’Amine, des amis, pour faire comprendre de l’intérieur ce qu’il se passait dans le Maroc de ces années-là.

J’ai fait le choix de la polyphonie. Le but est de raconter l’histoire récente de mon pays. Pas avec un seul point de vue, mais au contraire en embrassant des destins individuels. Toute époque peut être racontée de façon différente selon l’endroit où l’on se situe, selon que l’on est dominant ou dominé, homme ou femme, français ou marocain.

Leïla Slimani

Le procédé littéraire est efficace, et Leïla Slimani parvient à se glisser dans les pensées et les convictions des uns et des autres, sans privilégier aucun personnage. En toile de fond, le Maroc indépendant, pays jeune et plein de promesses mais dont la monarchie va peu à peu devenir de plus en plus autoritaire à mesure qu’avancent les années 1970.

Pour écrire cette trilogie, Slimani dit s’être inspirée en grande partie de l’histoire de sa famille. Elle a su pourtant se tenir à distance et parler des siens sans tomber dans l’idéalisme.

Au plus près des sensations

La génération d’Aïcha et ses copains est particulièrement bien observée. Et dans le personnage de Mehdi, l’amoureux d’Aïcha, on peut retrouver des traits du père de Slimani, dont elle a évoqué le parcours dans "Le parfum des fleurs la nuit".

On se prend d’amitié pour ces jeunes gens politisés et pleins d’énergie qui ne mesurent pas forcément ce qui se joue autour d’eux. "La plupart du temps, on ne comprend pas son époque, fait remarquer Leïla Slimani. On vit préoccupé par ses problèmes personnels, sa grossesse, la personne dont on est amoureux, plutôt que par ce qui se passe autour de nous et de par le monde. Les individus sont écrasés par l’histoire, ils sont perdus dedans."

Et ils allaient danser, tous les soirs, dans les boîtes de la côte. Ils roulaient parfois jusqu’à la Corniche de Casablanca et se déhanchaient dans un de ces clubs où quinze ans auparavant des pancartes indiquaient: interdit aux Marocains.

Leïla Slimani, "Regardez-nous danser"

Souffle romanesque, puissance d’évocation et étude historique précise de la période évoquée. Le pari de revenir sur des événements injustement oubliés est réussi. Pour autant, Slimani a su écrire plus qu’une grande fresque. Elle est entrée dans l’intimité de ses personnages, et même dans leur chair.

Ici, on retrouve l’écriture précise de l’autrice de "Chanson douce", qui va au plus près des sensations et des corps pour chercher la violence tapie dans ses personnages. Et c’est bien la violence qui relie tous les livres de Leïla Slimani, et une certaine façon de considérer la famille comme un microcosme où se jouent tous les bouleversements à l’œuvre dans la société qui l’entoure.

Sylvie Tanette/ads

Leïla Slimani,  "Regardez-nous danser. Le pays des autres 2", ed. Gallimard.

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