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Avec son roman "Le sang des bêtes", Thomas Gunzig explore l’amour vache

Thomas Gunzig. 
Corentin Vandenbranden [Corentin Vandenbranden]
Entretien avec Thomas Gunzig, auteur de "Le sang des bêtes" / QWERTZ / 27 min. / le 13 janvier 2022
Comment réagit-on quand son quotidien plan-plan, voire meuh-meuh, est bousculé par l’arrivée d’une femme vache? Tendre et drôle, "Le sang des bêtes" de Thomas Gunzig pose les interrogations du genre, voire de l’espèce, celles du mi-temps de la vie et celles de la quête du bonheur vrai.

Tom a la cinquantaine bodybuildée. Complexé par son corps, engoncé dans des certitudes, portant sa judéité comme un fardeau, il voit son existence s’éparpiller le jour où il fait preuve d’un courage qu’il ne soupçonnait pas. En secourant, dans la rue, une jeune femme maltraitée, le voilà qui se retrouve face à ses contradictions, ses doutes et ses problématiques existentielles. Car la jeune femme, N7A, n’est autre qu’une vache génétiquement modifiée.

J’ai l’impression qu’à chaque époque, il y a des histoires qui semblent capables de résumer les interrogations, les malaises du moment. Ces questions de genre, de corps, d’identité, de race, d’espèce, faisaient sens aujourd’hui.

Thomas Gunzig

Insérer du merveilleux dans le quotidien

Reprenant les principes d’une nouvelle parue dans "Le plus petit zoo du monde" en 2003, jouant du titre, "Le sang des bêtes", emprunté au film d’abattoirs de Georges Franju, Thomas Gunzig y ajoute une histoire familiale.

Un sujet passionnant, organique, fait de grandeur et de misère. "La famille peut être le terrain de quelque chose qui vous détruit mais aussi vous donne la vie. C’est quelque chose de totalement paradoxal", confesse l’écrivain belge. L’insertion du merveilleux dans le quotidien lui permet d’éclairer les travers de cette réalité, de la transfigurer, d’ouvrir à la fable, voire au conte moral. "La réalité est tellement compliquée, explique encore l’auteur. La seule façon d’y survivre est de faire preuve d’imaginaire".

Quand la singularité fait la force

De là à s’imaginer soi-même pour se réapproprier sa singularité, il n’y a qu’un pas. Pour pouvoir grandir au sein de sa propre famille, voire de la famille humaine au complet, il faut se découvrir et s’accepter. N7A, la vache-femme ou femme-vache, échappe à toute normalité. Sa singularité fait sa force, sa résilience, sa liberté, même s’il est terrifiant d’être un animal dans le monde des humains.

Il faut se battre pour ressembler à cette chose extraordinairement passionnante et singulière qui est simplement ce qu’on est profondément. Au-delà des défauts, des qualités, il faut accepter sa singularité.

Thomas Gunzig

L'effacement des certitudes

Une acceptation qui passe par la parole, la pensée, mais aussi par une corporalité, une incarnation. Thomas Gunzig avoue avoir grandi contre son propre corps. Il lui a fallu du temps pour l’accepter.

Dans "Le sang des bêtes", il évoque les injonctions sociales et ce qu’on pose comme normalité ou monstruosité. Les questions de genre, d’identité, de génétique sont disloquées pour permettre à Tom, à sa famille, et à N7A de trouver leur propre voie. La clé du bonheur, si elle n’est pas la clé des champs, est à chercher du côté de l’effacement des certitudes.

J’ai de plus en plus de passion pour l’incertitude et le doute. Les certitudes nous vont assez mal. Nous sommes fabriqués dans le doute. Nos espaces de bonheur sont les zones de doutes et notre pire ennemi est une zone de certitudes.

Thomas Gunzig

Le courage est finalement ce qui caractérise les personnages de ce récit allant au bout d’eux-mêmes, ouvrant leurs œillères, glissant un regard à la fois attendri et désespéré sur notre condition d’être vivant, au sein d’un tout.

Dans ce roman à l’humour vache, on prend conscience que le spécisme et la négation de soi sont aussi insupportables que le sexisme et le racisme.

Catherine Fattebert/aq

Thomas Gunzig, "Le sang des bêtes", Au Diable Vauvert.

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