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Franz Kafka, les métamorphoses d’un dessinateur méconnu

Carnet de dessin. Dessins de Frank Kafka. [The literary Estate od Max Brod, National Library of Israel. Les Cahiers dessinés, 2021.]
Entretien avec Andreas Kilcher, co-auteur de "Kafka, les dessins" / QWERTZ / 30 min. / le 3 décembre 2021
Les dessins de Franz Kafka ont été longtemps inaccessibles au public. Un ouvrage paraît enfin, sous la direction du professeur Andreas Kilcher, offrant au regard une centaine de dessins inédits. Le monde onirique de l’écrivain, à la croisée de la caricature, éclaire une autre facette de son talent.

Franz Kafka se métamorphose. D’écrivain, le voilà dessinateur, saisissant sur le vif toutes sortes de personnages, de situations, dans un mouvement libre et fragile, résolument moderne. Longtemps inaccessibles au public, ses dessins font aujourd’hui l’objet d’une édition intégrale, aux Cahiers Dessinés.

Chevaux et cavaliers 2. Dessins de Franz Kafka. [The Literary Estate of Max Brod/National Library of Israel]
Chevaux et cavaliers 2. Dessins de Franz Kafka. [The Literary Estate of Max Brod/National Library of Israel]

Suivant avec attention le procès qui oppose l’Etat d’Israël aux héritiers de Max Brod, l’ami de Franz Kafka, récipiendaire de l’œuvre écrite et dessinée de l’artiste, Andreas Kilcher prend connaissance de tout le matériel foisonnant qui dort encore dans le coffre d’une grande banque zurichoise. Professeur de littérature et d’études culturelles, auteur de nombreux ouvrages sur l’écrivain, Andreas Kilcher ne pouvait que rêver de visionner cette matière et de la travailler.

Chose faite en 2019 quand la bibliothèque nationale d’Israël expose, pour la première fois, l’œuvre dessinée de Kafka. Les contacts sont pris et Andreas Kilcher se lance avec Pavel Schmidt, sculpteur et plasticien et Judith Butler, philosophe et professeure, dans un véritable catalogue raisonné. "Je n’ai pas fait de sélection, j’ai montré tout ce qu’il existe. Il y a non seulement tous les dessins qui sont maintenant à Jérusalem dans la bibliothèque nationale d’Israël, mais aussi les dessins qui se trouvent à Oxford, à Marbach et à Vienne. Nous avons collecté tous les dessins que l’on connaît à ce jour", explique Andreas Kilcher.

Kafka dessine depuis toujours

Si ces dessins, comme les écrits, nous sont parvenus, c’est grâce à l’entêtement et à la vision de Max Brod. Un ami, mais aussi un agent, un inventeur de Franz Kafka. C’est lui qui, dès leur rencontre au cours de leurs études, voit en Kafka un génie. Il ne le sait pas encore écrivain, mais il le sait dessinateur. Car Franz Kafka dessine depuis toujours. Homme intéressé par l’histoire de l’art, par l’art contemporain, il est influencé par la philosophie du Kunstwart, un magazine d’art allemand, certainement le plus important de la fin du XIXe siècle. Dans la philosophie du Kunstwart, on trouve cette idée que l’art doit s’exercer en tous lieux, libre, s’intégrer dans la vie, dans l’environnement familier. La beauté doit être partout. Quand Max Brod découvre les dessins de son ami, il se met très vite à les collectionner, repêchant parfois des pages dans la poubelle.

Franz Kafka griffonne, s’amuse en marge de ses cahiers, sur des feuilles volantes, sur des cartes postales, dans des carnets de voyage. Il crée des personnages en quelques lignes qui frôlent la caricature. Des paysages non représentatifs. Le trait est fluide, fragile, le dessin est comme un jeu. L’art de dessiner pour Kafka est une évidence, presque un exutoire.

Écrire des textes pour lui était difficile. L’écriture n’a jamais été fluide, tandis que dessiner allait très vite. Il ne le dit pas mais on le voit. Les dessins sont en mouvements, fragmentaires, élégants.

Andreas Kilcher

Amoureux des arts et des artistes, Frank Kafka et Max Brod fréquentent assidûment les jeunes talents de leur temps. La rencontre avec le groupe des Huit, OSMA, a une influence durable sur l’art des pleins et déliés de l’écrivain. Les Huit, ce sont huit artistes allemands et tchèques résolument tournés vers l’art moderne. Mais une rencontre, particulièrement, va avoir un impact durable sur les dessins de Kafka. Celle qu’il fait avec le Japonisme à travers une exposition d’Emil Orlik à Prague.

Pas seulement pour Kafka, mais aussi pour toute une génération de jeunes intellectuels, écrivains, artistes cette exposition a été un événement très formateur, parce que le Japonisme c’est un tournant vers un art presque abstrait. Avec seulement quelques traits, on peut construire une image.

Andreas Kilcher

Dessiner avec très peu de traits, aller vers l’abstraction, une technique que Kafka reproduit dans ses œuvres écrites. "On montre seulement quelques traits qui sont plutôt des signes qu’une image. Ils réfèrent à quelque chose qu’on ne voit pas. Et le spectateur doit s’imaginer le monde à travers les signes".

Les premiers dessins sont exempts de relation avec les textes. Les choses changent à partir de 1908 et jusqu’à sa mort en 1924. Dès lors, tous les dessins sont plus ou moins en connexion avec quelque chose d’écrit. Un dialogue s’instaure. Texte et sous-texte ou simplement le reflet des préoccupations, passions, envies, et ironie d’un auteur artiste à la recherche d’une expression tant plastique que littéraire hors-norme. Une chose est sûre, Franz Kafka exprime à travers toutes ses œuvres une modernité complètement actuelle.

Catherine Fattebert/olhor

"Kafka, les dessins", sous la direction de Andreas Kilcher avec Pavel Schmidt et Judith Butler, ed. Les cahiers Dessinés.

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