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La vie de l'artiste suisse Armand Schulthess racontée par Lucienne Peiry

L'écrivaine Lucienne Peiry. [Editions Allia]
Entretien avec Lucienne Peiry, autrice de "Le jardin de la mémoire" / QWERTZ / 20 min. / le 9 novembre 2021
Autrice et spécialiste de l’Art Brut, Lucienne Peiry signe "Le jardin de la mémoire", un délicieux récit illustré de photos noir et blanc. L’histoire d’Armand Schulthess, un homme qui crée au milieu du 20e siècle un "jardin cosmogonique" dans un coin perdu du Tessin.

"Effacé, silencieux, timide, à l’attitude humble et modeste", selon ses collègues, Armand Schulthess, né en en 1901 à Neuchâtel, vit une existence en apparence normale jusqu’à ses cinquante ans. Dans "Le jardin de la mémoire", l’historienne d’art Lucienne Peiry nous décrit cette vie, cette double vie, comme dans un roman à suspens… Car l’homme semble tout à fait "rangé": il se marie (deux fois), il travaille dans la confection, puis devient fonctionnaire de l’administration fédérale. Mais sous la glace couve le feu.

A cinquante ans, il largue les amarres, il quitte Berne, la Confédération, son emploi, sa vie bien réglée… il quitte tout.

Lucienne Peiry

Le temps de l'exil

C’est l’exil pour le Tessin: Auressio, dans le Val Onsernone au-dessus de Locarno, où sera créée l’œuvre de la seconde moitié de vie d’Armand Schulthess. Mais bien avant cela, et sans en souffler mot à quiconque, il a commencé son travail créatif. "Il crée des cahiers, des ouvrages, des livres, où il collectait des informations concernant toutes sortes de domaines", raconte Lucienne Peiry à la RTS.

Il va constituer une bibliothèque insolite, insolente presque, qui sera la source même de toute son aventure.

Lucienne Peiry

Un labyrinthe poétique

Plusieurs artistes et écrivains suisses s’intéressent à Armand Schulthess et à ce "jardin" (très vaste en fait, quarante-huit hectares) constellé d’objets, plaques, dessins, références, panneaux, tous bricolés par lui.

Corinna Bille, Max Frisch et Ingeborg Lüscher vont chacun lui consacrer un texte. Une nouvelle, pour Corinna Bille, intitulée "Le propriétaire" (1955): le récit d’une promenade improvisée sur les terres d’Armand Schulthess "aux pentes abruptes où nous avons vu des choses effarantes". Pour Max Frisch, dans "L’homme apparaît au quaternaire" (1979), la fascination qu’exerce ce personnage et ce lieu, avec ses découpages de bible et d’encyclopédie, ses thématiques variées, géologie, zoologie, histoire, tourisme, anatomie, etc., renvoie à une angoisse de la solitude et de la mort.

Mais ces deux écrivains n’ont pas vraiment approché Armand Schulthess. Ingeborg Lüscher, auteure des photos qui illustrent le livre "Le jardin de la mémoire", aura, elle, patiemment apprivoisé le farouche artiste. Et permis de mieux de le comprendre.

Ce labyrinthe poétique constitue un acte de résistance symbolique. Dans la plus grande solitude et avec une détermination sans faille, l’ancien fonctionnaire a tenté de réorganiser le cosmos et de réordonner la pensée humaine.

Lucienne Peiry, "Le Jardin de la mémoire"

Ce lieu très vaste, très investi par son propriétaire qui en fait une sorte de "parc du savoir", a été totalement rasé. Armand Schulthess meurt en 1972. En 1973 tout est brûlé sur demande de ses héritiers… Pourquoi? "Il ne pouvait pas être compris. Il était trop fantasque. Ses idées étaient trop étonnantes, il va à l’encontre de manière trop libre des conventions, des normes et des règles. Son projet était utopique", conclut Lucienne Peiry.

Isabelle Carceles/sb

Lucienne Peiry, "Le jardin de la mémoire", ed. Allia.

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