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Selon Michel Houellebecq, le monde d'après sera encore "un peu pire"

Michel Houellebecq en 2015, au moment de la sortie de "Soumission". [AFP - PATRIK STOLLARZ]
Michel Houellebecq en 2015, au moment de la sortie de "Soumission". - [AFP - PATRIK STOLLARZ]
L'avènement d'un "nouveau monde" après la crise engendrée par l'épidémie de coronavirus, "un virus banal et sans qualité", ne convainc pas l'écrivain français le plus traduit dans le monde. Il voit au contraire une accélération de la diminution des contacts humains.

Si de nombreuses personnalités du monde des livres - de Leïla Slimani à Riad Sattouf - se sont exprimées sur l’épidémie de coronavirus depuis la mi-mars, Michel Houellebecq était resté discret. Célébré pour sa capacité à capter l'époque et à l'anticiper, l'auteur de "Soumission" est sorti de sa réserve lundi 4 mai. Après une cinquantaine de jours de confinement, il a écrit une lettre publiée sur le site de France Inter où son pessimisme - ou sa lucidité - n'a d'égal que son ironie. Son message commence ainsi: "Il faut bien l’avouer: la plupart des mails échangés ces dernières semaines avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlo­cuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être."

La perte des contacts humains

L'auteur français le plus traduit dans le monde considère d'abord ce virus "même pas sexuellement transmissible" comme "sans qualité", avant de récuser l'idée d'un monde d'après plus généreux et solidaire. "Je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre, rien ne sera plus jamais comme avant. Au contraire, tout restera exactement pareil", affirme l'écrivain, qui ajoute "en un peu pire".

L'épidémie de coronavirus, estime le romancier, "devrait avoir pour principal résultat d'accélérer certaines mutations en cours" dont, notamment, "la diminution des contacts humains". Mais pas de manière spectaculaire, "plutôt morne" à l'image de ce qu'il décrivait lui-même en 2005 dans "La Possibilité d'une île", un roman d'anticipation qui racontait "des indi­vidus vivant isolés dans leurs cellules, sans contact physique avec leurs sembla­bles, juste quelques échanges par ordina­teur, allant décroissant".

Un écrivain, ça doit marcher

Le prix Goncourt 2010 pour "La Carte et le territoire" ne croit pas davantage à une prise de conscience de notre destin. "Il serait tout aussi faux d'affirmer que nous avons redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc...", poursuit l'écrivain, qui égratigne dans sa lettre quelques écrivains confinés dans leur résidence secondaire mais en profite pour relancer la querelle entre Flaubert et Nietzsche, le premier jugeant qu'il faut être assis pour écrire, le second affirmant qu'il a conçu tous ses ouvrages en marchant. Tout cela pour exprimer son principal désarroi dans cette période de confinement strict: "un écrivain, ça a besoin de marcher".

Des vies réduites en statistiques

Alors que l'épidémie de Covid-19 a causé la mort de près de 25'000 personnes en France, Houellebecq affirme que jamais la mort n'aura été aussi discrète qu'en ces dernières semaines. "Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les inci­nère? l’incinéra­tion est davantage dans l’esprit du temps), sans convier person­ne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quoti­diennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait."

Michel Houellebecq constate un autre chiffre, devenu obsessionnel, celui de l'âge des victimes. "Jusqu'à quand convient-il de les réanimer et de les soigner? 70, 75, 80 ans?", s'interroge-t-il. "Jamais en tout cas on n'avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n'a pas la même valeur", conclut-il.

Cette lettre a mis en émoi les réseaux sociaux qui se disputent la pertinence de l'analyse, les pour et les contre Houellebecq s'entredéchirant comme les pour ou les contre docteur Raoult. Nouvelle polémique en vue...

afp/ats/mcm

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