Et Jeanne Moreau inventa l'actrice moderne

On peut résumer une carrière en chiffres: quelque 130 films, cinquante pièces, dont "La Servante Zerline", et une vingtaine de chansons inoubliables. Mais Jeanne Moreau, irréductible femme libre, ne saurait se réduire à une équation comptable, même impressionnante.

Dès qu'il y a une nouvelle vague, on m'appelle.

Vrai de Louis Malle qui la veut pour "Ascenseur pour l'échafaud", alors même que le roman dont il est tiré ne comprend pas de personnage féminin. Le jeune réalisateur a écrit le rôle rien que pour elle, avec l'aide de Roger Nimier.

Vrai des "Amants", premier film qui exprime l'orgasme sans détour.

Vrai de "Jules et Jim" de Truffaut qui met le réalisateur de la Nouvelle Vague sur orbite et fait de Jeanne Moreau l'éternelle interprète du "Tourbillon de la vie".

Vraie des "Valseuses" de Bertrand Blier où, à 46 ans ans, elle accompagne dans son ascension la nouvelle génération de comédiens, Depardieu, Miou-Miou et Patrick Dewaere.

Vrai des films de son amie Marguerite Duras qu'elle finira même par incarner dans "Cet amour-là".

Vrai des trois films qu'elle tourne sous la direction d'Orson Welles, complètement ostracisé à l'époque, et pour lequel elle travaille quasiment gratuitement.

Enfance plutôt pauvre

Le documentaire montre combien Jeanne Moreau, qui a toujours mélangé sa vie et son métier, a été annonciatrice de l'émancipation des femmes, refusant les rôles qui les confinaient dans des positions de dépendance ou de potiche.

Le narrateur du documentaire, Jacques Bonnaffé, évoque aussi la maternité, à 21 ans, de Jeanne Moreau qui reconnaît n'avoir jamais été "maternelle", même si elle a vécu l'enfer pendant le tournage de "Moderato Cantabile". Son fils de dix ans était alors entre la vie et la mort, à la suite d'un grave accident de voiture avec Jean-Paul Belmondo, son partenaire dans le film de Peter Brook.

La démarche de Mlle Moreau

Jeanne Moreau a toujours privilégié la carrière à la famille. Une manière d'exorciser sa culpabilité d'enfant. Toute sa vie en effet, Jeanne Moreau a cru avoir été un obstacle à l'épanouissement professionnel de sa mère, danseuse anglaise tombée enceinte alors qu'elle ne le souhaitait pas.

Si le cinéma des années 50 ne voyait en elle qu'une starlette à la bouche tombante et au regard triste - même si elle fut la benjamine de la Comédie Française - les décennies suivantes ont vu en elle la star de la modernité. Et si pour le public sa voix était devenue une signature, pour de nombreux cinéastes, dont Luis Bunuel, c'est sa démarche qui la distinguait de toutes les autres actrices.

Une démarche altière et ondulante, à l'image de ses longues déambulations dans "La Notte" ou "Ascenseur pour l'échafaud", et plus tard dans "La Vieille qui marchait dans la mer".

Réalisation web Marie-Claude Martin