"La vie est belle" de Frank Capra, l'un des plus beaux contes de Noël

Grand Format Cinéma

AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL

Introduction

Sorti en 1946, "La vie est belle" de Frank Capra, avec James Stewart, Donna Reed et Lionel Barrymore, est devenu un film culte et un véritable hymne au cinéma. Il raconte l'histoire d'un homme qui, à la veille de Noël, veut se suicider. Il est sauvé par un ange qui lui montre comment serait le monde s’il n’était pas né.

Chapitre 1
Une comédie dramatique existentialiste

AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL

Avec "La vie est belle" ("It's a Wonderful Life"), Frank Capra (1897-1991) pose un regard réaliste, mais plein d'espoir sur ses contemporains. La vie n'a pas toujours été facile pour ce fils d'émigrés siciliens illettrés. Le réalisateur est parti à la guerre, en Europe, et en revient désabusé et secoué. Mais il a toujours foi en l'humain, en ses capacités à rebondir et à se réinventer.

Le réalisateur Frank Capra. [AFP - Collection ChristopheL]
Le réalisateur Frank Capra. [AFP - Collection ChristopheL]

Eduqué par le cinéma muet, Capra sait bien que ce sont les conflits et les contrastes qui font rouler une bonne fiction. La cruauté ne lui est pas étrangère. Il sait passer du noir au rose, et va faire de son conte merveilleux une symphonie polymorphe.

C’est mon meilleur film.

Le réalisateur Frank Capra, à propos de "La vie est belle"

>> A écouter: l'émission Travelling consacrée au film :

LA VIE EST BELLE de Frank Capra (1946). [AFP - RKO / COLLECTION CHRISTOPHEL]AFP - RKO / COLLECTION CHRISTOPHEL
Travelling - Publié le 24 décembre 2023

Chapitre 2
Sauvé par un ange

AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL

Veille de Noël, 1945. A Bedford Falls, une petite ville américaine bien tranquille, George Bailey (James Stewart) est désespéré. A tel point qu'il envisage de se suicider en se jetant d'un pont.

Mais il est rattrapé par un ange apprenti, Clarence (Henry Travers). S'il parvient à sauver George, Clarence gagnera ses galons, soit ses ailes, et deviendra un vrai ange.

Henry Travers (Clarence) et James Stewart (George) dans "La vie est belle" de Frank Capra. [AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL]
Henry Travers (Clarence) et James Stewart (George) dans "La vie est belle" de Frank Capra. [AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL]

Pour mieux connaître George, Clarence revoit la vie du suicidaire. Il y apprend qu'à 12 ans, George a sauvé son frère Harry de la noyade. Il a également sauvé un autre enfant en l'empêchant de s'empoisonner. Il était alors employé comme garçon de course chez le pharmacien du village et avait vu que celui-ci avait fait une erreur dans la posologie.

Adulte, George continue à faire le bien autour de lui. Il se sacrifie pour laisser son frère partir étudier à sa place. Il renonce à ses rêves de devenir architecte et reprend le bureau de crédit immobilier de son père. C'est un gentil, prêt à tout pour les autres.

A la veille de Noël, alors qu'il attend le retour de son frère Harry de la guerre, son oncle égare une grosse somme d'argent qui aurait pu sauver sa société de crédit.

Monsieur Potter (Lionel Barrymore), un homme d'affaires sans scrupules, trouve l'argent et l'empoche malhonnêtement, allant jusqu'à téléphoner à la police et accuser les Bailey de vol.

James Stewart, Thomas Mitchell et Lionel Barrymore dans "La vie est belle" de Capra en 1946. [AFP - Collection Cinema / Photo12]
James Stewart, Thomas Mitchell et Lionel Barrymore dans "La vie est belle" de Capra en 1946. [AFP - Collection Cinema / Photo12]

Risquant la faillite et la prison, George se saoule et se rend sur le pont pour se jeter dans la rivière. C'est alors qu'apparaît Clarence. George, désespéré, lui avoue qu'il aurait mieux valu qu'il ne naisse jamais. Clarence projette alors George dans un monde fantastique dans lequel effectivement, il n'aurait jamais existé. Un monde triste, dur, sans compassion, sans amour, sans morale, avec pas mal de morts.

George supplie Clarence de lui rendre sa vie. C'est alors que George se rend compte que tout le monde s'est mobilisé pour l'aider et s'est cotisé pour rembourser la somme d'argent égarée.

Heureux que tout se finisse bien, Clarence lui rappelle qu'un homme qui a des amis n'est jamais un raté.

Chapitre 3
Le film d'un homme qui a fait la guerre

AFP - Collection Cinema / Photo12

En 1945, Frank Capra tombe par hasard sur l'histoire qui lui inspire son film: "The Greatest Gift", parue en 1939 et signée Philip Van Doren Stern. Il est presque extatique: "C'était l'histoire que j'avais cherchée toute ma vie", dira-t-il plus tard.

Elle mêle tout ce qu'aime le réalisateur: George Bailey, citoyen d'une petite ville, combine innocence et détermination, bonté et ambition. Sa vision candide du monde est fondée sur la générosité et la solidarité.

Le réalisateur Frank Capra avec l'acteur James Stewart. [AFP - Collection ChristopheL]
Le réalisateur Frank Capra avec l'acteur James Stewart. [AFP - Collection ChristopheL]

Qu'un miracle ou l'intervention d'un ange soient nécessaires au triomphe de la justice en dit long sur l'optimisme de Capra en 1946. "Il était devenu plus anxieux, il n'était plus le réalisateur heureux et plein d'attentions qu'il était avant la guerre", explique Joe Walker, son directeur de la photographie depuis 1928. Revenu de la guerre, Capra a la désagréable surprise de s'apercevoir qu'Hollywood l'a oublié et que le monde a changé.

"La vie est belle" est le film d'un homme qui a vu et filmé des horreurs. Un film sur le lien social, le seul lien important, l'influence de chacun de nos gestes, de nos comportements sur notre entourage, un film à la fois désespéré et lumineux.

Chapitre 4
George, le communiste

AFP - Archives du 7eme Art / Photo12

En 1946, Frank Capra, son scénario sous le bras, ses comédiens choisis, sa maison de production Liberty Films engagée, s'attelle à l'oeuvre de sa vie, son film qui deviendra culte.

Mais 1946, c'est aussi l'après-guerre, l'épuration, le renouveau, l'espoir et surtout avant la chasse aux sorcières qui va secouer l'Amérique quelques années plus tard. A tel point que "La vie est belle" fait l'objet d'un mémo du FBI.

Car l'attitude de George, si aimant, si aidant, si ouvert aux autres, ne peut pas être autre chose qu'un communiste.

Chapitre 5
Un tournage XXL

AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL

Le tournage débute le 15 avril 1946. On tourne dans les studios de la RKO, du côté de Culver City, en Californie, mais aussi en extérieur, dans un ranch près de Los Angeles.

C'est là que l'on construit le décor principal, celui de la ville de Bedford Falls. C'est un décor absolument gigantesque. Tout y est: des immeubles, des boutiques, des maisons, même des usines, le tout sur une surface de plus de 16'000 mètres carrés.

On aménage le décor, on y amène des pigeons, des chats, des chiens, des voitures, des plantes. Et beaucoup de gens. On engage 2000 figurants qui restent sur place et doivent être nourris pendant quarante jours.

Comme le film se déroule la veille de Noël, on invente une neige artificielle, un mélange de neige carbonique et de cornflakes écrasés, pour tenir sous la chaleur du soleil californien.

"La vie est belle" de Frank Capra en 1946. [AFP - Collection Cinema / Photo12]
"La vie est belle" de Frank Capra en 1946. [AFP - Collection Cinema / Photo12]

Dans ce décor, on place tous les acteurs. James Stewart pour commencer, le chouchou de Frank Capra, un homme qui a fait la guerre. Il revient à Hollywood fraîchement démobilisé pour incarner le good guy absolu, intègre et probe, face aux forces du mal de l'affairisme conservateur.

Pour jouer son épouse à l'écran, Donna Reed, très année 1950, mais avec un brin de candeur en plus. Pour le rôle du pharmacien, H.B. Warner, un acteur britannique qui, lors de la scène où il doit frapper le jeune George, est soûl et blesse légèrement son jeune partenaire.

Dans l'ensemble, le tournage se passe bien, à part quelques frictions entre le réalisateur et son chef opérateur qu'il fait remplacer par son ami Joseph Walker. Le tournage se termine après quatre-vingt-dix jours, le 27 juillet 1946.

James Stewart et Frank Capra sur le tournage de "La vie est belle" en 1946. [AFP - Liberty Films / Collection ChristopheL]
James Stewart et Frank Capra sur le tournage de "La vie est belle" en 1946. [AFP - Liberty Films / Collection ChristopheL]

Quand il sort dans les cinémas, "La vie est belle" est censé assurer le succès de la maison de production de Frank Capra. Mais tout ne se passe pas vraiment comme prévu.

Chapitre 6
Sortie et succès tardif

AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL

En décembre 1946, "La vie est belle" sort en avant-première à New York. Optimiste, Frank Capra sent que ce film, éminemment personnel, va faire le bien autour de lui. Mais il est un peu trop en avance sur son temps.

Au moment de sa sortie, ce film où la bonté s'étale comme de la confiture trop sucrée sur une tartine trop beurrée, rebute la critique. André Bazin se déclare écœuré. L'humour du film, la gaucherie de James Stewart ne l'ont pas ébranlé.

Aux Etats-Unis, le film ne plaît pas. En Europe, il peine à se faire une place dans les cinémas d'après-guerre. Mais en 1971, la donne change.

Les droits du film ne sont pas renouvelés et "La vie est belle" entre dans le domaine public. Dès lors, il est tout à fait rediffusable par les télévisions locales américaines qui ne s'en privent pas. Le film devient, au même titre que "Le magicien d'Oz", l'un des films de Noël les plus diffusés.

En 1994 toutefois, les droits sont récupérés. Mais entre-temps, le film est devenu culte.

Frank Capra et James Stewart sur le tournage de "La vie est belle" en 1946. [AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL]
Frank Capra et James Stewart sur le tournage de "La vie est belle" en 1946. [AFP - Liberty Films II / Collection ChristopheL]

Quant à Frank Capra, il écrit dans son autobiographie: "Je me fichais pas mal de ce que les critiques pouvaient bien penser de mon film. (...) C'était mon genre de film, et il était destiné à mon genre de public. (...) C'était un film qui disait à ceux qui avaient perdu le goût de vivre, à ceux qui avaient perdu courage, à ceux qui avaient perdu leurs illusions, au pochard, au drogué, à la prostituée, à ceux qui étaient derrière les barreaux de prison et à ceux qui étaient derrière des rideaux de fer qu'aucun homme n'est un raté!"

"La vie est belle" est un acte de foi dans l'humanité d'un homme qui a vécu mille vies, vécu la guerre, la pauvreté, l'illettrisme, l'immigration, le racisme. Le film d'un optimiste qui l'est resté jusqu'à la fin.