"Le théorème de Marguerite", récit poétique d'émancipation sur fond de mathématiques

L'avenir de Marguerite (Ella Rumpf), brillante élève en mathématiques à l'Ecole normale supérieure (ENS), semble tout tracé. Seule fille de sa promo, elle termine, avec l'aide de son professeur et mentor (Jean-Pierre Darroussin), une thèse portant sur la Conjecture de Goldbach, l'un des plus vieux problèmes non résolus de la théorie des nombres et des mathématiques, qu'elle doit exposer devant un parterre de chercheurs.

Le jour J, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l'édifice s'effondre. Son professeur lui demande de changer de sujet et de mentor. Humiliée et trahie, Marguerite décide de tout quitter pour tout recommencer.

De la jeune femme effacée, dans la négation de sa féminité pour se fondre dans ce monde masculin, Marguerite va petit à petit prendre sa place et s'ouvrir. "C'est tout le trajet du film qui est de dire qu'on peut être une femme puissante en conciliant féminité et mathématique", confie Anna Novion dans l'émission Vertigo du 15 novembre.

Transcrire un décalage

Pour son film, Anna Novion est partie du souvenir d'un moment marquant de sa vie. "Au début, j'ai voulu raconter une période que j'ai traversée: j'ai été malade autour de vingt ans et j'ai dû rester longtemps isolée chez moi. Je me suis sentie en décalage avec les gens de mon âge lorsque j'ai guéri", raconte la cinéaste.

Pour transcrire ce décalage, la réalisatrice a une idée: "J'ai pensé aux grandes écoles, parce que ce sont des gens qui travaillent en vase clos, qui peuvent se sentir isolés, un peu décalés par rapport aux gens de leur âge. C'est comme cela que j'ai rencontré le milieu des mathématiques".

Le film a fini par devenir un vrai parallèle entre la création artistique et la création mathématique.

Mais c'est sa rencontre avec Ariane Mézard, l'une des rares mathématiciennes françaises et professeure à l'Université de la Sorbonne, qui va véritablement agir comme un déclic pour la réalisatrice. "Lorsqu'elle m'a parlé de sa passion, j'ai eu le sentiment qu'elle me parlait de la même passion qui m'anime pour faire du cinéma. Donc le film a fini par devenir un vrai parallèle entre la création artistique et la création mathématique", relève Anna Novion.

Quand la fiction se mêle à la réalité

Les tableaux noirs couverts de formules mathématiques qui se dessinent tout au long du film, la réalisatrice les a pensés comme des oeuvres d'art abstraites à l'image des toiles de Jackson Pollock ou Pierre Soulages plutôt que comme des calculs complexes. "Je pense que cela m'a aidé de ne rien comprendre aux formules mathématiques, parce que je ne les regardais pas avec un oeil averti qui cherche à comprendre, mais comme de l'abstraction totale", souligne Anna Novion.

Je pense que cela m'a aidé de ne rien comprendre aux formules mathématiques, parce que je ne les regardais pas avec un oeil averti qui cherche à comprendre, mais comme de l'abstraction totale.

Les mathématiques dont il est question dans "Le théorème de Marguerite" sont véridiques et réalistes. "C'était important pour moi. J'ai passé tellement de temps à côtoyer des mathématiciens qu'il me semblait qu'il fallait être respectueuse. J'ai demandé à Ariane Mézard d'écrire les mathématiques du film", souligne la réalisatrice. La scientifique se prend au jeu et se met à travailler avec d'autres mathématiciens au point de faire quelques avancées sur la Conjecture de Goldbach.

Les mathématiques servent à comprendre le monde et avec ce film, Anna Novion en livre un point de vue. "Le théorème de Marguerite" est un récit initiatique poétique, mais aussi une comédie romantique qui fait l'éloge de l'échec.

Propos recueillis par Julie Evard et Anne Laure Gannac

Adaptation web: Lara Donnet

"Le théorème de Marguerite" d'Anna Novion, avec Jean-Pierre Darroussin, Ella Rumpf. A voir depuis le 15 novembre 2023 dans les salles romandes.