Publié

"Sans filtre", critique sans concession du capitalisme et de ses excès

Primé au Festival de Cannes "Sans filtre" sort aujourd'hui sur les écrans romands
Primé au Festival de Cannes "Sans filtre" sort aujourd'hui sur les écrans romands / 19h30 / 1 min. / le 28 septembre 2022
Le réalisateur suédois Ruben Östlund signe "Sans filtre" ("Triangle of Sadness"), satire des ultra-riches et des rapports de classe dans les sociétés occidentales. Un film à l'humour aussi marxiste que corrosif qui débarque en salles après avoir décroché la Palme d'or à Cannes.

Croisement de "Titanic" et "La grande bouffe", le film a permis au Suédois Ruben Östlund d'entrer dans le club restreint des cinéastes double palmés à Cannes, aux côtés des frères Dardenne, Ken Loach ou Michael Haneke. Il avait déjà obtenu le titre en 2017 pour "The Square", attaque en règle contre la vanité qui peut entourer l'art contemporain.

Avec "Sans filtre", il embarque cette fois ses spectateurs pour une croisière de luxe déjantée aux côtés d'un mannequin, Carl, et de sa petite amie, Yaya, top model et influenceuse obsédée par son image et sa carrière.  

Le dernier rôle de Charlbi Dean

La sortie du film a été percutée par la mort soudaine, à seulement 32 ans, fin août, de l'actrice sud-africaine qui interprète ce personnage principal, Charlbi Dean. Pour son ultime rôle, elle côtoie à bord du yacht de "Sans filtre" une galerie de richissimes personnages: oligarques russes alcooliques, charmant couple de retraités britanniques ayant fait fortune dans la vente de mines antipersonnel et autres odieux passagers... Ils harcèlent la cheffe de l'équipage de leurs caprices, tandis que cette dernière martyrise à son tour le petit personnel.

Mais une grosse tempête - dont ne se soucie guère le capitaine du bateau, un marxiste totalement ivre au moment crucial - va faire tanguer le navire et faire chavirer cet équilibre.

Un "Titanic" inversé

Dans une sorte de "Titanic" inversé, où cette fois les plus faibles ne sont pas forcément les perdants, Ruben Östlund, 48 ans, décortique les ressorts de classe de fond en comble: les riches contre les pauvres, mais aussi les hommes contre les femmes, et les Blancs contre les Noirs. Une préoccupation au centre de son oeuvre, a expliqué le réalisateur à l'AFP à Cannes. "Je pense que les humains sont très sensibles aux hiérarchies, nous sommes conditionnés pour le grand 'jeu social' dès notre naissance", assure-t-il.

Elevé par une mère communiste dans les années 1970-1980, le Suédois se dit "socialiste":"Je crois en un état fort et une économie mixte". Le personnage de Carl, auquel Östlund s'est "beaucoup identifié", ne cesse de rechercher "l'égalité" dans ses rapports, y compris avec sa compagne, plus célèbre et mieux payée que lui. Avec lui comme avec d'autres protagonistes du film, Östlund excelle, comme dans "Snow Therapy" ou "The Square", à disséquer les petites lâchetés qui s'accommodent toujours mieux des convenances que de la vérité.

Des critiques mitigées

Provocateur, politique, volontiers caricatural et outrancier Ruben Östlund prend bien soin, dans "Sans filtre", d'égratigner aussi les faibles, aussi méchants et médiocres que les puissants. Et prompts à abuser à leur tour du pouvoir dès qu'ils l'obtiennent.

Puissante critique des vanités des riches et célèbres ou farce satirique ennuyeuse, il y a eu débat à Cannes après la remise de la Palme d'or. Pour Rafael Wolf, critique cinéma à la RTS, le film se situe plutôt du côté de la farce satirique qui aurait toutefois pu être efficace, si elle n'était pas si attendue: "C'est un peu le phénomène de l'auteur intéressant qui glisse vers un cinéma formaté à partir du moment où on lui dit qu'il est un génie. [...] Un regard d'un cynisme et d'une misanthropie qui me laisse pantois. J'ai l'impression que le réalisateur regarde et surplombe tous ses personnages avec le même mépris. C'est vraiment un type de cinéma que je déteste". Seul le jeu de Woody Harrelson sort son épingle du jeu et trouve grâce aux yeux du chroniqueur.

A ses côtés dans le débat cinéma de l'émission "Vertigo", le critique Vincent Adatte nuance quant à lui un peu le propos: "Le film démarre bien. [...] Mais effectivement, au fil de son déroulement, il perd de son intérêt".

ld avec agences

Publié