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Le cinéma japonais "en danger", selon les réalisateurs et réalisatrices nippons

Toho cinemas est l'une des plus grands groupes de cinémas du Japon. [CC BY-NC 2.0 - Dennis Amith]
Malgré la reconnaissance critique, le cinéma japonais est en crise / Tout un monde / 4 min. / le 22 août 2022
Récompenses nombreuses dans les festivals de cinéma internationaux, critiques élogieuses: le cinéma japonais semble à première vue en pleine forme. Pourtant, selon les réalisateurs et réalisatrices, le 7e art nippon est en danger, faute de financements et de sang neuf.

Le 14 juin 2022 à Tokyo, la cinéaste et romancière japonaise Miwa Nishikawa ("Cher Docteur") a présenté devant un parterre de compatriotes journalistes le Centre national de cinéma français (CNC). Elle a détaillé les buts de l’institution et expliqué pourquoi le financement des films et des salles qu'elle garantit constitue le ciment du cinéma français. En effet, près de 11% du prix des billets achetés en salle par les spectateurs français est directement reversé comme source de financement au CNC.

Si Miwa Nishikawa parlait du CNC à la presse japonaise, c’est parce que l’institution est pour elle un modèle à suivre. La réalisatrice fait partie d’un comité qui demande la constitution d’un CNC japonais, aux côtés de collègues comme Hirokazu Kore-eda, réalisateur des films "Tel père, tel fils" et "Une affaire de famille", tous les deux récompensés au festival de Cannes. "Je pense qu’il serait bien d'améliorer un tant soit peu les conditions de travail dans le milieu du cinéma, explique Hirozaku Kore-eda à la RTS. Il nous faut un nouveau système d’aide qui rende possible l’avenir et la poursuite du développement de ce secteur. C’est pourquoi nous demandons la création d’un CNC japonais. Il ne s’agit pas d’importer intégralement le système du CNC français au Japon, car cela ne marcherait pas. Nous avons pour cela des recommandations d’ajustement".

Des grands groupes à la tête des salles nippones

Nobuhiro Suwa, réalisateur d’"Un couple parfait", fait lui aussi partie du comité. "Depuis 2008, au Japon, le cinéma japonais rapporte plus que le cinéma étranger. Sur la base de ces seuls chiffres, on pourrait en déduire que le cinéma japonais va très bien. Mais est-ce vraiment la réalité? En fait, les recettes profitent seulement à une partie des sociétés, tandis que les autres s’amaigrissent avec des budgets de plus en plus réduits. En résumé, la situation du cinéma japonais s’aggrave."

Au Japon, les grandes salles de cinéma sont toutes détenues par quelques grands groupes ne passant que des films dont les recettes sont assurées. Tout un pan de la production de films est donc délaissé. Nobuhiro Suwa poursuit: "88% des écrans de cinéma du Japon se trouvent dans des complexes, 12% seulement dans de petits cinémas. Ces derniers sont pourtant les seuls à diffuser près de la moitié des films produits par des réalisateurs et réalisatrices japonais. Si l’on se satisfait de cette situation, on ne verra plus naître de réalisateurs et réalisatrices importants comme Ryusuke Hamaguchi, parce qu’il a appris le cinéma grâce à ces petites salles."

Crise des vocations et harcèlement

Kore-eda, le cinéaste de l'enfance. [Sputnik - Ekaterina Chesnokova]
Kore-eda, le cinéaste de l'enfance. [Sputnik - Ekaterina Chesnokova]

Hirokazu Kore-eda constate aussi que le personnel des tournages vieillit, faute de nouvelles recrues. À l’origine de cette crise des vocations se trouvent des conditions de travail laissant à désirer et des formations inexistantes. Un constat que partage aussi le jeune réalisateur Takuya Uchiyama: "Si l'on ne fait rien pour l’ensemble du secteur maintenant, il n’y a pas d’avenir. Sans personnel, on ne pourra plus continuer à créer des œuvres cinématographiques."

Enfin, les rapports sociaux sur les lieux de tournage participent aussi à cette crise du cinéma. Brimades, harcèlement moral et sexuel: plusieurs réalisateurs ont récemment fait l’objet de dénonciations. Selon le comité, le problème est structurel et ne doit pas être vu comme une affaire de quelques cas isolés. "Des mesures sont nécessaires pour éviter des dérapages et que les victimes puissent trouver une écoute", mentionne le communiqué.

Propos recueillis par Karyn Nishimura

Adaptation web: Myriam Semaani

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