"Buffet froid", un clin d’œil à la trouille

Grand Format Cinéma

AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL

Introduction

Comédie noire et absurde signée Bertrand Blier, "Buffet froid" est sorti en 1979. Il s'agit là d'une bouffonnerie au verbe haut, qui se déguste entre fromage et dessert, avec des petites pincées amères.

Chapitre 1
Comédie noire

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Cinquième long métrage de Bertrand Blier sorti en 1979, "Buffet froid" est une comédie absurde. Tout en riant, on y picore le "nonsense" à l’anglaise, le meurtre désabusé, la viande froide et les cornichons

Le réalisateur français, l’homme qui donne un grand coup de pied dans le cinéma avec "Les Valseuses", met en scène des mammouths: Gérard Depardieu, Jean Carmet et son père, Bernard Blier.

Ecrite en deux semaines, en se basant à la fois sur un cauchemar récurrent et sur la personnalité de Gérard Depardieu, l’histoire est celle d’une rencontre entre trois hommes, un chômeur, un étrange commissaire et un assassin de femmes. Le tout se passe en grande partie dans une tour d’habitation quasi vide.

Michel Serrault, Carole Bouquet et Geneviève Page complètent la distribution. Le film plaît à sa sortie, d’aucun disent qu'il s'agit du meilleur film de Bertrand Blier. La critique le salue, mais son succès commercial reste modeste. Le film gagne toutefois le César du meilleur scénario en 1980.

Chapitre 2
Satire et provocation

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Tout commence dans une gare déserte, à Paris, un soir.

Alphonse Tram (Gérard Depardieu), trentenaire au chômage, qui ne sait pas s’il n’a même jamais travaillé, rencontre un comptable. Il essaie d’entamer une conversation avec l’homme, en lui offrant son couteau.

Mais le comptable n’a pas envie de discuter et laisse Alphonse seul. Alphonse retrouvera le comptable plus tard dans la soirée en train d’agoniser, son propre couteau planté dans son ventre.

Gérard Depardieu dans "Buffet froid" de Bertrand Blier en 1979. [AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]
Gérard Depardieu dans "Buffet froid" de Bertrand Blier en 1979. [AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]

Alphonse reste avec le comptable pour ses derniers instants avant de rentrer chez lui retrouver sa femme (Liliane Rovère). Ils vivent dans une tour nouvellement construite et ils en sont pour l'heure les seuls habitants.

Mais un étrange inspecteur, Morvandiau (Bernard Blier, père du réalisateur), vient s’y installer. Alphonse discute avec le commissaire avant de retourner dans son appartement, pour y apprendre que sa femme a été étranglée dans un terrain vague.

L’assassin (Jean Carmet), un petit monsieur très craintif qui n’ose pas rentrer tout seul chez lui, se présente à sa porte. Ils deviennent amis. Avec le nouveau voisin, le commissaire de police allergique à la musique , c’est la naissance d’un trio infernal qui va multiplier les cadavres.

Jean Carmet, Gérard Depardieu, Bernard Blier dans "Buffet froid" de Bertrand Blier en 1979. [AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]
Jean Carmet, Gérard Depardieu, Bernard Blier dans "Buffet froid" de Bertrand Blier en 1979. [AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL]

Cauchemar, satire bête et méchante de l’égoïsme, de la lâcheté, de la solitude de notre univers de béton, provocation: "Buffet froid" est tout ça à la fois. Bertrand Blier, peu soucieux de vraisemblance, désamorce sa série noire par le calme parfait de son récit où les pires absurdités, les meurtres les plus atroces, sont commis et commentés avec un naturel très flegmatique dans une sorte de folie froide.

Jouant de l’absurde, de l’inconvenant, dans des décors crépusculaires, "Buffet froid" est à la fois inquiétant, insolent, choquant, incongru. On ne sait pas ce qui pousse les protagonistes à agir. Le style du film flirte avec Luis Buñuel, Eugène Ionesco ou même Jonathan Swift, l’essayiste pamphlétaire irlandais.

Chapitre 3
Le meurtre gratuit

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"Buffet froid" est donc un film sur la trouille. Celle que nous éprouvons à longueur de journée, précise encore le cinéaste.

Comme on le sait, la trouille engendre la violence. Si on voit quelqu’un mourant de peur, on a envie de justifier cette peur. Tous les personnages sont d’horribles lâches. Ils n’ont qu’une idée: tuer avant d’être eux-mêmes tués.

Bertrand Blier, cinéaste

"L’idée de départ est le meurtre gratuit. Le genre: 'J'ai un couteau dans la main; je vous le plante dans le ventre; quel effet cela vous fait? Depardieu s'est approprié mon idée de meurtre gratuit et moi j'ai brodé là-dessus. Qui dit meurtres dit cadavres, qui dit cadavres dit flics, qui dit flics, etc. Le meurtrier appelle la création d’un film et ce film serait joué par mon père. Je voulais l’associer à Depardieu. Ils ont en commun cette capacité de faire avancer un film à deux cents à l’heure", explique Bertrand Blier.

Chapitre 4
La banalisation du bizarre

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"Buffet froid" se déguste. Et que le film soit ou non le récit d’un cauchemar, peu importe.

Bertrand Blier ne cherche aucun alibi, aucun point d’ancrage dans une quelconque vraisemblance. C’est avec un flegme de contractuel, comme s’il s’agissait d’incidents très ordinaires de la vie quotidienne, qu’il enregistre les coups de ses héros. Tout le comique du film repose sur cette banalisation du bizarre, sur la parfaite logique de cette cascade de catastrophes.

Mais pour autant, ce n’est pas un film sur l’absurde. L’absurde est un moyen, un style, pas un propos. Car dans ce film, les thèmes restent sérieux: violence, insécurité dans la banlieue, la peur qui engendre la violence, l’ennui, le chômage, la solitude. Les traiter par l’absurde est une façon originale de les raconter.

Pour autant, "ce n’est pas du Buñuel", clame le cinéaste. "Buffet froid" est cartésien, pas surnaturel. Le film garde un pied sur terre et un autre dans le rêve.

Le rôle de la satire sociale est tellement énorme qu’il ne peut s’agir que de clins d’œil. L’idée, tout en dénonçant, est aussi de s’amuser avec son public.

Je voulais utiliser les grands poncifs de la dénonciation actuelle. Quand Jean Carmet dit: 'Je tue parce que le béton me rend marteau', c’est une caricature de notre vie quotidienne, dans les grandes villes tout au moins.

Betrand Blier

>> A écouter, l'émission "Travelling" consacrée au film "Buffet froid" :

©Antenne 2 / Sara films / Collection ChristopheL [AFP]AFP
Travelling - Publié le 24 janvier 2021

Chapitre 5
Un délire potache, vraiment?

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Pour cette histoire particulière, une esthétique particulière est indispensable: il faut que l’image soit glacée, très esthétique, voir esthétisante, sophistiquée, graphique. D’où l’économie du découpage de plans et de gros plans. D’où également l’absence de musique et de bruit.

On montre un no man's land, le quartier de la Défense en gestation, dans tout ce qu’il a de vide et de déshumanisé. Les scènes "urbaines" sont tournées à Créteil, dans des quartiers encore en chantier, ainsi qu'à Boissy Saint Léger.

Après sept semaines de tournage, le film est en boîte. Il sort mi-décembre 1979. Les critiques s’enthousiasment, on célèbre Blier. Certains journalistes parlent de langage truculent, incongru, désinvolte, qui nous change des rengaines du cinéma français. Un délire potache et drôle. Mais d’autres voix s’élèvent, celles des femmes.

Encore une fois chez Blier, elles ne sont pas à l’honneur et l’on se demande un peu si le réalisateur déplore l’isolement des individus ou plaide pour l’individualisme. On lui reproche sa misogynie, comme sur le plateau de "Spécial cinéma" en février 1980:

Bertrand Blier, "Buffet froid"
Spécial cinéma - Publié le 5 février 1980

Le film sorti juste avant Noël ne trouve pas vraiment son public. Certains spectateurs demandent à se faire rembourser cette mauvaise pièce de boulevard filmée.

"Buffet froid" est toutefois récompensé par le César du meilleur scénario en 1980. Lors de la cérémonie, pas de Bertrand Blier. C’est son producteur, Alain Sarde, qui montera sur scène chercher la précieuse statuette. Encore un pied de nez du réalisateur....