D'abord, elle rit. Ensuite, elle raconte, et puis elle rit de nouveau, comme si tout cela était un jeu. "Enfant, j'étais élevée un peu comme un cheval. Mon père, un juif allemand naturalisé avant la guerre, travaillait dans un haras. Mes parents, qui m'ont donné beaucoup d'amour, m'ont appris la liberté et l'indépendance."
Petite fille timide mais bavarde, connaissant le nom des fleurs et des arbres, Marthe Keller n'a vu son premier film qu'à l'âge 14 ans. Jusque là, il n'y avait que la danse classique qui l'intéressait. Et pour s'y consacrer pleinement, en jouir jusqu'à en souffrir, elle rêve de s'installer à Berlin-Est, "là où il n'y avait aucune distraction possible".
J'avais le mental d'une nageuse de l'Est.
Une grave chute de ski va mettre fin à ses ambitions. "Tant mieux, je n'aurais jamais fait de carrière solo, je n'avais pas le talent. Pourtant, la danse est la seule chose que j'ai vraiment voulu faire dans ma vie, tout le reste est arrivé par hasard ou par accident".
De la danse, elle a conservé quelques vertus: la discipline, le goût du travail, le sens de l'effort et une inclination certaine pour l'anonymat: "Il n'y pas de people dans ce milieu".
Elle se tourne alors vers le théâtre, prend des cours de comédie et s'inscrit à l'école Stanislavski à Munich.
Elle est repérée à Berlin, au Schillertheater, dans une pièce anglaise ("Songe d'une Nuit d'été" de Shakespeare) par un Français, Philippe de Broca qui cherche un nouveau visage pour jouer une jeune baronne délurée dans l'exquise comédie "Le Diable par la queue".
J'étais en mini-jupe et je devais grimper à un arbre. On voyait ma culotte. Je me croyais dans un porno, j'avais honte.
Sitôt arrivée en France, les grèves de mai 68 l'empêchent de retourner en Allemagne. Elle en profite pour vivre pleinement son histoire d'amour avec de Broca, avec qui elle aura un fils, Alexandre.