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Grégory Magne: "Le cinéma, c'est du son et de l'image, mais pas d'odeurs"

Grégory Magne. [DR - Pascal Chantier]
Grégory Magne, Les parfums / Vertigo / 23 min. / le 2 juillet 2020
"Les parfums" est une comédie pudique qui met en scène Emmanuelle Devos, célèbre nez tombée en disgrâce, et Gregory Montel, son chauffeur qui sent bien les gens. Le film vient de sortir sur les écrans romands.

Anne Walberg (Emmanuelle Devos) est une célébrité dans le monde du parfum mais elle a été mise sur la touche et se contente désormais de trouver des parfums pour cacher la puanteur des usines, inventer des déodorants pour chatières ou restituer l'odeur d'une grotte d'art pariétal. C'est une terrible disgrâce pour cette diva qui vient d'engager un chauffeur, Guillaume (Gregory Montel, un des agents de la série "Dix pour cent" ), un père un peu perdu qui aspire à un emploi stable pour conserver la garde partagée de sa fille.

Même s'ils sont tout deux dans un creux de vague, tout sépare cette grande bourgeoise de son employé. Lui est cool et chaleureux; elle froide et capricieuse. Pourtant, une amitié improbable et une relation de confiance va progressivement se construire au coeur de "Les Parfums", second long-métrage de Grégory Magne ("L'Air de rien").

Si le schéma du tandem mal assorti est un classique du genre, le milieu que le réalisateur explore, celui du parfum, est original. Pourquoi l'avoir choisi? "D'abord parce que c'est un défi de scénario. Le cinéma, c'est de l'image et du son, pas des odeurs. Que vais-je écrire pour que le spectateur dans son fauteuil ait l'impression de sentir ce que les héros sentent? Ensuite, je suis toujours bouleversé par la puissance et la précision du souvenir olfactif: on capte un parfum dans la rue et aussitôt un visage cher réapparaît", explique au micro de la RTS le réalisateur Grégory Magne.

Une partie documentaire

Un des intérêts du film est sa part documentaire. Les parfums ont leur lexique et on y apprend beaucoup de choses sur les nez, ce métier rare, qui nécessite un vrai don et peut vous couper du monde. "C'est un peu comme un musicien classique qui doit jouer de son instrument matin et soir pour ne pas perdre sa virtuosité. Cette exigence, forcément, vous isole des autres. C'est le cas d'Anne qui est très mal à l'aise avec ses contemporains. Percevoir le monde d'abord par le nez est à la fois un privilège et un handicap" poursuit le réalisateur qui s'est beaucoup documenté auprès des nez pour que son film soit le plus crédible possible.

La peur de perdre son instrument de travail induit chez Anne des comportements bizarres comme jeter les paquets de cigarettes par la fenêtre ou demander à son chauffeur de changer les draps de son lit. On la croit tyrannique - et elle l'est - mais c'est pour protéger son odorat des effluves de tabac ou de lessive. Emmanuelle Devos est totalement crédible dans sa gestuelle.

Nez à nez

Pourtant, même si le milieu est très documenté, le film est moins une comédie sur les parfums que sur une relation humaine particulière que le réalisateur définit ainsi.

C'est l'histoire d'un nez qui rencontre quelqu'un qui a du nez. Guillaume sent les gens, les situations, il est à l'aise avec le monde, tout ce manque à Anne.

Grégory Magne, réalisateur de "Les Parfums".

Le duo Emmanuelle Devos-Gregory Montel fonctionne bien alors même que les deux comédiens ont une approche presque opposée de leur métier: Emmanuelle Devos est précise, consciencieuse, très attentive au texte tandis que Grégory Montel l'apprend au dernier moment, faisant confiance à son naturel. "Il n'est pas facile d'amener des acteurs là où l'on veut quand ils travaillent de manière très différente" admet le réalisateur qui dit avoir acquis une certaine confiance en lui grâce à son passé de navigateur.

L'expérience de la course en solitaire

Cet ancien journaliste de presse écrite a en effet participé en 2007 à la Transat 6,50, une course en solitaire de La Rochelle à Salvador de Bahia, sur un bateau de 6 mètres 50, sans aucun moyen de communication avec la terre. Une trentaine de jours entièrement seul. "La course au large a été très formatrice pour moi. Une course comme celle-ci nécessite beaucoup de préparation et de méticulosité, il faut imaginer tous les scénarios possibles, affronter les problèmes les plus divers, un peu comme le cinéma".

Propos recueillis par Laurence Froidevaux

Adaptation web: Marie-Claude Martin

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