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"Adam", huis clos racontant le calvaire des mères célibataires au Maroc

Les réalisateurs Maryam Touzani et Nabil Ayouch le 21 août 2019 au 12e Festival du Film Francophone d'Angoulême. [AFP - Yohan Bonnet]
Les invités: Maryam Touzani et Nabil Ayouch / Vertigo / 46 min. / le 31 janvier 2020
Premier long-métrage de l'actrice et scénariste Maryam Touzani, "Adam" est un double portrait de femmes qui se débattent avec des traditions mortifères. Un huis clos intimiste et sensuel.

Dans la Medina de Casablanca, Abla, veuve et mère d'une fillette de huit ans, tient un magasin de pâtisseries. Quand Samia, une jeune femme enceinte, frappe à sa porte pour lui demander du travail, elle refuse. Mais la petite fille, Warda, pousse sa mère à revenir sur sa décision. Hostiles tout d'abord, les deux femmes vont apprendre à s'apprécier et s'enrichir l'une et l'autre.

Même si son titre évoque le premier homme, "Adam" est un film de femmes, et Adam, le prénom du nouveau-né que la jeune mère ne reverra plus jamais, sitôt après l'avoir donné. Car au Maroc, une mère célibataire est une proscrite, et l'enfant sans père "un fils du péché". "Jusqu'en 2004, un enfant né hors mariage n'avait pas d'existence juridique. Il était né sous X. Depuis 2004, il peut avoir un nom, mais tout le monde sait qu'il est sans père, donc il sera rejeté toute sa vie", explique la réalisatrice Maryam Touzani.

Le fils du péché

Pour son premier long-métrage, l'actrice et scénariste s'est inspirée d'une histoire vraie. Ses parents ont effectivement accueilli chez eux, à Tanger, une fille enceinte de huit mois qui n'avait ni toit ni ressources. "J'ai vécu avec elle son dernier mois de grossesse et je l'ai accompagnée quand elle a dû remettre son bébé à l'adoption. Quinze ans plus tard, devenue mère à mon tour, cette histoire m'est revenue en puissance et j'ai compris dans ma chair cette déchirure qui consiste à refuser sa fibre maternelle pour ne pas souffrir de la perte de son enfant. J'ai alors écrit le scénario".

Huis-clos sensuel et intimiste

"Adam", c'est aussi l'histoire d'un lent apprivoisement entre deux recluses qui, dans une société patriarcale qui déteste les femmes seules, vont être plus fortes ensemble. Ce retour à la vie se manifeste par deux éléments concrets, une petite crêpe marocaine baptisée "rziza" et une chanson de Warda, une des plus grandes divas du monde arabe.

Je voulais à travers le "rziza", petite pâtisserie qui se fait à la main, relever la beauté de certaines traditions qui se perdent avec la modernité alors que d'autres, toujours vivaces, sont tellement mortifères.

Maryam Touzani, réalisatrice de "Adam".

Huis clos aussi rude que sensuel, "Adam" est une célébration de la vie à travers une iconographie domestique qui n'est pas sans rappeler certains tableaux de Vermeer.

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Texte et adaptation web: Marie-Claude Martin

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