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Et si "Parasite" n'était pas le chef-d'œuvre annoncé?

Le réalisateur coréen Bong Joon-ho pose avec sa Palme d'or pour son film "Parasite" lors de la 72e édition du Festival de Cannes. [Keystone - Ian Langsdon]
"Parasite" de Bong Joon-ho, Palme d'or 2019 du Festival de Cannes / Nectar / 6 min. / le 19 juin 2019
Première Palme d’or coréenne de l’histoire, décernée à l’unanimité par le jury d’Alejandro González Iñárritu, "Parasite", de Bong Joon-ho, sort en salle aujourd’hui.

C’est une satire sociale, mais pas seulement. C’est aussi une comédie, noire et à suspense, mâtinée d’une pointe de gore et de fantastique. Depuis longtemps, Bong Joon-ho est passé maître dans l’art de tresser les genres.

"Parasite", c’est la lutte des classes racontée à travers deux familles, l’une riche, sise au somme d’une colline, l’autre pauvre, qui croupit dans une cave. Le garçon pauvre s’infiltre chez les riches. Il se fait passer pour un prof d’anglais et ne s’arrête pas là. Nous, si. On ne dira rien de plus du scénario retors de "Parasite", puisque Bong Joon-ho l’a demandé expressément lors du dernier Festival de Cannes.

Depuis sa sortie en salle, le film rencontre un succès immense, en Corée comme ailleurs. Une quasi-unanimité, publique et critique, à laquelle la soussignée ne souscrit pas. "Parasite" a été un brin surévalué dans la compétition cannoise (une pensée pour Pedro Almodovar). Il n’est de plus pas le meilleur de son auteur, qui nous avait époustouflés avec "Memories of Murder", "Mother" ou "The Host".

Un propos trop convenu

Dans "Parasite", c’est surtout la virtuosité de la mise en scène qui impressionne. Un plan, une idée. Un cadrage, un léger mouvement de caméra viennent révéler un nouveau détail, amener un nouveau point de vue, sur un personnage ou un décor.

Mais ce sont la forme et le scénario qui réservent les meilleures surprises. Le propos, lui, est comme trop lisible et attendu. Qui est le parasite de qui?Qui domine qui? Avec un espace bien défini, les riches tout en haut, "gentils parce qu’ils sont riches", et les pauvres tout en bas, "qui sentent le vieux radis ou les torchons sales" et n’ont, pour les autres pauvres, ni empathie ni solidarité.

>> Interview de Bong Joon-ho dans le 19.30 :

"Parasite", la palme d'or du dernier Festival de Cannes.
"Parasite", la palme d'or du dernier Festival de Cannes. / 19h30 / 2 min. / le 18 juin 2019

Le film ne cesse d’expliciter son discours, qui n’est que métaphore (le terme revient trois fois) et semble s’amuser de ses propres artifices. "Cette maison est un terrain de jeu", annonce d’emblée la gouvernante. De fait, les personnages en font leur théâtre, dont le salon serait l’avant-scène; les chambres, les coulisses; la cave, la fosse. Ils "prétendent", jouent, répètent leurs scènes, selon un "plan" établi à l’avance.

Bong Joon-ho orchestre brillamment ce ballet à la mécanique bien huilée. Il fait rire, mais il ne questionne pas ce rire, ne nous dérange pas, nous, spectateurs, trop contents d’être assis, là, à jubiler des situations et quiproquos embarrassants que vivent les personnages.

Un manque de mystère

Il faut attendre les cinq dernières minutes pour que l’émotion et le malaise adviennent, enfin. Quelle déception venant d’un si grand cinéaste, lui qui se montrait si cruel et cinglant avec les universitaires haut placés et corrompus dans "Barking Dogs", lui qui explorait avec tant de finesse la pathologie des liens familiaux dans "Mother" ou les fantômes du passé dans "The Host".

"Les riches sont lisses, car l’argent est un bon fer à repasser», analyse la mère pauvre. On pourrait ajouter qu’il y a quelque chose de trop lisse dans les rouages de "Parasite", auquel il manque profondeur et mystère, comme si le film était désinfecté par sa propre folie burlesque.

Raphaële Bouchet/mcm

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