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L'univers de Michel Nedjar exposé à la Collection de l'Art Brut de Lausanne

L'artiste Michel Nedjar dans son atelier à Paris. [Mario del Custo]
Poupée de cire, poupée de sang ? / Vertigo / 6 min. / le 9 octobre 2023
Le musée lausannois consacré à l'Art Brut propose d'entrer dans l'oeuvre artistique foisonnante de Michel Nedjar. Avec en pièces maîtresses ses fameuses poupées, cette exposition qui couvre cinquante années de création est à voir jusqu'au 29 octobre.

La première exposition monographique dédiée à l’artiste Michel Nedjar présentée par la Collection de l'Art Brut de Lausanne ne laisse pas de marbre. Elle effraie, torpille et prend par les tripes de l’âme en présentant les fameuses poupées réalisées par l'artiste dès 1976.

Des poupées qu'il a baptisées Chairdâmes faites de chiffons, de matériaux de récupération, trempés dans des bains de teinture, de boue, parfois de sang. Elles sont malaxées, triturées de telle façon qu’elles prennent un aspect terrifiant avec leurs gueules ouvertes et leur corps d'alien.

La poupée est à l'origine de tous les travaux de Michel Nedjar. Quand il était petit, dans les années 1950, on lui a fait comprendre que ce jouet n'était pas destiné aux garçons. "Moi, j'étais fasciné par les poupées de mes soeurs. Mais grâce à cette interdiction, il y a eu transgression et j'ai créé ma propre poupée", explique l'artiste interrogé par la RTS.

Exorciser la souffrance

Une poupée réalisée par Michel Nedjar entre 1980 et 1982. [Collection de l'Art Brut, Lausanne.]
Une poupée réalisée par Michel Nedjar entre 1980 et 1982. [Collection de l'Art Brut, Lausanne.]

Issu d'une famille de juifs algériens, Michel Nedjar est né en 1947, à Paris. Son père est maître tailleur et Michel suivra ses traces en devenant modéliste et styliste avant de se dédier à ses créatures.

Il prend conscience de la tragédie de sa famille, dont la plupart des membres ont été victimes de l'extermination nazie, et du peuple juif en général, lorsque vers l'âge de 14 ans, il regarde par hasard à la télévision le film "Nuit et brouillard" d’Alain Resnais. C’est là qu’il "tombe dans la fosse", dit-il. "Je me suis baladé avec un cadavre sur le dos toute mon adolescence, car j'ai compris qu'on pouvait tuer monsieur Nedjar parce qu'il était juif". Le jeune homme aura besoin, quelques années plus tard, d’exhumer ces corps de chiffons, traversés par des cris silencieux.

Michel Nedjar se lance alors dans la création de poupées qui rappellent les charniers de la Shoah. Après quelques années, il fera d’autres choses, mais l'épidémie du sida, qui touche nombre de ses proches dont il va prendre soin au quotidien, réactive son besoin d’exorciser la souffrance.

Cinquante ans de création

Ces fameuses poupées ont été présentées pendant des années dans la soupente de la Collection de l'Art Brut, comme une sorte de théâtre guignol, et ont hanté des générations de visiteurs et visiteuses.

Aujourd'hui, l'exposition qui lui est consacrée permet de les mettre au premier plan, mais également de découvrir un panorama très complet de l'oeuvre de Nedjar, qui couvre plus de cinquante ans de création. Des travaux qui sont entrés au musée par l’intermédiaire de Jean Dubuffet, dès 1981. Par la suite, le fonds s’est enrichi notamment grâce à de généreuses donations de l’artiste.

Ainsi peut-on voir la série des "Poupées coudrées" et celle des "Objets coudrés" ou des "Coudrages", ces compositions d’images imprimées, de photographies et d’emballages que l'artiste assemble et coud sur du tissu ou du papier. Sont exposés également des dessins au crayon, à la craie grasse, à l’acrylique et à la cire, ainsi qu'une sélection de films expérimentaux, dont Michel Nedjar est le réalisateur. Un aspect beaucoup moins connu de son travail.

Sujet radio: Florence Grivel

Adaptation web: aq

Michel Nedjar, Collection de l’Art Brut, Lausanne, jusqu’au 29 octobre 2023.

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