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Quand de mauvais payeurs précarisent dangereusement certains artistes

Portrait du jazzman Louis Matute.
Des situations précarisantes pour les artistes / Vertigo / 6 min. / le 21 mars 2024
En 2023, le guitariste de jazz Louis Matute est engagé par une agence de production genevoise pour collaborer avec une artiste brésilienne. Mais après plusieurs concerts, la société invoque des problèmes de trésorerie. Le jeune musicien a été forcé de combler lui-même une dette de dix-huit mille francs.

En 2022, le directeur d'une agence de production genevoise contacte le guitariste de jazz Louis Matute pour lui proposer un projet alléchant: une collaboration avec la guitariste et chanteuse brésilienne Joyce Moreno. La société, active sur la scène genevoise depuis 1996 et qui organise une dizaine de concerts par an, produit des concerts de grands noms de la musique comme les violonistes Maxim Vengerov ou Nigel Kennedy.

Tout débute sous les meilleurs auspices. Louis Matute et Joyce Moreno travaillent en résidence, puis un premier concert avec le groupe du jazzman, le Large Ensemble, est organisé à Zurich, suivi d'un autre à Paris, puis à l’Alhambra de Genève en octobre 2023. L'agence s'engage à payer un montant de 18'500 francs, ce qui correspond à la majeure partie des frais de production et des salaires.

>> A écouter, le concert de Louis Matute et Joyce Moreno à l'Alhambra de Genève, enregistré par Espace 2: :

Joyce Moreno & Louis Matute [Joyce Moreno : Wikipédia / Louis Matute : Nadia Tarra (C)]Joyce Moreno : Wikipédia / Louis Matute : Nadia Tarra (C)
Louis Matute Large Ensemble & Joyce Moreno, Alhambra 2023 – Steve Swallow 4tet feat. Carla Bley, Lugano 2014 / La Note bleue / 146 min. / le 17 décembre 2023

Pas de contrat signé

Mais début mars 2024, l'étoile montante de la scène jazz suisse dévoile sur les réseaux sociaux que la somme promise n'a jamais été versée. Le directeur de l'agence de production aurait annoncé au jeune musicien ne pas avoir d’argent.

Louis Matute est forcé de tout financer avec les fonds de son association. "Malheureusement, nous avions commencé à faire un contrat que nous n'avions pas signé. Et quand cela a commencé à sentir le roussi, mon avocat leur a demandé de signer une reconnaissance de dettes. Donc nous avons ce papier qui, aux yeux de la loi, est très puissant", explique le jazzman dans l'émission Vertigo du 21 mars.

Des "problèmes de trésorerie"

Dans le milieu de la musique, qui fonctionne souvent sur une base de confiance mutuelle, l'absence de contrat n'est pas rare. "On sait quand on a un engagement avec tel producteur ou telle salle de concert. Je travaille avec des gens qui sont la plupart du temps sérieux et connus dans le paysage artistique romand ou français. Un quart du temps, on ne signe pas de contrat et on y va sur la confiance. Et c'est une grosse bêtise. [Mais avec] cette boîte de production, qui est quand même très connue à Genève, je ne pensais pas que cela allait arriver", indique Louis Matute.

Contacté par la RTS, le directeur de l'agence de production a refusé de s'exprimer, indiquant qu'il n'avait rien à apporter de plus que ce qu'il avait déjà dit à la Tribune de Genève dans un article paru le 26 janvier dernier. "J’ai des problèmes de trésorerie, indiquait-il alors. Nous prenons sans attendre les mesures adéquates afin d’y remédier". Mais à l'heure actuelle, Louis Matute n'a toujours pas été remboursé.

Sujet radio: Layla Shlonsky

Adaptation web: mh

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Une comédienne flouée

Autre décor, même situation: celle d’un organisateur de "murder parties", ces soirées lors desquelles les participants s’amusent à résoudre un crime, qui n’aurait pas payé ses comédiens, des professionnels qui jouent des personnages et improvisent avec un canevas prédéfini. Selon une comédienne qui a témoigné auprès de la RTS, aucun contrat n'était signé, tout se passait oralement. "Mais j'ai une preuve de mon contrat avec lui car il m'a fait des papiers pour la caisse de chômage, des feuilles de gain intermédiaire, qui peuvent faire foi", livre-t-elle dans Vertigo du 21 mars en écho au témoignage du musicien Louis Matute.

Cette professionnelle, qui a participé à trois "murder parties", réclame aujourd'hui son salaire à l’organisation qui l’a engagée. Contactée par la RTS, la personne responsable ne souhaite pas s'exprimer, mais nous a autorisés à la citer: "Je l’ai remplacée une fois car elle prétextait avoir trop de travail à côté. Le 13 décembre dernier, elle m’a envoyé un SMS pour me dire qu’elle ne voulait plus participer aux prochaines 'murder parties' pour lesquelles elle s’était engagée. J’ai dû la remplacer par quelqu'un d’autre. Elle m’a planté, je ne lui dois rien, même pas les dernières soirées qu’elle a effectuées".

"Pour se venger, il ne m'a pas payée"

La comédienne lésée a quant à elle une autre version. "Par malheur, je lui ai dit un peu trop tôt que j'arrêtais avec lui et pour se venger, il ne m'a pas payée. J'ai fait trois 'murder parties' pour une somme de 710 francs qui ne m'a pas été versée. Il m'a accusée d'avoir rompu des contrats alors que je lui avais écrit noir sur blanc que je restais disponible pour les soirées restantes, indique-t-elle. "Nous exerçons malheureusement un métier précaire. (...) Il n'empêche qu'il est parfaitement inadmissible de ne pas payer quelqu'un et je pense qu'il faut que cela soit dénoncé".

Cette femme a aujourd'hui engagé des poursuites à l'égard de l'organisateur de ces événements.