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Le saxophoniste Marshall Allen a cent ans de classe jazz

Marshall Allen, saxophoniste. [Wikicommons/ CC-BY-SA-3.0 - Harald Krichel]
Marshall Allen, 100 ans et tous ses vents / L'Echo des Pavanes / 16 min. / le 20 avril 2024
Le 25 mai, le saxophoniste de Philadelphie Marshall Allen fêtera son siècle. Assagi? Pas le moins du monde. A la tête du Sun Ra Arkestra, l'Américain tourne encore et continue d’enregistrer de très bons albums, collaborant avec des musiciens brésiliens comme des groupes de rock. Hommage à une légende vivante du jazz.

Rendons-nous au 5626 Morton Street, Philadelphie. La rue est plutôt calme, arborisée, toute proche du Philadelphia Tennis Club. Voici une maison dans laquelle l’Arkestra vit et joue en communauté.

Local de répétition au rez-de-chaussée, chambres à l’étage. Ce bâtiment rempli d’instruments de musique plus ou moins en bon état est un petit musée vivant de l’histoire du jazz américain. L’été passé, les journalistes Jenna Miller et Vernon Clark du Philadelphia Inquirer sont venus tourner quelques images et recueillir les impressions du propriétaire. Il faisait beau ce jour-là, Marshall Allen arborait casquette de baseball, t-shirt jaune cool à l’effigie du Sun Ra Arkestra et porte-cigare au bec.

"Je veux juste voir à quoi ressemble ton esprit"

Lors de cette rencontre, le musicien se raconte: "J’ai oublié que j’avais 99 ans. J’ai été tellement occupé par la musique que je n’ai pas eu le temps de zoner et de m’autodétruire. Cela m’a inspiré, les années ont passé et me voici à 99 ans".

Puis évoque sa rencontre avec Sun Ra en 1958: "A Chicago, je jouais avec plein de gens différents jusqu’au jour où j’ai entendu un enregistrement de Sun Ra avec son orchestre. Je l’ai rencontré. Il m’a parlé d’Egypte, de Bible, de l’ère spatiale. Je suis allé écouter le groupe tous les soirs avec mon sax, mais je me contentais d’écouter, sans jamais jouer. Un jour, il m’appelle et me dit de passer à la maison, chez John Gilmore: 'J’ai mon piano et on verra ce que tu peux faire.' Il s’est assis et a joué 'Spontaneous Simplicity'. Ce titre, on l’a trouvé plus tard. Là, il me dit ''Joue!' J’ai dit 'Quoi? Où est la musique?' Il m’a répondu: 'Je veux juste voir à quoi ressemble ton esprit'. J’ai joué de la flûte. Et ça été mon premier morceau avec Sun Ra." Et depuis, Marshall Allen n’a plus quitté l’Arkestra de Sun Ra.

Marshall Allen, nouvelle âme de l’Arkestra

L’âge est une chose. La forme une autre. Marshall Allen a gardé son souffle, sa créativité et son appétit. La retraite, ce n’est pas son truc. Si tout va bien, le jour de son anniversaire, il sera sur la scène de l’Union Transfer, dans sa bonne ville de Philadelphie. Fin mars, il menait l’Arkestra au mythique Apollo de Harlem. Ces prochains jours, il enregistre un nouvel album. En juin, il devrait partager une scène new-yorkaise avec le groupe rock culte Yo La Tengo.

Depuis le décès de Sun Ra en 1993, Marshall Allen a repris le flambeau de l’Arkestra, cet ensemble dont la réputation dépasse largement le seul domaine du jazz.

Il y a la musique bien sûr: à la fois aventureuse et pourtant très invitante, joyeuse, convoquant souvent un jazz bonhomme et dansant pas loin de Duke Ellington. On passe de formes très free à des airs à fredonner sous la douche, d’instruments traditionnels du jazz à des objets plus expérimentaux. Et bien-sûr, il y a la personnalité de feu son leader, quasi-gourou, avec ses tenues extravagantes de mage cosmique et coloré adoptées par tout l’orchestre.

Le public de l'Arkestra traverse toutes les générations

La légende de l’Arkestra s’explique aussi par sa philosophie qui mélange mysticisme positif, science-fiction, engagement socio-politique et retour aux sources africaines. Enfin, il faut aussi rappeler qu’un concert de l’Arkestra, c’est une fête, une cérémonie, un culte aux bonnes vibrations. Bref, on est loin des clichés du jazz de bar à whisky cher à la publicité ou d’une musique cérébrale pour vieux garçons à pipe et col roulé. L’Arkestra a tout pour être culte, branché, vénéré par les fans de jazz, de rock underground, de musiques aventureuses électroniques comme de hip-hop. Son public traverse toutes les générations.

Au fil des ans, des musiciens sont décédés ou partis, des plus jeunes les ont rejoints, dont le percussionniste brésilien Elson Nascimento, qui office également comme manager de l’Arkestra.

Le groupe continue de se frotter aux musiques d’aujourd’hui et ouvre grand ses portes au monde extérieur. En 2021, il collaborait ainsi avec le musicien brésilien Rodrigo Brandão. Le dernier album en date de cet orchestre à la discographie longue comme l’Amazone s’appelle "Swirling", paru en 2021 sur le label très branché Strut Records qui réédite le répertoire du groupe.

Thierry Sartoretti/ms

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