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Préambule à la culture du narcissisme, "Loft Story" a vingt ans

Il y a 20 ans, le 26 avril 2001,"Loft Story" débarquait sur M6 et lançait la télé-réalité, version francophone. [AFP - FREDERICK FLORIN]
L'Époque: Le Loft a 20 ans! / L'époque / 23 min. / le 24 avril 2021
Il y a vingt ans, "Loft Story" débarquait sur M6 et lançait la téléréalité version francophone. Ces candidats enfermés dans un appartement avec piscine et filmés en temps réel ont incarné les débuts d’une nouvelle ère de la médiatisation de soi.

Lancé le 26 avril 2001, "Loft Story" bouscule le petit écran et devient le sujet de conversation du moment. Tout le monde a un avis sur l'émission, qu’on adore détester ou qu’on adore tout court.

Les audiences sont stratosphériques et le public se passionne pour les aventures de Laure, Steevy, Jean-Edouard et bien sûr Loana, des anonymes devenus en quelques semaines des vedettes adulées dans la rue.

A l'époque, la Télévision Suisse Romande s’inquiète même des audiences records de l’émission d’M6, qui réunit certains jeudis soirs jusqu’à 150'0000 téléspectateurs, plus du double de la chaîne romande.

Les états d'âme et les coups de blues

Le programme fait surtout un carton auprès des plus jeunes qui se passionnent pour la vie, la routine et les amours de ces onze célibataires coupés du monde qui doivent vivre dans un loft entre salon, cuisine et terrasse et sont filmés 24 heures sur 24. Jour après jour, on suit les états d’âme et les coups de blues de la blonde Loana, amoureuse de Jean-Edouard, les rangements de vaisselle et les conversations de salon filmés par des dizaines de caméras qui retransmettent tout cela dans le salon de milliers de personnes.

Le programme devient un phénomène de société et on le traite comme tel dans les médias. Chacun y va de son avis pour tenter d’expliquer ce succès. "C'est un mouvement de société qu'on peut ne pas admettre, mais qui va vers l'individualisme avec pertes des grands idéaux", analysait à l'époque le psychiatre Willy Pasini dans l'émission "Droit de cité" de la RTS animée par Manuelle Pernoud.

Le début de la médiatisation de soi

Aujourd'hui, on considère "Le Loft" comme un préambule d’une nouvelle ère de la médiatisation de soi, du quart d’heure de célébrité propulsé par les réseaux sociaux, d’une télé business toujours plus voyeuriste et trash ainsi que d’un sexisme décomplexé.

"Le 'Loft' a permis de conjuguer des tendances qui préexistaient à la téléréalité et que l'on trouve dans une autre presse, celle du fait divers et du people, avec cet intérêt très marqué pour la vie intime, la vie des autres, la rumeur. Avec le 'Loft', il y a une inversion puisque ce sont des quidams qui accèdent à la notoriété. On n'a plus besoin d'un talent, le talent consiste simplement à être vu", explique la sociologue des médias Valérie Gorin. "

Il y a cette illusion que chacun peut participer à la célébrité. On vous laisse accéder à un monde qui auparavant était réservé soit aux politiciens, soit aux stars, soit aux personnes qui avaient commis des crimes.

Valérie Gorin, sociologue des médias à l'Université de Genève

"Cela a accentué le phénomène du voyeurisme, mais aussi la culture du narcissisme, la culture d'une visibilité tournée sur soi et qui par la suite se reportera vers les réseaux sociaux, où n'importe qui peut être producteur et consommateur sur le net, ce qui n'était pas le cas à l'époque", poursuit la sociologue.

Les bébés de "Loft Story"

En vingt ans, "Loft Story" a donné naissance à une cinquantaine d’émissions de téléréalité, même si tous les concepts ne sont pas les mêmes et qu’il faudrait plutôt les classer en familles. L'enfermement pur, filmé 24 heures sur 24, a toutefois quasiment disparu. La plus proche filiation serait "Les anges de la téléréalité" ou "Les Marseillais".

Pour le reste, de "Koh-Lanta" à "The Voice" en passant par "Top Chef", ce n’est plus vraiment pareil, disent les puristes. Ces émissions ne sont pas en direct, elles sont enregistrées et scénarisées, les candidats sont guidés comme des acteurs.

En revanche, "Loft Story" a modifié la manière dont on raconte les histoires. Dans "The Voice" ou "L'amour est dans le pré" par exemple, on a repris le fait de raconter face à la caméra ses émotions et ses états d’âme, avec une façon plus directe de se mettre en scène.

Aujourd’hui, les participants à ces émissions peuvent répondre aux questions des internautes sur leurs réseaux sociaux qui prolongent les émissions de téléréalité ou les remplacent carrément, à l’heure où l’on peut suivre une célébrité sur Instagram dans son quotidien presque 24 heures sur 24. De quoi donner un sacré coup de vieux aux lofteurs.

Sujet radio: Virginie Langerock, Yann Amedro

Adaptation web: Melissa Härtel

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