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Mort de l'écrivain russe Soljenitsyne

Soljenitsyne, lors d'une de ses dernières apparitions en juin 2007.
Soljenitsyne, lors d'une de ses dernières apparitions en juin 2007.
Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature en 1970 et auteur de "L'Archipel du goulag", est mort dimanche soir à l'âge de 89 ans. La Russie a rendu hommage à cette grande figure de la dissidence soviétique.

Auteur d'une oeuvre fondée sur l'expérience du totalitarisme,
notamment d'une série d'ouvrages faisant le récit des horreurs des
camps soviétiques, l'écrivain russe a longtemps été considéré comme
l'incarnation de la dissidence (voir ci-contre nos liens
spéciaux
).

Insuffisance cardiaque

Alexandre Soljenitsyne, qui vivait près de Moscou, est décédé
dimanche soir d'une insuffisance cardiaque, a annoncé tôt lundi
matin son fils Stepan.



Condamné lui-même à huit ans de travaux forcés dans les goulags
pour avoir critiqué Staline, déchu de sa nationalité soviétique, il
fut contraint de s'exiler en Occident et publia nombre de ses
oeuvres à l'étranger: "Le Premier Cercle", "Le Pavillon des
cancéreux", "L'Archipel du goulag" (1973) ou encore "La Roue
rouge". Après 20 années d'exil, il fit un retour triomphal dans son
pays en 1994.



Né le 11 décembre 1918 à Kislovodsk (Russie), Alexandre
Issaïevitch Soljenitsyne passe son enfance à Rostov-sur-le-Don, au
sud de la Russie, où il fait des études de sciences et de lettres,
avant d'être mobilisé pendant la seconde guerre mondiale et de
servir comme capitaine d'artillerie.

Irrespect à Staline

Dans les dernières semaines de la guerre, en 1945, il est arrêté
puis condamné aux camps de travail pour complot anti-soviétique,
après avoir écrit -selon ses propres dires- "certaines remarques
irrespectueuses" sur Staline, surnommé "l'homme à la moustache",
dans une lettre à un ami. Soljenitsyne y laissait entendre que le
gouvernement de l'URSS et Staline lui-même portaient une plus
grande responsabilité que Hitler dans les ravages causés par la
guerre au peuple soviétique.



Il passera sept ans dans un camp de travail dans les steppes
interdites du Kazakhstan, puis trois ans en exil intérieur en Asie
centrale. Il relatera son expérience du goulag -abréviation
soviétique du système des camps de travail, un terme qu'il
contribuera à faire connaître dans le monde entier- dans un court
roman, "Une journée d'lvan Denissovitch", dont Khrouchtchev
lui-même autorise la parution en 1962 dans le but évident de
prendre ses distances avec les abus de la période stalinienne.

Prix Nobel en 1970

Cet ouvrage lui confère rapidement
la notoriété. Toutefois, après l'éviction de Khrouchtchev en 1964,
Soljenitsyne est victime d'une campagne de harcèlement de la part
du KGB et de dénigrement de la part de ses pairs qui l'expulsent de
l'Union des écrivains soviétiques. Mais il continue à écrire tout
en gagnant sa vie comme professeur de mathématiques dans la ville
provinciale de Riazan.



Il obtient le prix Nobel de littérature en 1970, alors que sa
carrière littéraire débute à peine. Il ne sera pas autorisé à se
rendre à Stockholm pour y recevoir son prix. Finalement déchu de sa
nationalité, il s'exile d'abord en Suisse puis aux Etats-Unis. Ce
n'est que trois ans après son prix Nobel qu'il commence à publier à
Paris en 1973 sa célèbre trilogie de "L'Archipel du goulag",
immense fresque du système concentrationnaire en URSS remontant aux
premières années de la révolution bolchevique.



Cette trilogie laissera nombre de lecteurs en état de choc devant
la sauvagerie de l'Etat soviétique sous la dictature de Staline.
Elle contribuera également à effacer les persistants relents de
sympathie pour l'Union soviétique parmi de nombreux intellectuels
de gauche, notamment en Europe. L'Occident lui ouvre grand les
bras, lui accorde asile et accolades.

Séjour aux USA

Le dissident s'installe avec sa femme Natalia et ses trois fils
dans la petite ville de Cavendish, dans le Vermont. Il y séjournera
18 ans au cours desquels il publiera une saga de l'histoire russe
en plusieurs volumes, intitulée "La Roue rouge", une série qu'il
considère comme l'oeuvre de sa vie.



Mais Soljenitsyne n'hésitera pas, non plus, à heurter ses nouveaux
amis de l'Ouest en critiquant, dans son célèbre discours de 1978 à
l'Université de Harvard, la culture occidentale pour sa faiblesse
et sa décadence. Finalement, en 1990, le dernier président
soviétique Mikhaïl Gorbatchev restitue à Soljenitsyne sa
citoyenneté et lève les accusations de trahison pour lesquelles il
avait été condamné.

Retour triomphal en 1994

Cela permet à l'écrivain de faire un retour triomphal dans son
pays en 1994. Arrivé par l'Extrême-Orient russe le 27 mai, il
effectue un long voyage en train de 56 jours à travers la Russie
afin de se réacclimater à son pays natal. Il s'installera
finalement dans une maison en briques rouges avec vue sur la
Moskva, dans un faubourg ouest de la capitale. Toutefois, par la
suite, il ne cachera pas sa contrariété et sa déception en
constatant que la plupart de ses compatriotes n'ont pas lu ses
livres.



Au cours des années 90, ses positions nationalistes, sa foi
profonde en la religion orthodoxe, sa vision de la Russie comme
bastion de l'orthodoxie chrétienne et comme lieu d'une culture et
d'une destinée uniques, son dédain du capitalisme et son dégoût des
magnats russes qui ont mis la main sur les industries et les
ressources du pays après l'effondrement de l'Union soviétique se
sont trouvés en décalage avec les opinions en cours dans son pays.
Il s'éloignera peu à peu de la vie publique.



Depuis la mort de l'écrivain égyptien Naguib Mahfouz en 2006,
Soljenitsyne était le plus vieux prix Nobel de littérature encore
en vie. Sa femme et ses trois fils vivent toujours aux
Etats-Unis.



agences/cer/cht

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Hommages russes et internationaux

Le président russe Dmitri Medvedev a exprimé dimanche soir déjà ses condoléances à la famille de l'écrivain.

De son côté, le Premier ministre russe Vladimir Poutine a qualifié lundi sa disparition de "grande perte pour toute la Russie".

L'ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev a salué, lui, un «homme au destin unique». Il fut, selon lui, l'un des premiers à dénoncer «à voix haute le caractère inhumain du régime stalinien».

Le président français Nicolas Sarkozy a rendu hommage à "l'une des plus grandes consciences de la Russie du XXe siècle", "une figure romanesque, héritière de Dostoïevski" qui "appartient au Panthéon de la littérature mondiale", une incarnation de la "dissidence" et de la "résistance à l'oppression".

La chancelière allemande Angela Merkel a fait part de "sa grande consternation" et adressé ses condoléances au président russe. Le prix Nobel de littérature a été un "grand et important écrivain, un citoyen engagé (...), un moraliste, un combattant de l'arbitraire qui n'avait pas peur et qui s'est engagé pour les droits de l'Homme", a-t-elle fait savoir.

Funérailles mercredi

Alexandre Soljenitsyne sera inhumé mercredi au cimetière du monastère Donskoï à Moscou, a annoncé lundi un responsable du Patriarcat de Moscou cité par l'agence Interfax.

"Alexandre Soljenitsyne avait lui-même choisi ce lieu de son vivant", a précisé ce responsable. A la demande de l'écrivain "il y a cinq ans, le patriarche Alexis II (patriarche de Moscou et de toutes les Russies, ndlr) avait réservé une place au cimetière du monastère Donskoï", a-t-il ajouté.

La bibliographie de Soljenitsyne

Une journée d'Ivan Denissovitch (1962)

Le Pavillon des cancéreux (1968)

Les Droits de l'écrivain (1969)

Le Premier cercle (commencé en 1955, version finale en 1968)

La Roue rouge (1972)

L'Archipel du Goulag (tomes I et II) (1974)

Des voix sous les décombres (1975)

L'Archipel du Goulag (tome III) (1976)

Le Déclin du courage (1978)

Message d'exil (1979)

L'erreur de l'Occident (1980)

Les Pluralistes (1983)

La Roue rouge, tome 2 (1985)

Comment réaménager notre Russie? (1990)

La Roue rouge, tome 3 (4 tomes) (1993-1998)

Le « Problème russe » à la fin du XXe siècle (1994)

Ego (1995)

Nos jeunes (1997)

Le Grain tombé entre les meules (1998)

La Russie sous l'avalanche (1998)

Deux récits de guerre (2000)

Esquisses d'exil – Le grain tombé entre les meules, tome 2 (2005)

Aime la révolution ; Les yeux dessillés, (2007)

Réflexions sur la révolution de février, (2007)

Une minute par jour, (2007)