"OK Computer" fête ses 20 ans

Grand Format

Jean-Christophe Bott

Introduction

En 1997 sortait le mythique album du groupe britannique Radiohead. Décryptage dans "Audioguide" de cette révolution du rock annonçant l'âge d'or de l'autoproduction et de l'indépendance dans le milieu.

Séisme musical

1997 est l'année de la gloire des Spice Girls, mais aussi celle du rock de Radiohead. Avec son album "OK Computer", le groupe se place sur une nouvelle orbite qui n'est ni celle ses compatriotes "rockeux-britpopeux", ni celle du rock alternatif larmoyant post-grunge.

Ce coup de volant fut si magistral qu'il inquiéta la direction d'EMI, la maison de disque du groupe, qui revit à la baisse les prévisions de ventes à l'écoute du disque. Il n'y avait pas de quoi: l’album se vendra à près de cinq millions d’exemplaires. Il réussira surtout le pari improbable de réunifier le public rock et les fans de musique électronique.

La cover de "Ok Computer" de Radiohead. [XL Recordings]
La cover de "Ok Computer" de Radiohead. [XL Recordings]

Si Radiohead s'est toujours réclamé de Sonic Youth, des Pixies ou de R.E.M, les influences de "OK Computer" ont de quoi dérouter les fans de rock. Mais à la joie de ce dernier se substitue la réalité des thématiques de cette fin de millénaire, la guerre, le chaos, la propagande et un scepticisme face à l’arrivée au pouvoir de Tony Blair au Royaume-Uni.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 1 :

La formation d'Oxford Radiohead. [DR - Muve Recordings]DR - Muve Recordings
Audioguide - Publié le 1 mai 2017

Nigel Godrich

Les majors qui fonctionnent comme de vieux pachydermes peu enclins à la prise de risque disposent d'une technique implacable. Proposer un deuxième album dans la foulée du premier et bénéficier ainsi de son aura de succès. En 1996, une année avant la sortie de "OK Computer", Parlophone propose à Radiohead de profiter du succès de leur deuxième album "The Bends" pour sortir rapidement "The Bends 2".

Radiohead refuse tout net. Impossible de se remettre dans le même état d’esprit et le groupe vaut mieux que cela estime Thom Yorke, qui au fil des années, a pris confiance. Les membres de Radiohead savent déjà qu'ils veulent travailler avec Nigel Godrich, un ingénieur du son promis à l’électro, avec qui ils ont enregistré en cinq heures seulement le titre "Lucky".

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 2 :

Nigel Godrich sur scène, au festival Coachella en 2010. [Getty Images North America/AFP - Michael Buckner]Getty Images North America/AFP - Michael Buckner
Audioguide - Publié le 2 mai 2017

Parlophone capitule et avance 100'000 livres au groupe pour qu’il se retire à la campagne et se procure l’équipement de son choix – dont une vieille reverb à plaques. En juillet 1996, tout le monde installe ses quartiers dans un studio de l’Oxfordshire. Le régime est démocratique même si c'est souvent la voix de Thom Yorke qui prend le dessus et celle de Nigel Godrich qui tempère un groupe qui peine à finir ses titres. Las, ils repartent en tournée aux côtés d'Alanis Morissette avant de réaliser une commande qui relancera la production de leur album. Il s'agit du titre "Exit Music (for a Film)" destiné à la version 21e siècle de "Roméo et Juliette".

Le réalisateur Baz Luhrmann leur fournit les 30 dernières minutes du film et Radiohead fournit "Exit Music (For A Film)", un titre qui en 20 ans deviendra un classique.

St Catherine’s Court

A tout album mythique correspond un lien d'enregistrement tout aussi mythique. C'est dans la propriété de l'actrice Jane Seymour, St Catherine's Court, une demeure historique dans le comté de Bath, que sera finalement enregistré "OK Computer". Toutes les pièces furent mises à contribution; la cage d'escalier à même prêté son effet de réverb à certains titres.

L’ensemble commence à prendre forme et les titres tissent entre eux un maillage évoquant les thématiques du 21ème siècle, tout proche: globalisation, anticapitalisme, transport, aliénation, mort et technologie.

Thom Yorke se charge des paroles en puisant l'inspiration dans les livres scientifiques et de science-fiction, tels que Philip K. Dick ou "La fabrique du consentement" de Noam Chomsky, qui analyse l’aspect propagandiste des médias de masse. Mais pour autant, "OK Computer" ne se veut pas un album-concept.

La robotique est aussi l’un des thèmes récurrents de l'album, comme le démontre le titre "Fitter Happier" et sa voix d'ordinateur. Quant au "Paranoid Android", il est tiré d'un personnage du "Guide du voyageur galactique" de Douglas Adams, un robot dépressif nommé Marvin.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 3 :

La cover de "Ok Computer" de Radiohead. [XL Recordings]XL Recordings
Audioguide - Publié le 3 mai 2017

Spots promotionnels

Pour l'anecdote "OK Computer" doit son titre à un morceau retiré de l'album. Fait-il référence à une commande pour un futur incertain ? On laisse son interprétation aux analystes de l'écriture de Thom Yorke.

C'est l'artiste Stanley Donwood qui s'occupe de la pochette de l'album et de tous les visuels du groupe depuis. Il est invité à assister au processus créatif des sessions d'enregistrement.

Capitol, le distributeur américain, évoque un suicide commercial et baisse ses prédictions de ventes de 10 à un demi-million d’exemplaires. Le groupe ne se démonte pas et profite de la confiance que lui accorde Parlophone pour mettre en place une campagne d’affichage avec les paroles de "Fitter Happier" affichées dans le métro et des goodies sur le web. Mais sa meilleure pub aux Etats-Unis reste les clips vidéo.

Radiohead sait imposer son univers musical et visuel. La preuve en est du clip de "Paranoid Android" qui met en scène le personnage de Robbie dans un univers un peu glauque.

Ce clip fera accepter l'idée qu'en 1997 un single de plus de 6 minutes peut encore s'imposer comme une référence.

On voulait quelque chose de drôle et de malade – et l'univers du dessinateur Magnus Carlsson était parfait pour nous.

Radiohead.

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 4 :

"Robin & Benjamin", une illustration de Magnus Carlsson. [http://magnuscarlsson.se/ - Magnus Carlsson]http://magnuscarlsson.se/ - Magnus Carlsson
Audioguide - Publié le 4 mai 2017

Kid A

Être porté aux nues par le public et la critique est merveilleux, mais aussi éreintant. Cette expérience de mise à nu et de déification va avoir un impact radical sur la future discographie de Radiohead. En 1998, après avoir passé une année à tourner, à répondre à des interviews, à se voir et à s’entendre partout, Thom Yorke commence à être dégoûté de lui-même, et de sa voix.

"Il était convaincu qu'OK Computer était encore trop empêtré dans la tradition rock, trop épique", commente l’auteur Simon Reynolds.

Pour résumer, le rock lui sort par les trous de nez à lui, Thom Yorke, l’ancien étudiant en art plastique, qui se voit plus original que cela. Pour lui, pas question de devenir un nouveau U2 ou un nouveau Pink Floyd…

[L'album] cochait toutes les bonnes cases. Les mélodies ont commencé à me gêner - ça me rendait dingue. À l’époque, il y avait beaucoup de groupes similaires qui sortaient, et ça empirait les choses. J’avais encore plus de mal à supporter le son de ma voix.

Thom Yorke.

Puis il y a eu la sortie de "Kid A" avec le raz-de-marée de réactions polarisées qu’il a engendrées. Vu comme une trahison par les fidèles du rock, "Kid A" sera encore plus éloigné d’OK Computer que ce dernier l’était de "The Bends".

Noël Gallagher dira que c’est un monument de lâcheté, Shirley Manson de Garbage, elle, se fendra d'un "Mais comment ils osent? Ils sont pas les Velvet Underground!".

>> (Ré)écoutez "Audioguide", épisode 5 :

"Kid A". Radiohead. [Radiohead]Radiohead
Audioguide - Publié le 5 mai 2017

Même ton outragé chez Shirleen Spiteri de Texas: "Si c’est pour faire de la musique uniquement pour eux, ils ont qu'à retourner dans leurs chambres!"

Mais plus on s’étouffe, et plus Radiohead jubilent, car s’ils ont - momentanément - perdu le soutien du rock, ils ont fait ce que le rock se refuse trop souvent à faire: sortir des sentiers battus et se montrer accessible à d'autres styles, plus enclins à la perméabilité.

Crédits

Une série proposée par Ellen Ichters pour l'émission "Audioguide" sur Couleur 3

Réalisation web: Camille Besse, Louise Saudan et Sylvie Ravussin

mai 2017