Jean-Jacques Lagrange, pionnier de la science-fiction à la TSR

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Introduction

Durant les années 50-60, dans un contexte de guerre froide, les expérimentations atomiques et la conquête spatiale naissante cristallisent peurs et angoisses et deviennent aussi une source d’inspiration pour la littérature, la bande dessinée, le cinéma et bien sûr la télévision. La TSR, ancêtre de la RTS, va très tôt s’y intéresser. Le réalisateur Jean-Jacques Lagrange s’affirme comme le grand pionnier du genre. Un de ses films, "Temps mort", est cette année à l’honneur au Festival international du film fantastique (NIFFF). L’occasion rêvée d’un voyage dans le temps, à la découverte d’une face moins connue, mais passionnante, du réalisateur genevois.

Chapitre 1
Du Serial à la dramatique télévisée

Les séries de science-fiction apparaissent aux premiers temps de la télévision dès les années 1950 avec les Serials qui passent alors du grand au petit écran. Tales of Tomorrow diffusée en 1951, inaugure le genre de la série d'anthologie, qui trouve son apogée avec La quatrième dimensionde Rod Sterling diffusée à partir de 1958, qui combinait à la fois des récits fantastiques et de science-fiction.

Flash Gordon, TVScopie, 1980 [RTS]
Flash Gordon, TVScopie, 1980 [RTS]

En Europe, les télévisions se lancent dans les émissions de fiction et abordent timidement la science-fiction dans certaines dramatiques à partir des années 60. Si la télévision française n'a pas beaucoup d’estime pour le genre, les pays anglo-saxons sont en revanche plus ouverts à la culture des comics. Ces séries lancent le thème du voyage spatial, de la quête d’une autre civilisation, d’un potentiel monde meilleur ou de l'invasion extra-terrestre, dont Les envahisseurs fut le premier exemple marquant.

Jean-Jacques Lagrange, promoteur de la SF à la TSR

Le réalisateur Jean-Jacques Lagrange en 1961
Le réalisateur Jean-Jacques Lagrange en 1961

« Ma jeunesse a été bercée par la lecture des livres d’anticipation de Jules Verne et d’autres romans d’aventures, de voyages extraordinaires ou de fantastique. Tous ces récits m’ont peut-être conditionné de choisir la télévision, un domaine professionnel qui n’existait pas encore, pour participer, en 1953, à la création de la Télévision genevoise devenue Télévision Suisse Romande en 1954. »

Lieu d’invention, d’expérimentation ouvert sur les possibles : c’est ainsi que se présente le nouveau média télévisuel aux pionniers de la TSR. De Jean-Jacques Lagrange, on connaît les grands reportages ("La dernière campagne de Bob Kennedy") ou encore les fictions à thèmes réalistes ("Mérette"). On sait moins qu'il fut, en 1958 déjà, le premier réalisateur de science-fiction de la TSR et l'auteur de trois dramatiques explorant ce genre.

Chapitre 2
La grande peur de Dyson

La grande peur de Dyson a été diffusée le 17 septembre 1958. Cette dramatique est tirée d’un scénario conçu pour la télévision par l’auteur dramatique anglais John Boynton Priestley. Jean-Jacques Lagrange le fait traduire et adapter en français. Il en résume lui-même ainsi le propos:

«Tom Dyson est un citoyen anglais qui vit avec sa famille dans la peur de la bombe atomique. L’explosion d’une bombe A les projette dans l’univers d’un grand tribunal, une sorte de Jugement Dernier fantastique, qui met en accusation tous ceux qui ont inventé et fabriqué la bombe : savants, militaires, politiciens des deux camps mais aussi les victimes du désastre comme Dyson».

La dramatique est un genre télévisuel très prisé à l’époque. Réalisées pour l’essentiel en studio, les images sont captées en vidéo et diffusées en direct. Certaines séquences peuvent être tournées avant sur pellicule film, puis intégrées durant la diffusion. En 1958, la TSR ne dispose pas encore de kinescope, un dispositif permettant d'enregistrer sur film l'image du moniteur vidéo. De fait, on ne possède aucune copie de La grande peur de Dyson. Le script de la dramatique a également disparu. Par chance, nous avons retrouvé récemment quelques séquences filmées de la dramatique. Et notamment cet insert,  à l'image et au ton évocateurs.

Grande peur de Dyson Trailer
Culture - Publié le 17 septembre 1958

Dans le matériel retrouvé, cette scène de la dramatique, qui se situe après l’explosion de la bombe A. On y voit le comédien William Jacques, qui incarne Tom Dyson, s'extirpant des décombres. Il découvre une de ses filles morte, son épouse et une autre de ses filles gravement blessées, mais vivantes. Celles-ci lui rappellent une promesse qu'il leur avait faite: en cas d’explosion nucléaire, il ne les laisserait pas subir la mort lente et atroce causée par les radiations.

Sur le tournage de La Grande peur de Dyson
Culture - Publié le 17 septembre 1958

La TSR a souhaité diffuser en introduction à la dramatique l’interview d’un biologiste français spécialisé dans le domaine des radiations, Antoine Lacassagne. Il s’agit de faire comprendre à des téléspectateurs hantés par le risque de guerre nucléaire que l’usage des radiations a également des vertus médicales, thérapeutiques et techniques positives. Devrait-on renoncer à ces bienfaits à cause d'un usage potentiellement dangereux de la puissance nucléaire?

Le professeur Cassagne, expert en biologie nucléaire
Culture - Publié le 17 septembre 1958

Chapitre 3
La dame d'outre nulle-part

RTS

La dame d’outre nulle-part a été diffusée le 15 mai 1966. Il s’agit de l’adaptation d’une nouvelle du journaliste et écrivain franco-britannique George Langelaan. Cet auteur est connu pour son récit La mouche, qui fut plusieurs fois adapté au cinéma, notamment par David Cronenberg en 1986.

Pour ce nouveau projet, Jean-Jacques Lagrange a fait appel à Jean-Louis Roncoroni, dialoguiste et scénariste français qui travaille régulièrement pour la télévision. Avec lui, raconte Jean-Jacques Lagrange, « nous avons accentué au début de l’histoire le côté réaliste, scientifique et policier pour amener insensiblement le spectateur vers le fantastique ».

L'histoire

La dame d'outre nulle-part raconte l'histoire de Bernard Morgan, un ingénieur travaillant dans un centre de recherche atomique. Chaque soir, de retour chez lui, il est le témoin d’un phénomène inexplicable. A la fin des émissions, d'étranges images apparaissent sur son poste de télévision. Des personnages, dont une jeune femme aussi mystérieuse que séduisante, l'interpellent.

La dame d'outre nulle-part, rencontre du 3ème type?
La dame d'outre nulle-part, rencontre du 3ème type?

Alerte au Centre de recherche atomique. Une explosion s’est produite dans un local hyper-sécurisé où sont stockées des grenades nucléaires. Alors que les secours sécurisent le site, une réunion de crise a lieu dans le bureau du directeur. Parmi les personnes autorisées à pénétrer dans le local, il y a Bernard Morgan. Qu'est-ce qui aurait poussé l'ingénieur à commettre un tel acte ? La dramatique, dans un long flash-back, répondra à cette question.

La dame d'Outre nulle part extrait 1
Fiction - Publié le 5 octobre 1966

Plus de 50 ans avant le développement généralisé de Skype ou de Zoom, La dame d’Outre nulle-part nous propose d’explorer une relation virtuelle entre deux personnages. Bernard Morgan, joué par Henri Serre, a une existence bien réelle. Mais que dire de son interlocutrice, Mary (Marie-Blanche Vergne) qui prétend évoluer dans un autre temps et un autre espace? Cette frontière, qui heurte la rationalité, n'empêchera pourtant pas le scientifique de tomber amoureux.  

La Dame d'Outre nulle-part
Fiction - Publié le 5 octobre 1966

La Dame d'outre nulle-part va conquérir le public romand. Ce succès va inciter la RTF (la télévision publique française), qui avait refusé de coproduire un projet jugé pas suffisamment sérieux, à acheter la dramatique. La Dame d’outre nulle part va se voir décerner le prix Suisse TV 1966 de la meilleure dramatique, ainsi qu’une Mention spéciale au Festival international de Télévision de Monte Carlo 1967.

Lien à l'intégrale de la dramatique La dame d'outre nulle-part

Chapitre 4
Temps mort

Le succès de La dame d’outre nulle-part va encourager Jean-Jacques Lagrange à se lancer dans un nouveau projet de science-fiction. Un autre texte de George Langelaan, Temps mort, suscite son intérêt. Ce récit d’anticipation s’appuie sur des recherches réalisées dans le domaine de la médecine spatiale. Leur but : faire entrer les astronautes dans une autre temporalité pour les adapter aux exigences des futurs voyages dans l'espace. En 1968, George Langelaan revient sur ces expérimentations qui l'ont inspirées.

Itw de George Langelaan Temps mort
Entretiens - Publié le 26 avril 1968

Préparation et tournage

Pour écrire l'adaptation télévisée de Temps mort, Jean-Jacques Lagrange s'adresse une fois de plus à Jean-Louis Roncoroni. A la fin de l'été 1967, le scénario est bouclé. Les préparations du tournage peuvent commencer. Il faut choisir des acteurs, puis, à Genève, repérer les lieux où se dérouleront les scènes en extérieur.

Les décors extérieurs de Temps mort
Les décors extérieurs de Temps mort

Les couloirs souterrains des HUG, le garage circulaire de Rive, la sortie hélicoïdale de la centrale Migros de Carouge, la salle des commandes et le réfectoire des SIG... Autant d'endroits offrant une architecture moderne, évoquant un univers technique d'avant-garde. Ensuite, c'est l'écriture de la mise en scène, la réalisation du story-board, puis les premières répétitions avec les acteurs. Le tournage débute avec les scènes extérieures, les scènes en studio suivent. Le montage enfin couronne ce parcours. La dramatique sera diffusée sur les écrans de Suisse romande le 24 avril 1968.

Jean-Jacques Lagrange (au milieu) avec Jacques Riberolle (à droite) et Bernard Rousselet (à gauche) sur le tournage de Temps mort.
Jean-Jacques Lagrange (au milieu) avec Jacques Riberolle (à droite) et Bernard Rousselet (à gauche) sur le tournage de Temps mort.

L'histoire

Le Centre de recherche médico-spatiale est sur le point de lancer une expérience dite de "temps relatif". Le premier à se prêter à cet essai est l’astronaute Bernard Muller (Bernard Rousselet). On l'installe dans un sas et on lui injecte une solution qui va ralentir ses fonctions naturelles et sa perception du temps.

Temps mort Muller sombre
Fiction - Publié le 26 avril 1968

Un second "cobaye", Michel Darnier (Jean Riberolle), rejoint son camarade dans l'expérience. C'est au moment prévu du retour des deux hommes dans la temporalité normale que les choses tournent mal. L'ordinateur central s'emballe et tombe en panne. Muller et Darnier se trouvent projetés dans un temps sur lequel ils n'ont aucun contrôle. D'abord séparés, les deux hommes se retrouvent dans une cafétéria où les êtres humains sont figés dans une immobilité de statue.

temps mort à la cafétéria
Fiction - Publié le 26 avril 1968

Perdus dans une temporalité en total décalage avec le monde réel, les deux héros vont réagir de façon très différentes. L'un sombre dans la dépression, tandis que l'autre s'accroche à l'espoir d'un retour. Original et maîtrisé, riche en trouvailles visuelles, Temps mort  se présente comme une fable scientifique, prenant à certains moments des accents quasi métaphysiques.

Lien à l'intégrale de la dramatique Temps mort

Temps mort constituera la dernière incursion de Jean-Jacques Lagrange dans le domaine de la science-fiction. Même si le genre n'a plus été après lui régulièrement exploité, il a tout de même fait des apparitions, parfois très remarquées, sur les écrans de la télévision romande.

Chapitre 5
Autres réalisations SF de la TSR

RTS

Série jeunesse, canular à la Orson Welles, ballet futuriste et téléfilm. La science-fiction a par intermittence pris ses quartiers dans les programmes de la TSR.

S.O.S. Terre

En 1966, la Télévision Romande produit pour son jeune public une mini-série de science-fiction, en huit épisodes, intitulée S.O.S. Terre.

S.O.S Terre, découvrez le premier épisode de ce feuilleton télévisé de science-fiction
Le 5 à 6 des jeunes - Publié le 7 septembre 1966

Réalisée par Roger Gillioz, on y retrouve tous les ingrédients du genre : un vaisseau spatial, une équipe de cosmonautes, la planète Cyclope dévastée par les Physiriens, un traître et une musique à frémir. Et petit clin d'oeil : Le premier épisode de S.O.S Terre sera diffusé 24h avant le lancement aux USA de l'épopée de Star Trek !

Lien à l'intégralité des épisodes

Alerte aux ovnis

Le 22 juin 1971 à 20h30 les programmes de la TSR sont brutalement interrompus: il se passe des événement très étranges du côté d'Aire-la-Ville. Selon les premières informations, un véhicule spatial non identifié aurait atterri dans ce coin de la campagne genevoise. Pour les téléspectateurs de la TSR, une soirée folle commence.

Un étrange vaisseau spatial atterrit à Aïre-la-Ville le 22 juin 1971. [RTS]
Correspondances - Publié le 22 juin 1971

Le canular imaginé par Marlène Belilos et Franck Jotterand fut un succès. L'ancienne productrice se souvient : "Les taux d'audience ont explosé. Les chaînes françaises, qui diffusaient des feuilletons d'habitude bien suivis, furent désertées." A part la déception que durent digérer ceux qui crurent vivre en direct la première rencontre du 3e type, tout se termina dans la bonne humeur.

Lien au récit complet du canular

Circuit Fermé

Le ballet Circuit fermé est créé en 1975 par la chorégraphe suisse Brigitte Matteuzzi, à l'issue d'un concours lancé par la Télévision suisse romande afin de promouvoir la danse adaptée aux moyens télévisuels.

Le ballet d'avant-garde Circuit Fermé
Ballets - Publié le 5 avril 1976

Récompensé par le Prix Italia 1976, Circuit fermé est réalisé dans le nouveau studio 4 de la TSR, avec Jean Bovon à la réalisation, Serge Etter aux décors et le compositeur veveysan Eric Gidaubert à la musique. Le thème de ce ballet est futuriste : une humanité guidée par LA MAIN (invisible), liée à celle-ci par un casque et un mini-ordinateur installés sur le ventre des êtres humains. Mais dans cet univers déshumanisé, un homme cherche, sans le savoir, à échapper aux contraintes.

Lien à l'intégralité de l'émission

La chambre

Expérimentation animale, création de virus mortels, accident de laboratoire. En 1982, le réalisateur Yvan Butler propose aux téléspectateurs romands un téléfilm glaçant aux résonances étrangement actuelles. Sur un scénario de Rodolphe-Maurice Arlaud, il nous conte la descente aux enfers d'un scientifique pris à son propre piège, condamné à un confinement dont il ne voit pas la fin.

Extrait de La chambre
Fiction - Publié le 27 septembre 1982