Cinq fois nominé aux Oscars, le dernier film
de la réalisatrice de "Démineurs" Kathryn Bigelow, "Zero
Dark Thirty", sort mercredi en salles. Il retrace scrupuleusement
les dix ans de traque qui ont mené à la capture d'Oussama Ben Laden en 2011.
Son réalisme lui a valu d'être encensé par la critique mais toute médaille a son revers. Les Républicains
accusent aujourd'hui le département de la Défense d'avoir livré des secrets d'Etat aux auteurs du film, dans le but de valoriser l'administration Obama dont la neutralisation du chef d'Al-Qaïda est le principal fait d'armes.
"Les Républicains ont surtout protesté contre la date de sortie du film, initialement prévue avant le scrutin",
explique Maurice Ronai, spécialiste des stratégies militaires américaines
et co-auteur du documentaire "Opération Hollywood"
(2004). Mais, précise-t-il, "ils ne dénoncent pas sur le fond la connivence entre Hollywood et l'armée, au contraire, ils y souscrivent".
Echange de bons procédés
De fait, l'industrie cinématographique et les forces armées
américaines entretiennent des relations ambigües depuis près de 70
ans et, jusqu'ici, le phénomène a toujours été communément admis.
Il y va de l'échange de bons procédés. Lorsque le réalisateur d'un film souhaite
limiter les coûts et/ou a des besoins spécifiques en termes de matériel militaire,
il soumet son scénario à une cellule spécialisée au sein des forces armées. Des experts s'assurent alors que le
film véhicule une image positive de la Défense avant de mettre à disposition son soutien technique, du matériel voire des hommes.
Pour l'armée, l’intérêt de travailler avec "l’usine à
rêves" est double : soigner son image et stimuler les recrutements. Pour les
producteurs en revanche, le confort est loin d'être gratuit. D'une part, parce que le soutien de la Défense est tarifé. D'autre part, car ils cèdent au Pentagone un droit de
regard absolu sur le scénario.
Et l'enjeu est de taille. "Si
les producteurs refusent de se soumettre aux exigences, le film peut
tout simplement ne pas se faire. Ou alors il leur faudra trouver des
alternatives : solliciter une armée étrangère, des musées, des
collectionneurs privés... ", explique Maurice Ronai.
Compétence, courage et supériorité technologique
Lorsque, aux débuts du cinéma, l’armée a collaboré au tournage de "Naissance d’une Nation" (1915) ou, plus tard, aux "Ailes" (1927), elle avait essentiellement pour but d'exalter le patriotisme et le courage des combattants.
Durant la Seconde Guerre mondiale, des centaines de films ont été réalisés avec l'aval du département de la Défense; il s'agissait d'encourager la "mobilisation psychologique".
D'une manière générale, pour qu'une oeuvre cinématographique soit jugée "militairement correcte", il faut
impérativement qu'elle mette en lumière la compétence, le courage
et,
surtout, la supériorité technologique de la Défense américaine.
A cet égard, le "Top Gun" de Tony Scott (1986) est emblématique. "Il associe les prouesses
technologiques à une image de convivialité. Il s'est en outre
accompagné d'une opération de recrutement massive. L'effet sur les enrôlements a été
spectaculaire", note Maurice Ronai.
Exigences de discrétion et de vraisemblance
A contrario, tout sujet sensible est banni. "Le
Pentagone ne soutiendra pas un film qui relate une mutinerie, des
conflits entre militaires ou des événements qui appartiennent aux
heures les plus sombres de l'armée", relève le spécialiste.
Meilleur exemple de cette censure larvée: le long métrage "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola (1979), très critique quant à la légitimité de l'engagement américain au Vietnam. Le Pentagone a rejeté la demande de collaboration, poussant le réalisateur à chercher
du soutien du côté de l'armée... philippine.
Répudié lui aussi, le film "Treize jours" (2000), qui
relate la crise des missiles de Cuba. Les
conseillers historiques du Pentagone n'ont pas goûté le portrait
qui y était brossé du chef des armées. "GI
Jane", l'histoire d'une femme freinée dans ses efforts pour rejoindre les
forces spéciales de la Marine, a connu le même sort.
Assez étonnamment, tous types de films, comédies ou fictions comprises, peuvent solliciter le soutien du Pentagone. Ils doivent toutefois se plier aux mêmes exigences. Ainsi, le film
"Transformers" a-t-il reçu une approbation totale. "Il
s'agit d'une véritable démonstration technologique",
rappelle Maurice Ronai. "Independance Day" n'a pas eu autant de chance: le Pentagone a jugé que la représentation
qui y était faite des armées était invraisemblable.
Pauline Turuban
Les différents niveaux de coopération
La coopération dite "de courtoisie", qui se borne à une assistance technique ou au prêt d’images.
La coopération limitée, qui permet aussi de tourner dans une installation des forces armées, et met à disposition quelques membres du personnel militaire.
La coopération totale: les forces armées mettent à disposition, en plus de l’assistance technique et des lieux de tournage, des figurants appartenant au contingent et du matériel militaire.
Dix films emblématiques soutenus par l'armée...
- Les Bêrets verts
- La Chute du Faucon noir
- A la poursuite d'octobre rouge
- Les Ailes
- Les Messagers du vent (Windtalkers)
- Top Gun
- Pearl Harbor
- Le Jour le plus long
- Commando dans la mer du Japon (Hellcats of the Navy )
- Patton
... Et dix films qui ont dû faire sans
- Il faut sauver le soldat Ryan
- Apocalypse Now
- Johnny s'en va-t-en guerre
- Independance Day
- Full Metal Jacket
- La Ligne rouge
- M.A.S.H.
- Couvre-feu
- Platoon
- Treize jours