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Jon Ferguson livre un regard différent sur le sport

Jon Ferguson, un sacré personnage du monde sportif suisse.
Jon Ferguson, un sacré personnage du monde sportif suisse.
Jon Ferguson n'a pas la langue dans sa poche. Entraîneur de basket durant 26 ans, cet Américain établi en Suisse depuis 1973 a un avis bien tranché sur le monde du sport. Fric, dopage, victoire, tout y passe.

Né à Oakland, Jon Ferguson (59 ans) est une véritable légende du
basket suisse. Arrivé dans notre pays en 1973, ce Californien a
baigné durant plus de 30 ans dans le monde de la sphère orange,
comme joueur puis comme entraîneur. Mais le sport est loin d'être
sa seule passion. Il est aussi professeur d'anglais, écrivain (14
romans) et peintre (15 expositions).



Elevé dans le culte de l'Eglise mormone, Jon Ferguson est avant
tout un amoureux de la vie. Personnage charismatique, il a un avis
bien tranché sur le monde du sport. Le mot victoire a, pour lui, un
sens bien différent de celui qu'on lui prête...

"Aucun résultat sportif n'a d'importance"

tsrsport.ch: Quel regard portez-vous sur le
sport professionnel d'aujourd'hui?




JON FERGUSON: Le sport, c'est l'opium du peuple.
Moi, je fais partie de ces gens drogués par le sport. Mais aucun
résultat sportif n'a d'importance parce que la victoire de l'un,
c'est la défaite de l'autre. On fait une telle salade sur les
gagnants et les perdants. On est un héros un jour, un imbécile un
autre. C'est vraiment un monde absurde! Mais en même temps, quand
on est dans le sport, c'est passionnant d'essayer de faire quelque
chose avec ces pièces humaines qui sont infiniment complexes. C'est
pour ça que je suis resté 26 ans entraîneur de basket.



tsrsport.ch: Suivez-vous encore les résultats
sportifs, restez-vous informé?




JON FERGUSON: Oui, je regarde le Teletext
quasiment tous les jours. Mais pas tous les sports.
L'automobilisme, je m'en fiche complètement. On ne peut pas me
faire regarder deux minutes de la F1. J'aime bien le golf. Je suis
le football de loin également. Le FC Bâle qui vire son entraîneur
alors qu'il a fait un magnifique résultat, ça m'amuse.



tsrsport.ch: Quel est votre sentiment sur le
basket suisse, son évolution?




JON FERGUSON: On dit que le basket suisse n'est
pas un sport populaire. En 1979, j'ai fondé le premier camp de
basket dans ce pays. Aujourd'hui, c'est le plus grand d'Europe. On
a 750 enfants qui y participent chaque année, c'est extraordinaire
pour un sport pas populaire! Mais les dirigeants du basket suisse
n'ont pas trouvé la bonne formule. Je vous expliquerais bien ce que
je ferais à leur place mais c'est une discussion beaucoup trop
longue pour en parler ici...

"C'est mieux que le cirque"

tsrsport.ch: Depuis vos débuts dans les
années 1970, le sport a beaucoup évolué...




JON FERGUSON: Regardez l'athlétisme, c'est un
feuilleton incroyable. On parle du dopage, de Bolt qui bat les
records, de l'athlète (ndlr: Caster Semenya) dont on ignore si
c'est une femme ou pas. C'est mieux que le cirque! Chaque sportif
veut ses quinze secondes de gloire, c'est extraordinaire à voir. On
dirait que presque chaque athlète a un ego surdimensionné! Avant,
c'était différent, les athlètes étaient déjà contents de pratiquer
un sport et de gagner un peu d'argent. Mais le sport a pris
aujourd'hui de telles dimensions financières, c'est ridicule.



tsrsport.ch: Que vous inspirent les sommes de
transferts mirobolantes dans le monde du sport, comme le football
notamment?




JON FERGUSON: C'est d'une absurdité totale. Mais
il ne faut pas blâmer les joueurs s'ils gagnent un million par
mois. Ce n'est pas de leur faute. Tout cet argent est payé par le
gars qui est sur son fauteuil en train de regarder le match en
mangeant des chips et en buvant une bière! C'est le public qui rend
ça possible. Il faut lire mon prochain roman "Le déluge". Je parle
notamment de ce phénomène...

"Le sport devrait promouvoir l'être humain"

tsrsport.ch:

La notion de "gagner" n'a, pour
vous, pas la signification usuelle
.



JON FERGUSON:

Si j'avais gagné une partie, ma
première pensée était pour le coach adverse. Parce que je savais
qu'il devait subir les bla-bla-bla du comité, de la presse, etc.
Cette notion de victoire est totalement stupide! Qui a inventé les
3 médailles pour les JO? C'est totalement aléatoire. Mais dans
l'esprit du public, c'est tellement important d'être médaillé.
C'est ridicule! Le sport devrait promouvoir l'être humain. Le
journaliste et le public veulent s'identifier avec le meilleur.
C'est complètement bête. Identifiez-vous avec la meilleure
personne, celle qui a le plus de qualités humaines ou celle qui
comprend le mieux le phénomène de la vie.



tsrsport.ch:

Que faut-il faire pour y
remédier. Y a-t-il un moyen de changer la donne
?



JON FERGUSON:

Non, il n'y a pas de solution!
L'être humain est comme ça. On ne peut rien y changer...

"L'entraîneur a un rôle humain"

tsrsport.ch: Le rôle de l'entraîneur est
très important. Quelles sont les valeurs qu'il faut inculquer aux
sportifs?




JON FERGUSON: La vie est éphémère et il y a
tellement de moments sans importance que mon but était que mes
joueurs gardent le plus de souvenirs possibles. Je crois que j'ai
vraiment réussi sur ce plan-là. Il y a beaucoup d'anciens joueurs
qui me disent qu'ils ont passé les meilleures années de leur
carrière avec moi. Peu importe qu'il y ait eu un titre à la clé ou
pas, on s'en fout! Pour moi, c'est ça la réussite d'un
entraîneur.



tsrsport.ch: Quel était le message que vous
transmettiez à vos joueurs?




JON FERGUSON: Ce qui compte, c'est les moments
privilégiés que l'on passe ensemble. Les joueurs donnent tout, en
respectant les coéquipiers et l'adversaire. Ces instants où
l'équipe fournit un effort collectif représentent la beauté du
sport. Ca n'a rien à faire avec la victoire ou la défaite.



tsrsport.ch: Mais la victoire, ça
aide.




JON FERGUSON: Bien sûr, ça aide pour la carrière
et le salaire. Mais comme on le voit dans le monde, ce n'est pas
forcément les personnes qui gagnent le plus qui sont les plus
heureuses. L'entraîneur a un rôle humain. Il doit être au-dessus de
cette notion de victoire ou de défaite. Il faut gagner ou perdre
avec dignité. Mais bien sûr, comme entraîneur, le but reste de
gagner. Mais si j'avais obtenu le meilleur rendement possible avec
les pièces que j'avais, l'objectif était atteint.



tsrsport.ch: Comment expliquez-vous le
phénomène toujours plus important de sportifs effectuant un
come-back?




JON FERGUSON: Il y a d'une part les raisons
financières mais je dirais surtout le phénomène de l'adrénaline.
Coacher un match de basket, c'est fabuleux. Le cerveau prend deux
mille décisions en deux heures de temps. Quand on arrête, on est un
peu en manque de cette adrénaline, de ces moments d'extase. Depuis
deux ans, je n'entraîne plus mais heureusement, pendant ce temps,
j'ai écrit 3 romans et fait de la peinture, ce sont aussi des
phénomènes d'adrénaline.



Propos recueillis par Stéphane Altyzer

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"Je m'en fous de qui gagne"

tsrsport.ch: Vouloir contrôler le dopage dans le sport, est-ce utopique?

JON FERGUSON Dans le sport de haut niveau, le dopage est assez flagrant je crois. Je compare cela aux actrices de Hollywood qui refont leur poitrine pour rester au sommet. Ceux qui se dopent sont des désespérés qui veulent absolument rester en haut de l'affiche. Il faut simplement que les athlètes soient conscients des effets secondaires. Le dopage ne me gêne pas car je m'en fous de qui gagne! On ne peut rien y changer. L'être humain cherchera toujours le pouvoir et le fric.

tsrsport.ch: Si votre enfant veut devenir sportif professionnel, que lui dites-vous?

JON FERGUSON Quand mes enfants pratiquaient le basket, j'allais voir leur match. Honnêtement, je m'en fichais complètement s'ils gagnaient ou pas. J'avais simplement du plaisir à les voir jouer. Mon fils est ensuite parti aux USA faire du basket et il est rentré avec des biceps 2 fois plus grands. Il avait pris de la créatine car tout le monde en prenait! C'est son choix. Quand on a un enfant, on lui inculque certaines valeurs mais ensuite à lui de choisir sa façon de vivre.

tsrsport.ch: Ne plus entraîner de club de basket vous manque-t-il?

JON FERGUSON Je serais prêt à reprendre une équipe mais je n'aime pas le faire au milieu de la saison car je n'ai pas choisi les joueurs. Former une équipe, c'est déjà la moitié du travail de l'entraîneur: mettre les pièces qui vont ensemble, psychologiquement, athlétiquement et techniquement. Donc oui, ça me manque un peu cette adrénaline.

Jon Ferguson express

Repas préféré: tout ce que mijote mon chef préféré Peter Baermann (ndlr: grand chef d'un restaurant lausannois).

Boisson préférée: le vin rouge.

Lieu de vacances favori: sud de l'Utah.

Emission de TV préférée: aucune. Je n'ai pas regardé de film ou de DVD depuis 9 ans! La vie est trop courte pour regarder les autres à la TV. Moi, je préfère faire les choses moi-même.

Votre devise: La première raison d'être du sport, c'est le plaisir de boire une bière après le match. La deuxième, c'est de la boire avec ses amis. La troisième raison reste à découvrir.

Votre salaire: environ 7'000 francs. C'est vivable en Suisse!