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Lucien Favre, un bâtisseur hors pair. Interview

Favre un entraîneur qui ne se laisse pas griser par le succès.
Favre un entraîneur qui ne se laisse pas griser par le succès.
Le Hertha Berlin occupe la tête du classement de Bundesliga après 22 journées. Ne parlez toutefois pas de titre à Lucien Favre. L'ex-entraîneur à succès du FC Zurich préfère évoquer l'immense travail qu'il reste à accomplir.

Son arrivée à Berlin était quasiment passée inaperçue. Le Hertha
venait d'"user" deux entraîneurs et, afin de réduire sa dette,
avait vendu 10 joueurs. Certains médias allemands avaient
d'ailleurs écrit: "Favre, un coach sans équipe". Le Vaudois qui a
mené le FC Zurich à deux titres de champion et à une Coupe était
lucide à l'entame de la saison 2007/2008: "On n'aurait pas
engagé un entraîneur suisse si le Hertha disposait d'une équipe qui
tournait bien"
.



Vingt et un mois plus tard, le Hertha occupe la première place de
la Bundesliga! "Mais le travail à accomplir est immense",
tempère Lucien Favre à l'interview.



"Il a fallu reconstruire à chaque fois"

tsrsport.ch: A votre arrivée à Zurich, vous
avez construit une équipe. Idem au Hertha. Vous avez donc besoin de
temps. Cela n'aurait pas forcément été possible au FC
Sion.




LUCIEN FAVRE: A l'exception d'Echallens (93/94),
qui était une équipe quasiment construite, j'ai repris des équipes
comme Yverdon (96/00) où il a presque fallu tout reprendre de A à
Z. A Servette (00/02) et Zurich (03/07), deux entraîneurs étaient
partis en cours de saison. Cela signifie que lorsque deux
entraîneurs doivent partir, il y a un problème dans l'équipe. Donc
c'est une équipe qu'il faut reconstruire.



tsrsport.ch: Est-ce à dire que vous préférez
reprendre une équipe à bâtir?




LUCIEN FAVRE: Non, pas du tout. Ce sont les
circonstances qui ont voulu que je sois dans de tels clubs. A mon
arrivée à Zurich, ce n'était pas possible d'avoir du succès avec le
contingent à disposition. Le Hertha s'était de son côté séparé de
deux entraîneurs la saison avant mon arrivée. L'équipe avait fini
16e sur l'ensemble du 2e tour. Il a fallu reconstruire à chaque
fois. Ce n'est pas facile mais très intéressant. Peut-être qu'un
jour on me donnera clé en mains une équipe qui finit régulièrement
3e-4e et qui peut lutter pour le titre (rires).

"Progresser ne serait-ce que petit à petit"

tsrsport.ch:

Mis à
part la passion et beaucoup de travail, quel est votre secret pour
arriver là où vous en êtes aujourd'hui? Vous êtes un acharné du
boulot..
.



LUCIEN FAVRE:

Comme beaucoup d'entraîneur,
j'imagine. C'est normal. Il n'y a pas de secret. J'essaie d'avoir
une bonne planification, organisation pour pouvoir être efficace
dans mon travail. Je fais tout mon possible afin de progresser, ne
serait-ce que petit à petit. De semaine en semaine, de mois en
mois.



tsrsport.ch:

Vous avez déclaré cette saison
que le Hertha Berlin avait bénéficié d'un brin de réussite lors de
certains matches. Lorsque l'on gagne autant de rencontres et que
l'on occupe le sommet du classement, la chance n'est plus forcément
due au hasard, non
?



LUCIEN FAVRE:

On a gagné certaines parties avec
la réussite de notre côté et perdu d'autres que l'on ne devait pas
perdre. Pour moi cela signifie que nous avons encore beaucoup de
travail. L'objectif principal du club est de construire une équipe
qui puisse jouer régulièrement dans le haut du tableau et d'éviter
de faire le yoyo. A mes yeux, le choix des joueurs est déterminant.
Nous avons fait un bon travail d'ensemble jusqu'à maintenant. Avec
nos moyens, nous avons effectué de bons transferts cette saison.
Nous avons trouvé un bon mélange avec l'équipe qui était déjà là.
Voilà pourquoi nous sommes plus solides et meilleurs que la saison
passée.

On m'a dit: "tu es complètement fou"

tsrsport.ch: Vous avez prolongé en janvier
votre contrat avec le Hertha Berlin jusqu'en 2011. Votre travail
est unanimement apprécié.




LUCIEN FAVRE: Il nous reste une année et demie de
construction pour arriver à l'objectif d'avoir une équipe qui
évolue régulièrement entre la 3e et la 8e place. On a encore des
ajustements à faire.



J'avais parlé de cet objectif hyper élevé à mon arrivée au Hertha,
en juin 2007. Tout le monde m'avait dit "tu es complètement fou".
"C'est inaccessible pour le Hertha. Ce n'est pas possible de
toujours être dans le haut du tableau". Personnellement, je pense
que l'on peut y arriver. Mais on doit se renforcer à chaque période
de transferts. Et par transferts, j'entends de réels renforts ou de
très jeunes joueurs. A partir de là, on peut éventuellement arriver
à placer le Hertha toujours plus sur de meilleures bases.



tsrsport.ch: Par rapport à certaines
cylindrées de la Bundesliga, le Hertha Berlin n'a pas beaucoup de
moyens financiers. Malgré cela, le club réussit une magnifique
belle saison.




LUCIEN FAVRE: Financièrement, le Hertha Berlin
n'arrive pas à rivaliser. Les gens ont de la peine à le croire car
Berlin est la capitale de l'Allemagne et c'est une ville en plein
boum. Cela n'a rien à voir. On a engagé des joueurs collectifs qui
sont complémentaires avec le groupe. Un joueur ira plus facilement
au Bayern qu'au Hertha mais gentiment cela commence à changer. Les
jeunes commencent aussi à être attirés par le Hertha.
Financièrement, nous ne pouvons pas rivaliser avec au moins 10-12
équipes de la première Bundesliga. Même les équipes néo-promues ont
plus investi que nous.

"Il faut savoir se couper du football"

tsrsport.ch: Malgré des moyens limités, le
Hertha joue les "trouble-fêtes" en tête du classement. La preuve
que l'argent ne fait pas tout...




LUCIEN FAVRE: Avoir les moyens financiers c'est
une chose... Mais quand on en a trop, ce n'est pas nécessairement
bon. En venant au Hertha, j'étais au courant des données en termes
de budget. Notre travail d'ensemble avec les manager, directeur
sportif, recruteurs, entraîneurs assistants est plutôt bon. Nous
sommes sur la bonne voie.



tsrsport.ch: La pression est-elle plus grande
au Hertha Berlin que lorsque vous entraîniez en Suisse ?




LUCIEN FAVRE: Dans le quotidien d'un entraîneur
il faut savoir se "couper" du monde du football quelques instants.
Mais ce n'est pas facile (rires). Quant à la pression, elle est
quasiment la même en Suisse. La différence est qu'en Allemagne la
presse est omniprésente. Rien qu'à Berlin, il y a 18 journaux, dont
8 à 10 sont très lus. Par rapport à l'engouement, il faut aussi
relever que les stades sont souvent pleins. La moyenne par match
s'élève à 43'000 spectateurs. C'est 10'000 spectateurs de plus
qu'en Angleterre et 15'000 qu'en Espagne. Ici, le football est une
religion. C'est incroyable. Les médias font énormément pour le
football.



tsrsport.ch: Par rapport aux médias suisses,
parfois très virulents, comment est la presse allemande?




LUCIEN FAVRE: Certains journaux allemands peuvent
être très très durs. Et cela va très vite. Je vis avec cette
situation. Cela fait partie du métier.

"Le FC Zurich, un exemple pour moi"

tsrsport.ch: Au niveau du jeu et
tactiquement parlant, y-a-t-il de grosses différences entre le
championnat d'Allemagne et la Super League ?




LUCIEN FAVRE: Le championnat de Suisse compte des
équipes et des joueurs de très bon niveau. Le fait est que les 5
championnats majeurs en Europe sont sportivement et financièrement
terriblement attractifs. Ceci implique que les talents partent de
plus en plus vite à l'étranger. C'est difficile pour la Suisse qui
ne dispose pas d'un réservoir assez important pour compenser ces
départs.



C'est pour cela que les clubs suisses doivent, à mon avis,
travailler un peu comme le FC Zurich. Le club a connu des départs
mais il comptait déjà des jeunes capables de les compenser. Le FC
Zurich est, dans ce domaine, un exemple pour moi.



tsrsport.ch: Le joueur suisse est
intéressant, surtout au niveau du rapport qualité/prix.




LUCIEN FAVRE: Je n'aime pas trop parler de
qualité/prix pour un joueur mais l'on peut effectivement dire que
c'est assez intéressant. Je préfère insister sur le fait qu'il y a
de jeunes joueurs talentueux en Suisse.

"L'argent n'a jamais été mon moteur"

tsrsport.ch: Certains entraîneurs et
dirigeants estiment que les agents de joueurs rendent votre métier
plus difficile. Qu'en pensez-vous?




LUCIEN FAVRE: Le métier d'entraîneur s'est
complexifié au fil des années. Il faut maîtriser tous les éléments
qui gravitent autour du football. Il faut avoir de bons contacts
avec le comité, le manager général, le directeur sportif. Il faut
communiquer avec la fédération, les supporters, les sponsors... Et
puis il y a les managers de joueurs. Il font partie de
l'environnement du football. Dans n'importe quel métier il y a
désormais des intermédiaires. Il faut s'adapter. Il y a de l'argent
dans le football. C'est donc clair qu'il y a beaucoup de monde qui
veut travailler dans le football. Il faut être clair et juste. Le
plus important dans mon métier reste la communication avec les
joueurs et les entraîneurs assistants.



tsrsport.ch: Restons dans le chapitre argent.
Il a passablement été question il y a 2 semaines en Suisse des
primes que vous toucherez à Berlin. Etant donné que le Hertha a
atteint la barre des 40 points, chaque unité supplémentaire va vous
rapporter 25'000 euros.




LUCIEN FAVRE: C'est l'occasion de dire qu'il n'y
avait aucune prime avant, contrairement à beaucoup d'autres clubs
de Bundesliga. L'argent fait partie du football. Au FC Zurich, les
deux tiers de mon salaire étaient des primes de résultats. Vous
savez, l'argent n'a jamais été mon moteur. Je n'ai pas obtenu de
meilleurs résultats avec mes différentes équipes en raison de mes
primes ou de mon salaire.

"Je ressens le besoin de parler aux joueurs"

tsrsport.ch: Jürgen Klinsmann gagne 8 fois
plus que vous et les deux tiers des entraîneurs de 1ère Bundesliga
sont mieux rémunérés que vous...




LUCIEN FAVRE: Peu importe. Je n'ai pas besoin de
justifier mon salaire. 50% de mes gains partent au fisc allemand.
Je ne vole personne. De toute façon, quel que soit le club en 1ère
Bundesliga, un entraîneur y gagne bien sa vie.



tsrsport.ch: Après la défaite du Bayern de
Munich à Berlin il y a 15 jours, Jürgen Klinsmann avait déclaré que
votre équipe avait un jeu basé sur la destruction. Un
commentaire?




LUCIEN FAVRE: Il n'avait pas dit ça. Il avait dit
qu'il n'avait rien appris en voyant jouer le Hertha Berlin. Il a
raison. J'imagine qu'avec l'équipe dont il dispose, il n'a pas
appris grand-chose de nous. Je sais très bien que nous avons encore
beaucoup de travail à accomplir. Tu peux perdre contre tout le
monde. C'est comme ça en Bundesliga. C'est très serré. Imaginez:
Schalke est actuellement 8e, le Werder Brême 11e. La concurrence
est rude.



tsrsport.ch: Un journal allemand, vous a
décrit comme "l'homme qui murmure à l'oreille des joueurs". Les
entraîneurs allemands n'ont pas pour habitude de beaucoup parler à
leurs joueurs. Vous avez une autre philosophie.




LUCIEN FAVRE: J'ai toujours fait comme ça. Je
pense qu'il faut une communication saine entre les joueurs et
l'entraîneur. Que ce soit de manière individuelle ou collective. Je
ressens le besoin de parler avec les joueurs. Et je pense qu'eux
aussi. C'est naturel chez moi. Je le fais beaucoup plus depuis mon
passage au FC Zurich. Je suis comme un joueur. J'essaie de
progresser dans ce que je fais.



propos recueillis par Miguel Bao

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"Apprendre le métier par étapes"

tsrsport.ch: Vous avez mis un terme à votre carrière de joueur en 1991. Pourquoi avoir embrassé celle d'entraîneur ?

LUCIEN FAVRE: Lorsque j'étais joueur, les systèmes de jeux et la tactique m'intéressaient. C'était donc à quelque part logique que je tente une carrière d'entraîneur. J'avais décidé d'apprendre le métier en procédant par étapes. Voilà pourquoi j'avais commencé à Echallens en tant qu'entraîneur-assistant d'une équipe de juniors C. Puis j'ai entraîné l'équipe de 1ère ligue d'Echallens. C'est ce que je voulais: franchir les différents paliers. Ensuite je suis allé une année et demie à Neuchâtel Xamax en tant que directeur sportif pour la formation. Je voulais connaître le fonctionnement d'un club. En tant que joueur, tu ne t'aperçois pas de cette facette. C'était très intéressant. Ça m'a beaucoup appris pour la suite.

tsrsport.ch: Donc contrairement à certains entraîneurs, tels que Guardiola ou Rijkaard, par exemple, vous n'avez pas tout de suite été propulsé à la tête d'une première équipe. Vous avez fait vos gammes pour arriver au sommet.

LUCIEN FAVRE: Pour arriver au sommet? Je dirais plutôt pour faire le mieux possible. J'estime que c'était nécessaire de faire ses gammes. Vous évoquez Guardiola. Il a tout de même travaillé quelques années avec les jeunes du FC Barcelone avant de reprendre la première équipe.

tsrsport.ch: Un bon joueur ne devient pas forcément un bon entraîneur. Votre carrière de joueur vous a-t-elle aidé à devenir entraîneur?

LUCIEN FAVRE: En tant que joueur, j'ai emmagasiné de l'expérience. J'ai quasiment occupé toutes les positions. J'ai été ailier gauche, centre-avant, latéral gauche. J'ai aussi évolué au poste d'arrière central à la fin de ma carrière mais mon poste de prédilection était le milieu de terrain. Je pouvais jouer quasiment à tous les postes sans trop de problèmes. Tout ceci m'a peut-être aidé à avoir une certaine vision lorsque je suis devenu entraîneur.

"Le football va de plus en plus vite. Parfois trop..."

tsrsport.ch: Comment avez-vous vécu l'évolution du football ces 20 dernières années ?

LUCIEN FAVRE: En fin de compte, c'est comme dans la vie. Ca va de plus en plus vite. Je dirais même que parfois ça va trop vite. Il y a trop de précipitation. J'essaie en tant qu'entraîneur de dire à mes joueurs de calmer le jeu pour pouvoir mieux accélérer. C'est en alternant le rythme que l'on a le plus de chance de surprendre notre adversaire. Il y a une chose qui n'a pas changé au fil des années: c'est l'intelligence du jeu. Viennent s'y ajouter le mental et la maîtrise des émotions. Si vous possédez ces 3 éléments capitaux mais pas la technique en mouvement et la condition physique, vous ne pouvez pas être un joueur professionnel.

tsrsport.ch: Si l'on vous dit que vous êtes un perfectionniste qui a une ambition saine...

LUCIEN FAVRE: Je vous réponds que je ne suis pas d'accord. Je suis un professionnel tout simplement. Pour moi un professionnel doit travailler jusque dans les derniers détails. C'est souvent ce qui fait la différence. C'est comme ça que je conçois mon métier. Et plus le niveau est élevé plus il faut être précis. Quel que soit le métier en fin de compte, il faut faire du mieux possible.

Lucien Favre express

La première chose que vous faites le matin: je déjeune.

Boisson préférée: l'eau plate. Bon verre de vin rouge.

Si vous n'aviez pas été joueur puis entraîneur: j'aurais beaucoup voyagé (rires)

Votre lieu de vacances préféré: pour se reposer, une semaine aux Maldives.

Le dopage c'est: une tricherie

Votre devise: aller de l'avant. Même en cas de défaite, prendre les choses de manière positive pour avancer.

Le joueur qui vous impressionne le plus: actuellement, c'est Lionel Messi.

Votre salaire: les médias en ont abondamment parlé.

Le portrait de Favre
Né le 02.11.57 à St-Barthélemy

Carrière d'entraîneur
91-93 Echallens (juniors)
93-94 Echallens (1ère ligue)
95-96 NE Xamax (formation)
96-00 Yverdon (LNB + LNA)
00-02 Servette
03-juin 07 Zurich
juin 07-... Hertha Berlin

Palmarès
Coupe d'Europe (joueur) 17 matches, 4 buts
1985 Champion de Suisse (Servette/joueur)
1994 Promotion en LNB (Echallens/entraîneur)
1999 Promotion en LNA (Yverdon/entraîneur)
2001 Vainqueur Coupe de Suisse (Servette/entraîneur)
2005 Vainqueur Coupe de Suisse (Zurich/entraîneur)
2006 et 2007 Champion de Suisse (Zurich/entraîneur)

Carrière de joueur
67-71 Oulens (juniors)
72-76 Lausanne (juniors)
76-79 Lausanne-Sports
79-81 Neuchâtel Xamax
81-83 Servette
83-84 Toulouse
84-91 Servette

Equipe nationale
24 sélections (1 but)
Première sélection: Suisse-Hollande 2-1, le 01.09.81 à Zurich
Dernière sélection : Portugal-Suisse 3-1, le 26.04.89 à Lisbonne