Devenir footballeur... Un rêve, trois trajectoires

Grand Format

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Introduction

La carrière de Johan Djourou fait figure d'exception: sélectionné en Russie pour sa troisième Coupe du Monde, près d'une décennie à Arsenal et encore compétitif au niveau européen à 31 ans. Beaucoup en rêvent, mais la plupart échouent. Rencontre avec ceux qui ont croisé la route du Genevois.

Chapitre 1
Destins croisés de trois anciens Carougeois

6 septembre 2002. Etoile Carouge affronte Malley en Coupe de Suisse. Plusieurs jeunes prometteurs formés par le club genevois figurent sur la feuille de match, dont Celso Dias (16 ans), Geoffrey Tréand (16 ans) et Johan Djourou (15 ans). Les deux derniers entrent en cours de partie, remportée 3 à 1 après prolongations. Le plus jeune des trois impressionne déjà.

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Football: Celso Dias et Geoffrey Tréand nous parlent de Johan Djourou
Football - Coupe du monde - Publié le 27 juin 2018

En intégrant l'équipe en première ligue (3e division), leur rêve de devenir footballeur professionnel se rapproche. Mais seuls deux y parviendront. "Je pensais aller jusqu'au bout", se rappelle Celso Dias. "C'était en tout cas ma volonté. On travaille, on travaille et on fait tout pour réussir." Le chemin pour y arriver est semé d'embûches. Il n'ira jamais plus haut.

A cet instant, les trois espoirs ont déjà parcouru un long chemin. Et emprunté des voies différentes. Comment sont-ils arrivés là?

Remontons en 1997. Tous les trois, déjà à Etoile Carouge, font partie des dizaines de milliers de jeunes qui rêvent, de manière plus ou moins avouée, de devenir footballeur professionel.

Agés de 10 et 11 ans, ils font partie des quelque 1200 juniors D et 1000 juniors C du canton de Genève. Ces catégories comptent à l'échelle du pays 26'300 et 24'300 licenciés cette année-là.

Celso Dias et Geoffrey Tréand tapent dans l'oeil des sélectionneurs locaux et suivent un cursus de Sport-étude à Carouge. La trajectoire de Johan Djourou évolue elle déjà plus rapidement. Il est repéré à 13 ans par l'Association suisse de football (ASF), qui lui propose d'intégrer le tout nouveau centre de formation à Payerne.

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Chapitre 2
Comme un pro, à 13 ans

Johan Djourou rejoint à Payerne les meilleurs espoirs romands. Il s'y entraîne durant la semaine, y vit dans une famille d'accueil et rentre le week-end à Genève, où il joue avec son club. Quasiment une vie de professionnel, à tout juste 13 ans.

"C'était extraordinaire", se remémore Grégoire Oggier, espoir du FC Sion, qui faisait également partie en 2000 de la première volée du centre, fermé 16 ans plus tard. "On était entouré comme des pros. J'ai connu une progression phénoménale là-bas."

Avancé d'un an en raison de sa taille déjà imposante, Johan laisse une très bonne impression. Outre ses qualités physiques et techniques, Mario Comisetti, ancien directeur du centre, souligne "sa très grande force mentale, sa passion, son désir d'apprendre et sa faculté d'adaptation".

Mais même si le Genevois sort déjà du lot à l'époque, Mario Comisetti ne fait pas de pronostic sur son avenir. "C'est trop aléatoire", explique-t-il. "Il y a beaucoup d'éléments qui entrent en compte pour réussir: éviter les blessures, être là au bon moment pour avoir sa chance, être bon le jour où l'entraîneur les lance, etc."

Oggier: "Je n'étais pas le style de joueur du moment"

Sur les 12 joueurs de la première volée à Payerne, seul Djourou a réalisé une carrière internationale et porté le maillot de la sélection suisse. Trois sont passés professionnels: Didier Crettenand (Sion), Antoine Rey (Lausanne) et Charles-André Doudin (Xamax). Pour les autres, hormis quelques apparitions en Challenge League, ils ont surtout navigué dans les ligues amateurs.

Grégoire Oggier, qui a aussi côtoyé Johan Djourou dans les sélections nationales juniors jusqu'en M18, a dû se contenter de 19 minutes en Challenge League avec le FC Sion. C'était le 16 octobre 2005, contre Wil. "Il me manquait un certain talent", reconnaît le Valaisan, devenu journaliste sportif, qui joue toujours "avec les potes" à Martigny. "J'étais attaquant avec un style de renard des surfaces. On m'a dit que j'étais arrivé 10 ou 20 ans trop tard. Je n'étais pas assez puissant et rapide, ce n'était pas le style de joueur du moment."

Tout l'inverse de Johan Djourou, qui se démarque avec son mètre 91. "Lors d'un match avec la sélection suisse junior contre l'Irlande du Nord, Antoine Rey, au même poste que Johan, avait été comme lui excellent. Mais il était beaucoup plus petit, donc le choix était facile pour les recruteurs", se rappelle Grégoire Oggier.

Chapitre 3
L'appel des grands clubs

A 14 ans, les pépites du football sont déjà courtisées par les grands clubs. Mais même pour le très prometteur Johan Djourou, le recrutement n'a pas été facile. Tout est parti de Jérémie Tusiama, un entraîneur des juniors à Genève. Convaincu du talent du joueur d'Etoile Carouge, il contacte un agent, Costa Bonato. "C'est à force qu'il insiste que j'ai fini par envoyer quelqu'un voir Johan", raconte celui qui est devenu son manager. "On m'a dit qu'il était intéressant mais qu'il y avait encore beaucoup de travail, alors j'ai envoyé une autre personne, sans rien dire au joueur, pour pas qu'il se mette à délirer."

Finalement séduit, Costa Bonato invite les recruteurs de nombreux clubs. Bâle, Young Boys, Lausanne, Lucerne, mais aussi Twente (Pays-Bas), l'Atlético Madrid ou encore Malaga. "Aucun n'a proposé de projet sérieux", poursuit l'agent. Jusqu'à l'offre d'Arsenal, près d'un an plus tard.

A 15 ans, j'ai eu peur

Celso Dias

Pendant ce temps, le Carougeois Celso Dias intéresse aussi certains recruteurs. Il fait un premier essai de quelques jours au Sporting Lisbonne. "Mon stage s'est plutôt bien passé mais ce genre de club voit une centaine de joueurs comme moi chaque jour. Ils n'allaient pas payer la formation pour un jeune venant de Suisse", raconte le défenseur.

Il enchaîne avec un nouvel essai, à Boavista. Le club de Porto lui propose de rejoindre son centre de formation. Mais il laisse filer l'occasion. "A 15 ans, c'est surtout la peur qui a fait que je n'ai pas pu prendre la décision de quitter le cocon familial et tous les amis ici", explique-t-il. "Aujourd'hui, je ne regrette pas cette décision. Mais on y pense, on se demande 'est-ce que ça aurait été mieux si j'étais parti là-bas, est-ce que j'aurais réussi?'"

Pour Geoffrey Tréand, la progression a été lente, mais quasiment linéaire. "Il n'y a pas eu d'immense coup d'éclat, où, en tant que jeune, un grand club est venu me chercher", raconte-t-il. "J'ai eu la chance de grandir dans des environnements qui me correspondaient, où je me sentais vraiment bien et où j'ai pu gravir les échelons petit à petit."

>> Les témoignages de Celso Dias et Geoffrey Tréand :

Football: les témoignages de Celso Dias et de Geoffrey Tréand
Football - Coupe du monde - Publié le 27 juin 2018
KEYSTONE - Laurent Gillieron

Chapitre 4
Ce qu'ils sont devenus

Retour à Carouge, à la reprise du championnat en été 2002. Johan Djourou, Celso Dias et Geoffrey Tréand passent rapidement des M15 à la première équipe, qui fait face à des problèmes d'effectif après la relégation en première ligue. Une chance pour eux. Ils profitent aussi d'un entraîneur, Thierry Cotting, qui n'hésite pas à lancer ses jeunes pousses. A ce moment-là, les trois trajectoires prennent des directions définitivement opposées.

Malgré une bonne intégration, la situation se corse pour Celso Dias: "On joue avec des adultes alors qu'on a encore des corps d'enfant. Il y a tout cet apprentissage qui doit se faire à l'entraînement."

Pour lui, cet apprentissage se transforme en une succession de blessures. D'abord, une rupture du ligament latéral interne, à 16 ans. "On y croit toujours à cet âge-là", se remémore-t-il.

On se dit qu'on va arrêter et, pour finir, le lendemain, on y retourne

Celso Dias

Après un passage à Lancy, le défenseur se relance à Chênois, en première ligue. Deux années se déroulent très bien, puis une rupture des ligaments croisés l'éloigne à nouveau des terrains. Trois mois plus tard, ses ligaments lâchent encore. "On sait à ce moment-là qu'on ne deviendra pas professionnel, donc on se rabat un peu plus sur le métier qu'on est en train d'apprendre."

Monteur-électricien, Celso Dias travaille depuis six ans aux Transports publics genevois (TPG). Malgré les galères, pas question de renoncer au football. Il crée avec une bande de copains une équipe au sein de l'US Carouge, y entraîne et joue dans les ligues inférieures: "On se dit qu'on va arrêter et, pour finir, le lendemain, on y retourne, on est au bord du terrain, sur le terrain. Ça fait partie de notre vie."

>> Celso Dias raconte ses blessures et son parcours :

Football: Celso Dias raconte ses blessures et son parcours
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Chapitre 5
"Avoir un mental en acier"

Après quatre ans passés à Etoile Carouge en première ligue, Geoffrey Tréand rejoint lors de la saison 2005/2006 Servette, qui vient d'être relégué suite à la faillite. En parallèle, il obtient sa maturité professionnelle et travaille dans une fiduciaire à temps partiel.

Avec les Grenat, le Français contribue à la remontée en Challenge League et obtient son premier contrat professionnel. "Ça n'a pas changé ma vie dans le sens où je n'ai pas changé de club", se rappelle-t-il. "Mais au moment ou j'ai arrêté de travailler, j'ai pris gentiment conscience que je me levais le matin pour aller jouer au foot. Et ça c'est pas mal..."

Le plus dur c'est de tomber sur un coach qui n'a pas confiance

Geoffrey Tréand

En 2010, Geoffrey Tréand quitte Servette pour rejoindre la Super League avec Neuchâtel Xamax. Le plus haut niveau qu'il atteint. "Plus la pyramide se resserre, plus il faut avoir un mental en acier", poursuit-il. "C'est ce qui m'a manqué à un moment donné. Je n'ai pas réussi à avoir la même efficacité en Super League qu'en Challenge league."

Depuis, il oscille entre les deux divisions, avec quelques moments difficiles. "Plus que les blessures, le plus dur c'est de tomber sur un coach qui n'a pas confiance", indique Geoffrey Tréand. "J'ai de la chance, ça ne m'est arrivé que deux fois six mois en 13 ans de ligue nationale. C'est comme si on se tapait la tête contre un mur, à moins de marquer 3 buts dans un match ou de faire une série de 5 matches en marquant, c'est compliqué de changer la donne. Et parfois c'est même impossible, parce qu'on ne joue pas du tout."

>> Geoffrey Tréand sur l'importance du mental et de l'entraîneur :

Football: Geoffrey Tréand sur l'importance du mental et de l'entraîneur
Football - Coupe du monde - Publié le 27 juin 2018
AFP - LEON NEA

Chapitre 6
Le début du rêve

Quand il rejoint la première équipe d'Etoile Carouge, Johan Djourou est déjà proche d'Arsenal. En octobre 2002, il effectue un premier stage à Londres, en présence d'Arsène Wenger, le grand boss du club. Le Genevois plaît aux entraîneurs et au directeur du centre, Liam Brady, un ancien international irlandais qui le prend sous son aile. Un accord est trouvé dans les mois qui suivent entre Arsenal, Etoile Carouge et les parents de Johan.

Ce dernier rejoint Londres en été 2003, une fois son école obligatoire terminée. Il intègre la célèbre "Arsenal Academy", qui a fait éclore plusieurs stars du ballon rond, à l'image d'Ashley Cole et Jack Wilshere.

Arsène Wenger: "Il y a des étapes à franchir"

"C'est une partie du rêve qui se réalise, il reste encore beaucoup de travail", déclarait en octobre 2003 Johan Djourou à l'émission Mise au Point. Un an plus tard, il porte pour la première fois, à 17 ans, le maillot de la première équipe, contre Manchester City en Coupe.

>> Mise au Point à la rencontre de Johan Djourou et Philippe Senderos, en octobre 2003 :

Philippe Senderos et Johan Djourou interviewés à Londres en 2003. [RTS]
Mise au point - Publié le 5 octobre 2003

"Il y a une dimension mentale", expliquait Arsène Wenger, toujours en octobre 2003. "Vous entrez dans un groupe où il n'y a que des joueurs mondiaux. Le gars qui est intimidé, il se diminue. Il y a des étapes à franchir."

La plupart ne les franchissent pas. Sur la dizaine de nouveaux joueurs qui intègrent l'"Arsenal Academy" chaque été, très peu atteignent la première équipe. Dans la volée de Johan Djourou, seuls Kerrea Gilbert et Ryan Smith ont effectué quelques apparitions sous le maillot des Gunners, avant d'être prêtés à différents clubs.

Pour Johan, ces années passées dans le centre de formation londonien se concrétisent en 2006 par un contrat de longue durée avec Arsenal. Et la carrière qu'on connait.