C'est une qualification historique, une de plus sous les ordres de l'exceptionnel Roy Hodgson, que la Suisse s'en va chercher à l'automne 1995: celle pour le 1er Championnat d'Europe de son histoire. Sur la lancée de celle pour la Coupe du monde 1994, sa campagne éliminatoire est une pure réussite. La Nati l'entame par une démonstration contre la Suède (4-2), pourtant à peine sortie 3e du Mondial américain, dans un Wankdorf en feu, grâce au duo Ciri Sforza-Kubilay Türkyilmaz.
Elle s'impose également 1-2 en Turquie, dans l'enfer du stade Ali Sami Yen d'Istanbul. Même sa seule défaite - au retour contre les Turcs à Berne - n'entrave pas sa marche royale vers l'Euro en Angleterre. "Nous étions vraiment très solides, plus encore qu'avant la Coupe du monde aux Etats-Unis", souligne Sébastien Fournier, alors âgé de 25 ans. Une seule petite polémique s'invitera sur son chemin: la banderole "Stop it Chirac", déployée à Göteborg sur une idée d'Alain Sutter, pour appeler le gouvernement français à stopper ses essais nucléaires dans le Pacifique.
"Sur la photo, je suis à côté d'Alain (ndlr: Sutter), mais pour tout dire, je ne savais même pas que nous allions brandir une banderole ni ce qui allait être écrit dessus, se remémore le milieu de terrain valaisan. Pour moi, seul comptait le match. Je ne pensais qu'à celui-ci. Je me souviens que cette histoire a fait du bruit, mais rétrospectivement, je crois que cela collait à la personnalité d'Alain et à ses propres convictions. Ce n'était à mon sens pas si grave."
Les vraies polémiques naissent ensuite. D'abord avec la désignation d'Artur Jorge en remplacement de Roy Hodgson (parti à l'Inter), puis au moment où le Portugais établit une sélection, le 28 mai 1996, sans... Alain Sutter ni Adrian Knup, pourtant des piliers de l'équipe. Une décision incroyable, qui provoque un véritable séisme dans le petit monde aseptisé du foot suisse. "Chaque entraîneur fait ses choix en fonction de ses convictions, mais il s'agissait bel et bien d'une erreur, reprend Fournier. Artur Jorge n'a alors pas mesuré l'importance de Sutter et de Knup dans le groupe. Un entraîneur se doit de sentir le poids des cadres, ce que ceux-ci apportent, etc. Il ne peut pas minimiser l'importance que de tels joueurs ont dans un groupe. Certes, tous deux n'étaient peut-être pas dans la forme de leur vie avant l'Euro, mais un pays comme le nôtre ne pouvait pas s'en passer."
A peine installé sur le siège de sélectionneur, où avait excellé son prédécesseur, le moustachu signe ainsi son "arrêt de mort". Ses hommes ne sont pas encore en Angleterre que le coeur n'y est plus vraiment. "La manière avec laquelle le sélectionneur avait écarté les joueurs avait choqué, reprend Fournier. Certes, cela avait aussi agi comme un électrochoc, sauf qu'une telle mesure peut marcher pour un coup de nonante minutes, pas sur la longueur d'une compétition..."
Preuve en est l'Euro de la Suisse en lui-même. Car une telle compétition disputée au pays du foot ne se prenant pas à la légère, la Nati parvient à faire fi des vents contraires pour le match d'ouverture. Même d'autres décisions radicales de Jorge pour affronter le pays-hôte - Chapuisat sur le banc, Geiger à mi-terrain pour laisser Vega en défense centrale, non-titularisation d'un Fournier pourtant indispensable durant la campagne qualificative... - n'ébranlent pas entièrement l'état d'esprit helvétique. Ainsi, ce 8 juin 1996 dans un Wembley plein comme un oeuf, Kubilay Türkyilmaz arme à la 84e minute un penalty qui vient lécher le petit filet de David Seaman pour répondre à Alan Shearer, auteur du 1-0 à la 23e.
Le fait d'avoir tenu en échec l'Angleterre fait naître les espoirs les plus fous au pays. Mais ce n'est en réalité qu'une illusion. "On aurait voulu en faire davantage, mais il nous manquait concrètement pas mal d'outils dans le besace, reconnaît Sébastien Fournier. Si les choses n'avaient pas été pareillement bouleversées dans les 6 mois précédents, peut-être qu'on aurait pu faire mieux..." Face aux Pays-Bas, Marc Hottiger manque une montagne avant que la Nati ne subisse la foudre dans la dernière demi-heure. Jordi Cruijff - le fils de... - puis le génial Dennis Bergkamp tuent les espoirs suisses (0-2).
L'ultime match de poule contre l'Ecosse peut encore accoucher d'un miracle, mais la Suisse joue à l'envers. Ally McCoist marque le seul but d'un match d'une tristesse affligeante. "Là, nous n'y étions plus du tout, lâche Fournier avec une pointe de regrets. Certains voulaient déjà rentrer au pays avant même cette rencontre! Les Ecossais, pourtant pas plus forts que nous sur le papier, nous avaient dominés. Sans Marco Pascolo, on en aurait pris 5..."
Ainsi s'acheva le 1er Euro de la Suisse, qui n'a alors pas su surfer sur sa superbe campagne. "Trop vite, quelque chose s'était cassé après le départ de Roy, déplore 25 ans plus tard Sébastien Fournier. Cela, puis la nomination d'Artur Jorge et les choix de celui-ci ont clairement démobilisé le groupe... Et dire que Hodgson avait proposé de rester 6 mois de plus avec une double casquette... Je crois que cela aurait changé beaucoup de choses."
Le Valaisan garde tout de même un lumineux souvenir de cet Euro: "L'ambiance était géniale. On avait eu la chance d'affronter trois pays avec des supporters exceptionnels. Cela reste dans ma mémoire."