1996-2016: ROMANDS D'EUROS

Grand Format

Keystone - Matt Dunham

Introduction

Dans son histoire, l'équipe de Suisse a déjà pris part à 4 éditions de l'Euro, en 1996, 2004, 2008 et 2016. Cet été 2021 lui permettra d'intégrer le gotha continental pour la 5e fois, avec plusieurs joueurs romands en son sein. Par le passé, certains éléments issus de ce côté-ci du pays ont déjà fièrement représenté la Nati dans une telle compétition. Nous en avons retenu 4, un par édition, pour qu'ils nous parlent de leurs souvenirs de leur été "européen". Sébastien Fournier (1996), Sébastien Roth (2004), Stéphane Grichting (2008) et Gelson Fernandes (2016) sont ainsi remontés dans le temps.

Chapitre 1
EURO 1996 - Sébastien Fournier: "Très vite, quelque chose s'est cassé..."

Keystone - STR

C'est une qualification historique, une de plus sous les ordres de l'exceptionnel Roy Hodgson, que la Suisse s'en va chercher à l'automne 1995: celle pour le 1er Championnat d'Europe de son histoire. Sur la lancée de celle pour la Coupe du monde 1994, sa campagne éliminatoire est une pure réussite. La Nati l'entame par une démonstration contre la Suède (4-2), pourtant à peine sortie 3e du Mondial américain, dans un Wankdorf en feu, grâce au duo Ciri Sforza-Kubilay Türkyilmaz.

Ciriaco Sforza, auteur - comme Kubilay Türkyilmaz - d'un festival contre la Suède le 12 octobre 1994. [Keystone - STR]
Ciriaco Sforza, auteur - comme Kubilay Türkyilmaz - d'un festival contre la Suède le 12 octobre 1994. [Keystone - STR]

Elle s'impose également 1-2 en Turquie, dans l'enfer du stade Ali Sami Yen d'Istanbul. Même sa seule défaite - au retour contre les Turcs à Berne - n'entrave pas sa marche royale vers l'Euro en Angleterre. "Nous étions vraiment très solides, plus encore qu'avant la Coupe du monde aux Etats-Unis", souligne Sébastien Fournier, alors âgé de 25 ans. Une seule petite polémique s'invitera sur son chemin: la banderole "Stop it Chirac", déployée à Göteborg sur une idée d'Alain Sutter, pour appeler le gouvernement français à stopper ses essais nucléaires dans le Pacifique.

La banderole "Stop it Chirac", déployée notamment par Alain Sutter. [Keystone - Karl Mathis]
La banderole "Stop it Chirac", déployée notamment par Alain Sutter. [Keystone - Karl Mathis]

"Sur la photo, je suis à côté d'Alain (ndlr: Sutter), mais pour tout dire, je ne savais même pas que nous allions brandir une banderole ni ce qui allait être écrit dessus, se remémore le milieu de terrain valaisan. Pour moi, seul comptait le match. Je ne pensais qu'à celui-ci. Je me souviens que cette histoire a fait du bruit, mais rétrospectivement, je crois que cela collait à la personnalité d'Alain et à ses propres convictions. Ce n'était à mon sens pas si grave."

Les vraies polémiques naissent ensuite. D'abord avec la désignation d'Artur Jorge en remplacement de Roy Hodgson (parti à l'Inter), puis au moment où le Portugais établit une sélection, le 28 mai 1996, sans... Alain Sutter ni Adrian Knup, pourtant des piliers de l'équipe. Une décision incroyable, qui provoque un véritable séisme dans le petit monde aseptisé du foot suisse. "Chaque entraîneur fait ses choix en fonction de ses convictions, mais il s'agissait bel et bien d'une erreur, reprend Fournier. Artur Jorge n'a alors pas mesuré l'importance de Sutter et de Knup dans le groupe. Un entraîneur se doit de sentir le poids des cadres, ce que ceux-ci apportent, etc. Il ne peut pas minimiser l'importance que de tels joueurs ont dans un groupe. Certes, tous deux n'étaient peut-être pas dans la forme de leur vie avant l'Euro, mais un pays comme le nôtre ne pouvait pas s'en passer."

Artur Jorge (en costume), avec son adjoint Bidu Zaugg. La moustache pas gagnante. [Keystone]
Artur Jorge (en costume), avec son adjoint Bidu Zaugg. La moustache pas gagnante. [Keystone]

A peine installé sur le siège de sélectionneur, où avait excellé son prédécesseur, le moustachu signe ainsi son "arrêt de mort". Ses hommes ne sont pas encore en Angleterre que le coeur n'y est plus vraiment. "La manière avec laquelle le sélectionneur avait écarté les joueurs avait choqué, reprend Fournier. Certes, cela avait aussi agi comme un électrochoc, sauf qu'une telle mesure peut marcher pour un coup de nonante minutes, pas sur la longueur d'une compétition..."

Preuve en est l'Euro de la Suisse en lui-même. Car une telle compétition disputée au pays du foot ne se prenant pas à la légère, la Nati parvient à faire fi des vents contraires pour le match d'ouverture. Même d'autres décisions radicales de Jorge pour affronter le pays-hôte - Chapuisat sur le banc, Geiger à mi-terrain pour laisser Vega en défense centrale, non-titularisation d'un Fournier pourtant indispensable durant la campagne qualificative... - n'ébranlent pas entièrement l'état d'esprit helvétique. Ainsi, ce 8 juin 1996 dans un Wembley plein comme un oeuf, Kubilay Türkyilmaz arme à la 84e minute un penalty qui vient lécher le petit filet de David Seaman pour répondre à Alan Shearer, auteur du 1-0 à la 23e.

Le fait d'avoir tenu en échec l'Angleterre fait naître les espoirs les plus fous au pays. Mais ce n'est en réalité qu'une illusion. "On aurait voulu en faire davantage, mais il nous manquait concrètement pas mal d'outils dans le besace, reconnaît Sébastien Fournier. Si les choses n'avaient pas été pareillement bouleversées dans les 6 mois précédents, peut-être qu'on aurait pu faire mieux..." Face aux Pays-Bas, Marc Hottiger manque une montagne avant que la Nati ne subisse la foudre dans la dernière demi-heure. Jordi Cruijff - le fils de... - puis le génial Dennis Bergkamp tuent les espoirs suisses (0-2).

L'ultime match de poule contre l'Ecosse peut encore accoucher d'un miracle, mais la Suisse joue à l'envers. Ally McCoist marque le seul but d'un match d'une tristesse affligeante. "Là, nous n'y étions plus du tout, lâche Fournier avec une pointe de regrets. Certains voulaient déjà rentrer au pays avant même cette rencontre! Les Ecossais, pourtant pas plus forts que nous sur le papier, nous avaient dominés. Sans Marco Pascolo, on en aurait pris 5..."

Sébastien Fournier sous le maillot rouge à croix blanche. [Keystone - STR]
Sébastien Fournier sous le maillot rouge à croix blanche. [Keystone - STR]

Ainsi s'acheva le 1er Euro de la Suisse, qui n'a alors pas su surfer sur sa superbe campagne. "Trop vite, quelque chose s'était cassé après le départ de Roy, déplore 25 ans plus tard Sébastien Fournier. Cela, puis la nomination d'Artur Jorge et les choix de celui-ci ont clairement démobilisé le groupe... Et dire que Hodgson avait proposé de rester 6 mois de plus avec une double casquette... Je crois que cela aurait changé beaucoup de choses."

Le Valaisan garde tout de même un lumineux souvenir de cet Euro: "L'ambiance était géniale. On avait eu la chance d'affronter trois pays avec des supporters exceptionnels. Cela reste dans ma mémoire."

Chapitre 2
EURO 2004 - Sébastien Roth: "Dans un autre monde"

Reuters - Reuters Photographer

Après 8 années de disette, passées à regarder toutes les grandes compétitions sur son petit écran, la Suisse renoue avec un événement majeur. Elle doit cet exploit à Köbi Kuhn, son sélectionneur depuis juin 2001, ainsi qu'à une génération montante qui n'a peur de rien et se retrouve fort bien encadrée par quelques précieux "anciens" (Stéphane Chapuisat, Stéphane Henchoz, Patrick Müller, Jörg Stiel, Johan Vogel, Raphaël Wicky...). Le pays est euphorique - à raison - après la qualification brillamment décrochée contre l'Eire à Bâle, dans un groupe où figurait également la Russie.

Mais cette euphorie se voit quelque peu douchée à la veille du départ pour le Portugal. Le tout frais international Marco Streller, atout de luxe offensif derrière Alexander Frei et "Chappi", est victime d'un terrible tacle de Marco Zwyssig sur le terrain d'entraînement de Freienbach et termine son Euro avant même de l'avoir commencé, à l'hôpital (fracture du tibia). On ne se rendra compte que quelques jours plus tard que le forfait du Bâlois devient un moment d'histoire, puisqu'il ouvre la porte de la sélection à Johan Vonlanthen (Young Boys), l'attaquant fribourgeois des M21 de Bernard Challandes. On y reviendra...

Marco Streller est chargé sur une civière. Un tacle de Marco Zwyssig lui a brisé la jambe. [Keystone - Dorothea Mueller]
Marco Streller est chargé sur une civière. Un tacle de Marco Zwyssig lui a brisé la jambe. [Keystone - Dorothea Mueller]

Une autre blessure libère une place, celle de 3e gardien que doit lâcher Fabrice Borer (Sion), victime d'une fracture du radius. C'est Sébastien Roth, aucune sélection au compteur mais brillant avec Servette, qui vient à la rescousse. Sur le fil, et après un coup de (sans) fil inattendu. "J'étais en train de manger une bonne côte de boeuf dans un bistro de la campagne genevoise avec des amis lorsque l'ASF a cherché à me joindre, se marre aujourd'hui le portier. Je n'avais pas de réseau et c'est seulement en allant aux toilettes que j'en ai "capté". Là, j'avais genre 17 appels en absence et 8 messages..."

Quarante-huit heures plus tard, et alors que ses amis de tablée pensaient qu'il leur avait fait une blague en leur racontant sa convocation "last minute", Roth débarque pour de vrai au Portugal. "Je suis alors arrivé dans un autre monde, confie le Jurassien. Je me suis retrouvé avec quelques joueurs que je connaissais, mais dans une vraie bulle. J'ai pu mesurer la grandeur de l'événement. Quand tu rejoins le stade, tu es encadré par 4 voitures de police et un hélicoptère t'escorte, etc... C'est un truc de fous!"

J'étais en train de manger une côte de boeuf dans un bistro de la campagne genevoise avec des amis lorsque l'ASF a cherché à me joindre. Je n'avais pas de réseau et c'est seulement en allant aux toilettes que j'en ai "capté..."

Sébastien Roth

En dehors de ce décor incroyable, Roth se retrouve acteur de l'événement. A sa manière. "En tant que 3e gardien, tu sais que normalement tu ne vas pas jouer, mais je me suis impliqué comme un fou dans cette aventure, j'ai travaillé comme un dingue, peut-être plus que les autres, pour les pousser à l'excellence." Il a aussi su s'intégrer à merveille dans le groupe de Kuhn. Même les anciens l'ont pris sous leur aile. "Les veilles de matches, je partageais ma chambre avec Stéphane Chapuisat, raconte Roth. Il avait beau être une légende du foot suisse, c'était un type exceptionnel, d'une incroyable gentillesse..."

Sébastien Roth, ici à l'entraînement au Portugal avec le gardien No 2 de l'époque, Pascal Zuberbühler. [Keystone - Walter Bieri]
Sébastien Roth, ici à l'entraînement au Portugal avec le gardien No 2 de l'époque, Pascal Zuberbühler. [Keystone - Walter Bieri]

Sur le terrain, "Chappi" n'y arrive en revanche plus vraiment. Déjà décevante lors des matches de préparation, la Nati - qui a débarqué dans un cadre de vacances à Obidos - ne convainc pas pour son entrée en matière contre la Croatie. Dans un match entre deux équipes qui ne veulent pas perdre, aucune ne veut gagner. L'expulsion sévère de Johann Vogel au retour des vestiaires oblige qui plus est les Helvètes à assurer leurs arrières. Il faut l'adorable Jörg Stiel pour mettre un peu de sel dans ce match. Le gardien (et capitaine) de la Nati est à deux doigts d'encaisser un but gag sur une lointaine tentative croate, mais s'en va arrêter de la tête le ballon devant sa ligne. Cela restera l'une des images fortes de cet Euro 2004. Ce match, lui, demeure en revanche nul et vierge.

Jörg Stiel arrête devant sa ligne - et avec sa tête! - un essai du Croate Ivica Mornar. [Keystone - Murad Sezer]
Jörg Stiel arrête devant sa ligne - et avec sa tête! - un essai du Croate Ivica Mornar. [Keystone - Murad Sezer]

Battue ensuite largement par l'Angleterre (3-0) des "stars" Beckham, Lampard, Gerrard, Scholes et Owen, ainsi que du tout jeune Rooney (double buteur!), la Suisse voit la sérénité de son camp de base voler en éclats avec ce qui deviendra "l'affaire Frei". Accusé d'avoir craché dans la nuque de Steven Gerrard en cours de rencontre, le Bâlois dément. Avant que la télévision... suisse alémanique n'exhibe des images sur lesquelles on le voit pris la main dans le pot de confiture - ou, si vous me passez l'expression, le "mollard vengeur".

L'ASF gère tant bien que mal ce problème. Plutôt mal, même. "Nous avions interdiction formelle de l'évoquer, se rappelle Sébastien Roth. Mais il est clair que cela nous avait perturbés. C'était en plus hallucinant qu'une TV de notre propre pays "balance" ces images. En Italie, on les aurait brûlées...! Pendant plusieurs heures, on ignorait si Alex allait pouvoir jouer le 3e match contre la France. Ce ne fut pas idéal pour préparer ce rendez-vous."

Alexander Frei, rattrapé par les caméras, au moment où il crache dans la nuque de Steven Gerrard. [SFDRS - HO]
Alexander Frei, rattrapé par les caméras, au moment où il crache dans la nuque de Steven Gerrard. [SFDRS - HO]

Un rendez-vous contre les tenants du titre que la Nati aborde logiquement sans son attaquant-vedette et dans une configuration étonnante, avec Stéphane Chapuisat sur le banc et Stéphane Henchoz reconverti en... latéral! Pas idéal pour affronter une attaque aussi vivace que le duo Thierry Henry-David Trezeguet! Le Fribourgeois a beau en voir de toutes les couleurs et son équipe encaisser le 0-1 dès la 20e (Zidane), la Suisse peut toutefois y croire grâce à l'égalisation d'un autre Fribourgeois, Johan Vonlanthen en l'occurrence, 18 ans et 141 jours, qui devient alors le plus jeune buteur de l'histoire de l'Euro suite à une superbe action d'école et à un décalage de Ricardo Cabanas.

Le Fribourgeois Johan Vonlanthen trompe ici Fabien Barthez et entre par la même occasion dans l'histoire. [AP - Nuno Veiga]
Le Fribourgeois Johan Vonlanthen trompe ici Fabien Barthez et entre par la même occasion dans l'histoire. [AP - Nuno Veiga]

"A ce moment-là, reprend Roth, on s'est vraiment mis à croire à une qualification pour les 8es. Il nous manquait un but et je crois que c'était jouable. Sur le banc, on était comme des fous, à encourager les autres. Je crois qu'on a dépensé quasiment plus d'énergie que ceux qui étaient sur le terrain (rires). Nous étions devenus les supporters principaux de nos propres coéquipiers. La Suisse a joué le coup à fond, mais dans le dernier quart d'heure, Henry nous a tués..."

Auteur d'un doublé, "Titi" crucifie en effet les Helvètes, alors que le coaching de Köbi Kuhn (entrées de Huggel, Magnin et Rama) ne porte pas ses fruits. Pis, le sélectionneur helvétique laisse sur le banc Stéphane Chapuisat et le prive des adieux internationaux que son immense carrière méritait.

C'est un douloureux fado qui s'invite dans les oreilles du Vaudois et de ses partenaires au moment d'embarquer pour le vol retour à destination de Zurich.

Chapitre 3
EURO 2008 - Stéphane Grichting: "Un rêve envolé en 6 petits jours..."

Keystone - Laurent Gillieron

Six années de rêve, depuis ce 12 décembre 2002 et l'attribution de l'organisation à l'Autriche et à la Suisse, doivent se matérialiser à partir du 7 juin 2008 pour l'équipe nationale. 23 internationaux parmi la cinquantaine ayant rêvé de disputer ce tournoi à domicile sont censés porter haut le drapeau rouge à croix blanche, faire de cette compétition un moment inoubliable de l'histoire de l'ASF.

Pour Köbi Kuhn, pour son adjoint Michel Pont et pour tous leurs "protégés", l'heure est venue de graver un songe dans la roche. Mais encore une fois, tout ne se passe pas "comme prévu". Pire, en réalité: le groupe entier se gave bien malgré lui de pain noir. "Rien n'est vraiment allé droit", ironise à présent Stéphane Grichting, pour ne pas avouer concrètement que tout est vraiment allé de travers.

Pour tout dire, et alors que la Coupe du monde 2006 avait semblé consolider les rêves, il faut remonter au 8 mars 2007 pour voir la crise s'enclencher. Tout part sans doute de l'éviction de Johann Vogel, le jour de ses 30 ans. Capitaine de la Nati, le Genevois voit Kuhn souffler sur ses bougies et surtout ses rêves en l'écartant non seulement du brassard mais aussi de la sélection. "C'est un choc", commentent alors nombre d'internationaux, mis devant le fait accompli. Alexander Frei hérite du brassard, Ludovic Magnin se mue en "adjoint".

Johann Vogel et Köbi Kuhn. Une poignée de mains, avant une fin de relation abrupte. [Keystone - Eddy Risch]
Johann Vogel et Köbi Kuhn. Une poignée de mains, avant une fin de relation abrupte. [Keystone - Eddy Risch]

C'est la génération 1979 qui prend les commandes. Elle a désormais l'expérience qu'elle n'avait pas en 2004 et un nouveau statut (légitime) hérité de très belles saisons à l'étranger. Sa montée en grade est indiscutable. L'éviction de Vogel, elle, est en revanche clairement sujette à débat(s). Elle ne manque pas de faire jaser. Ce d'autant plus que les motivations n'ont jamais été réellement explicitées. La Suisse se doit néanmoins de tourner la page, mais en l'absence du Genevois, son milieu de terrain ne fonctionne plus de la même manière. La tournée aux Etats-Unis du printemps 2007 n'est guère reluisante.

En dehors d'une très grosse rencontre livrée contre les Pays-Bas à l'été 2007 au Stade de Genève (victoire 2-1) les matches de préparation qui suivent ne sont pas plus encourageants. "Surtout, ils ne nous apportent pas grand-chose, rappelle maintenant Stéphane Grichting. Pendant plusieurs mois, on ne dispute que des rencontres amicales et on ne parvient pas à vraiment se situer par rapport à l'adversité. Ce n'est en réalité pas idéal pour préparer un tel événement." Rétrospectivement, le Valaisan pense même que cela a joué contre son équipe. "Passer 2 ans à ne disputer que des rencontres sans enjeu n'a pas servi nos desseins. L'attente entre notre 8e de finale de la Coupe du monde 2006 et le coup d'envoi de cet Euro a été trop longue..."

Pendant plusieurs mois, on ne dispute que des rencontres amicales et on ne parvient pas à se situer par rapport à l'adversité. Ce n'est en réalité pas idéal pour préparer un tel événement.

Stéphane Grichting

Reste que le pays n'a cure des résultats moins bons de son équipe. Il n'attend que le 7 juin 2008, cependant sans la pression que les joueurs sentent pour leur part monter au fur et à mesure que l'événement approche. Hélas, la poisse continue de coller aux crampons de la Nati: Patrick Müller se blesse. Blerim Dzemaili aussi. Même Xavier Margairaz et Blaise Nkufo sont mis hors-jeu. Pendant ce temps-là, Köbi Kuhn tranche à la hussarde la question de son gardien No 1. Exit Pascal Zuberbühler, qui n'a plus la même envergure sous le maillot de Neuchâtel Xamax, place à Diego Benaglio, 12 ans de moins et une carrière qui prend du galon en Bundesliga. Une défaite en Angleterre (2-1) et une claque face à l'Allemagne plombent le décor. Sauf que le staff est tellement concentré sur son Euro qu'il refuse de voir la vérité en face.

Gros engouement autour de la Nati à chaque entraînement... [Keystone - Eddy Risch]
Gros engouement autour de la Nati à chaque entraînement... [Keystone - Eddy Risch]

L'accueil que les fans tessinois réservent à la Suisse - qui a tout de même retenu l'indispensable Müller - pour son camp d'entraînement est une sorte de trompe-l'oeil. Car oui, l'ambiance est incroyable et le pays est totalement mobilisé derrière ses hommes, mais un Euro ne se réussit pas à travers le seul regard des supporters. "L'engouement était extraordinaire, se souvient toutefois Grichting, les Tessinois vraiment incroyables. C'était quelque chose de très fort. Le public était formidable, les enfants aussi..."

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Sport-Première - Publié le 13 juin 2020

Sauf que derrière la vitrine se cache une équipe en plein doute, en plein questionnements. Surtout qu'à moins d'une semaine du match d'ouverture face à la République tchèque, toute la Nati se retrouve accablée. Köbi Kuhn - le "Papy de la Nation" - est en effet victime d'un drame personnel: Alice, sa femme, fait une crise d'épilepsie. Elle doit être évacuée de son appartement par une grue. Son mari ne se trouve plus dans les meilleures dispositions psychologiques pour attaquer cet événement. Ses protégés font du mieux qu'ils peuvent pour surmonter cet événement. Ils se sont juré de battre les Tchèques, autant pour prendre une option sur les quarts de finale que pour soulager leur coach.

Sauf que, une fois de plus, une fois de trop cette fois-ci, le déjà fragile château de cartes s'écroule lorsqu'Alexander Frei laisse son genou sur la pelouse du Parc Saint-Jacques après 43 minutes de jeu et un choc avec Zdenek Grygera. Le Bâlois déserte son terrain de jeu préféré en pleurs. Son Euro est fini. Celui de son équipe ne durera pas beaucoup plus de temps.

Les larmes d'Alexander Frei, blessé en plein match d'ouverture contre la République tchèque. [EPA - Gerry Penny]
Les larmes d'Alexander Frei, blessé en plein match d'ouverture contre la République tchèque. [EPA - Gerry Penny]

Un replacement catastrophique de la défense suisse permet à Vaclav Sverkos d'inscrire l'unique but de ce match d'ouverture. "Je crois que nous étions bien préparés pour gagner ces matches, que nous avions le bon état d'esprit, mais nous avons été maladroits et nous nous sommes laissés submerger, déplore Stéphane Grichting treize ans plus tard. Lorsqu'Alex s'est blessé, j'ai eu le sentiment que tout se liguait contre nous, qu'il n'y avait rien à faire contre ce destin."

Un destin qui s'abat sur la Suisse comme la pluie sur le Parc Saint-Jacques pour le 2e match contre la Turquie. Malgré l'euphorie provoquée par l'ouverture du score signée Hakan Yakin, la Suisse manque le 2-0 synonyme de k.-o. quelques minutes plus tard. Ce sont à l'inverse ses adversaires, revanchards par rapport à la soirée de novembre 2005 à Istanbul, qui s'en vont tuer le match et le rêve d'une nation tout entière. Alors que Sentürk a égalisé à la 56e, Arda Turan trouve la faille dans le temps additionnel. Une chape de plomb tombe sur Saint-Jacques et sur 7 millions d'habitants. Et un photographe dégaine son appareil pour un cliché devenu mythique, celui de Philippe Senderos abasourdi, façon "Le Cri" de Munch, après ce coup du sort...

Philippe Senderos, façon "Le Cri" de Munch, après le 2-1 turc... [EPA - Gerry Penny]
Philippe Senderos, façon "Le Cri" de Munch, après le 2-1 turc... [EPA - Gerry Penny]

"C'était terrible, admet Grichting. Il n'y avait pas de mot dans le vestiaire. Le match nous avait filé entre les doigts alors que tout était encore possible dans cet Euro. Nous nous sommes fait crucifier comme des bleus. Deux années de travail se sont envolées sur une action. En 6 petits jours, le rêve qui était le nôtre depuis des mois a éclaté. La déception était terrible. C'était la douche froide."

Et dans un tel contexte, historique puisque jamais un pays organisateur ne s'était déjà trouvé condamné dans un Euro après seulement 2 matches, l'attente est longue et terriblement pesante avant d'affronter le Portugal. La victoire 2-0, 1er succès de la Suisse dans un Championnat d'Europe, sert de maigre, très maigre, lot de consolation. "C'est vrai, mais je reste fier d'avoir pu jouer et gagner cette rencontre, lâche Stéphane Grichting. Libérés de la pression, de la tension, nous avions enfin pu montrer notre vrai visage. Notre honneur était en jeu et nous nous devions de terminer sur une note positive."

Reste que pour la Suisse, le négatif planera pour toujours autour de cette compétition. Aujourd'hui, le défenseur valaisan avoue n'avoir pas compris que certains aient annoncé en amont que la Nati se présenterait à cet Euro pour le gagner. "C'était une grossière erreur que d'affirmer des choses pareilles, dit-il. Rien, d'ailleurs, ne nous permettait de crier cela partout. Certains se sont vus trop beaux. Il faut rappeler que la Suisse n'est pas un pays de foot et qu'elle n'avait à l'époque jamais franchi le 1er tour d'un Euro. Ce n'était pas la bonne manière d'aborder cette épreuve. Nous n'avions aucun argument crédible pour prétendre viser la victoire. Il fallait être sérieux... Nous montrer plus modestes ne nous aurait en aucun cas desservi."

Une leçon à retenir pour les générations suivantes.

Chapitre 4
EURO 2016 - Gelson Fernandes: "La pièce n'est pas tombée du bon côté"

AP - Darko Vojinovic

Quatre ans après avoir observé l'Euro disputé en Pologne et en Ukraine depuis son canapé, la Suisse retrouve la grande scène continentale pour l'édition 2016 qui se joue en France. Et ce avec un nouveau sélectionneur à sa tête, Vladimir Petkovic, entré dans le costume au lendemain de la Coupe du monde 2014, soldée par une élimination en 8es de finale contre l'Argentine.

Le groupe constitué par l'ancien entraîneur de la Lazio est quasi sans surprise, à l'exception de la convocation bienvenue du prometteur Genevois Denis Zakaria (19 ans, Young Boys). Pour le reste, tout juste "Petko" a-t-il dû renoncer aux services de Josip Drmic, blessé au genou, et s'est également passé de l'apport de Pajtim Kasami, avec lequel les relations sont fraîches, pour ne pas dire glaciales. Le technicien s'appuie sur une sélection classique avec plusieurs vieux briscards, dont Valon Behrami, Johan Djourou, Gelson Fernandes, Stephan Lichtsteiner ou encore Steve von Bergen.

Denis Zakaria, très belle surprise de la sélection, effectue ses débuts internationaux dans "son" Stade de Genève face à la Belgique d'Axel Witsel. [Keystone - Laurent Gillieron]
Denis Zakaria, très belle surprise de la sélection, effectue ses débuts internationaux dans "son" Stade de Genève face à la Belgique d'Axel Witsel. [Keystone - Laurent Gillieron]

Avant de fouler le sol français, la mission est claire: passer le cap des 8es de finale. Pour cela, la Nati doit d'abord s'extirper d'un groupe comptant l'Albanie, la Roumanie et le pays-hôte, qu'elle retrouve après la claque de Salvador de Bahia à la Coupe du monde (2-5). Une poule intéressante mais qui comporte son lot de clins d'oeil, avec notamment ce choc contre des Albanais qui ne peut laisser insensibles plusieurs éléments des deux camps, ainsi que cette affiche face aux "Bleus", toujours attrayante aux yeux des joueurs romands.

Pour Gelson Fernandes, Rennais d'adoption, cet Euro revêt encore davantage d'importance. "Pour moi qui évoluais alors en France, c'était effectivement particulier que de vivre cette compétition de l'intérieur, rappelle aujourd'hui le Valaisan. Il y avait une grande part de fierté, d'honneur, même. Le pays s'était préparé comme jamais pour cet événement, les stades étaient superbes, remis à neuf. Il y avait une grande attente. Cette perspective était plus qu'enthousiasmante."

Après les attentats de 2015, le contexte était particulier, pesant et lourd par moments

Gelson Fernandes

Sauf que les mois précédents ont été marqués par les terribles attentats que l'on sait; Charlie Hebdo en janvier 2015, les attaques du 13-novembre ensuite... "Dès lors, il y avait quelque chose de spécial dans l'atmosphère, reprend le milieu de terrain. Le contexte était particulier, pesant et lourd par moments." La Suisse n'échappe donc pas à une surveillance rapprochée d'une unité de l'élite de la police française. "Nous étions entourés en permanence par des brigades. La sécurité était devenue primordiale. Sur ce plan-là, c'était une compétition différente de toutes les autres. Mais une fois sur le terrain, nous sommes parvenus à oublier tout cela."

Sortie vainqueur d'un seul de ses quatre matches de préparation (défaites 1-0 et 2-0 contre l'Eire et la Bosnie, puis 2-1 face à la Belgique; victoire 2-1 devant la Moldavie), la Suisse pousse un "ouf" après son entrée dans la compétition, marquée par un succès 1-0 haché face aux Albanais de Taulant Xhaka, le frère de Granit. Servi par Shaqiri à la 5e minute, Fabian Schär a délivré les siens. Mais Yann Sommer a dû réaliser quelques miracles dans sa cage pour préserver les trois points, ceci en dépit du fait que la Nati était en supériorité numérique depuis la 36e minute (expulsion de Lorik Cana).

Après Kramer contre Kramer, Xhaka contre Xhaka. Deux frères opposés. [AP - Darko Vojinovic]
Après Kramer contre Kramer, Xhaka contre Xhaka. Deux frères opposés. [AP - Darko Vojinovic]

Contrairement à 1996, 2004 et 2008, les Helvètes parviennent donc à ouvrir un Euro par une victoire. "C'était l'essentiel, se remémore Fernandes, entré en jeu à la 88e. Il fallait gagner et nous avons su le faire. L'approche de cette rencontre n'avait pourtant pas été simple pour nos joueurs binationaux. Il y avait beaucoup de sollicitations des médias, beaucoup de papiers, de reportages. La pression était clairement là, la tension aussi..."

Euro 2016: la Suisse remporte son premier match contre l'Albanie (1-0) à Lens
19h30 - Publié le 11 juin 2016

Celle-ci retombée, les protégés de Vladimir Petkovic se retrouvent déjà avec un crampon en 8es de finale. Reste à ne pas tomber dans les pièges roumain et français. D'une belle volée, Admir Mehmedi permet aux siens d'obtenir la parité face aux joueurs des Carpates. Puis la Nati livre de la très belle marchandise contre les "Bleus", tenus en échec 0-0 à Lille, au bout d'une partie marquée par les maillots déchirés des Suisses. "La pelouse était catastrophique, comme nos maillots", ironisa d'ailleurs Steve von Bergen dans un sujet radio diffusé l'an dernier. "Nous avions été solides contre les Français, lâche de son côté Gelson. Nous aurions même pu gagner..."

Granit Xhaka, obligé de changer de maillot en pleine rencontre en raison de la mauvaise qualité de ceux fournis pour le match Suisse-France. [AP - Geert Vanden Wijngaert]
Granit Xhaka, obligé de changer de maillot en pleine rencontre en raison de la mauvaise qualité de ceux fournis pour le match Suisse-France. [AP - Geert Vanden Wijngaert]

Une victoire aurait permis aux Suisses de prendre la tête de leur groupe et de croiser le fer avec l'Irlande du Nord en 8es de finale. Mais la 2e place les propulse devant la Pologne de Robert Lewandowski. Après les échecs contre l'Ukraine (CDM 2006) et l'Argentine (CDM 2014), les internationaux se disent alors convaincus de pouvoir enfin grimper dans le quart. "Nous jouions à Saint-Etienne, où j'avais joué durant trois saisons, le stade était plein, c'était magnifique, se rappelle Gelson. Deux ans après le match contre l'Argentine, nous ne voulions pas connaître une nouvelle désillusion. Nous voulions y croire..."

Xherdan Shaqiri dans les airs. Superbe retourné! [Keystone - Mast Irham]
Xherdan Shaqiri dans les airs. Superbe retourné! [Keystone - Mast Irham]
Euro 2016: la Suisse s'incline face à la Pologne
19h30 - Publié le 25 juin 2016

Cette foi ne se matérialise toutefois pas. Malgré un merveilleux retourné acrobatique de Xherdan Shaqiri pour ramener la Nati à 1-1, celle-ci sort par la petite porte aux tirs au but, Granit Xhaka préférant ajuster le public que les filets. "Nous sommes tombés à la loterie, déplore le Valaisan. La pièce n'est pas tombée du bon côté... Je ne crois pas que cela est dû à un manque d'expérience, mais simplement à une question de chance qui n'a pas été la nôtre..."

La Suisse en échec, les Polonais en quarts de finale. La détresse helvétique... [Keystone - Jean-Christophe Bott]
La Suisse en échec, les Polonais en quarts de finale. La détresse helvétique... [Keystone - Jean-Christophe Bott]

Chapitre 5
EURO 2020 - "Non, ce ne sera pas facile..."

Keystone - Anthony Anex

Italie, Turquie et Pays de Galles. Tel est le menu qui attend donc la sélection de Vladimir Petkovic dans quelques jours entre Bakou et Rome, théâtres de ses rencontres dans cet Euro disséminé aux 4 coins de l'Europe. Un menu pas simple à gober, tant en raison de la qualité de l'adversité que des doutes qui, une fois encore, assaillent une Nati qui ne convainc pas toujours.

Nos interlocuteurs sont unanimes pour relever que rien ne sera simple pour cette génération qui ose se présenter comme "la meilleure de l'histoire" mais n'a encore rien prouvé. "Franchement, on a connu poule plus abordable sur le papier, souligne Sébastien Roth. L'Italie monte en puissance, la Turquie est très solide et le Pays de Galles est une formation qui ressemble un peu à la Suisse, capable du pire comme du meilleur."

Vladimir Petkovic et Xherdan Shaqiri en grande discussion. [Keystone - Ennio Leanza]
Vladimir Petkovic et Xherdan Shaqiri en grande discussion. [Keystone - Ennio Leanza]

Surtout, l'ancien gardien jette un regard sans concession sur la Nati 2021: "C'est une jolie équipe, assez solide derrière, mais qui concrètement n'a pas vraiment un élément transcendant. Oui, Shaqiri a du talent, mais jusqu'à preuve du contraire, il ne joue pas avec Liverpool. Oui, Seferovic a marqué pas mal de buts au Portugal, mais la Primeira Liga n'est pas l'un des 5 championnats les plus relevés du continent. Donc tous devront faire un saut de qualité pour performer à cet Euro..." Et Sébastien Fournier d'enchérir de son côté: "La Suisse manque de joueurs de percussion, d'un mec qui puisse vraiment faire la différence."

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Gelson Fernandes, qui a côtoyé plus de la moitié du groupe convoqué par Petkovic, se veut plus optimiste: "Il y a de la qualité dans cette équipe, de quoi réaliser une très belle compétition. Les gars sont plus matures qu'en 2016 ou 2018. Ils ont davantage d'expérience. Ils peuvent aller en quarts de finale."

La Suisse n'a pas toujours perdu contre de grandes nations en 8es de finale. Je crains un blocage, un complexe. Mais il va bien falloir qu'un jour elle force le destin, qu'elle puisse vaincre le signe indien.

Sébastien Fournier

Pour l'heure pourtant, au vu du groupe et de derniers résultats pas vraiment enthousiasmants, se hisser en 8es serait déjà pas mal. "Mais une fois que tu en es là, tout devient possible, témoigne Stéphane Grichting. Même si elle devait atteindre ce cap en ayant fini 3e de son groupe, la Suisse pourrait espérer aller plus loin. Souvenez-vous qu'en 2016, le Portugal était passé par les poils avant de gagner l'Euro... Mais il est vrai que nous sommes loin de tout cela."

Un avis partagé par Sébastien Fournier, qui redoute surtout la barrière psychologique que semble désormais constituer une qualification pour les quarts de finale d'un grand événement. "Il nous a jusqu'alors toujours manqué un truc pour passer, de petits détails, parfois un peu de chance, rappelle le Valaisan. Il y a eu l'Espagne en 1994, l'Ukraine en 2006, l'Argentine en 2014, la Pologne en 2016, la Suède en 2018... La Suisse n'a pas toujours perdu contre de grandes nations en 8es de finale. Je crains un blocage, un complexe. Mais il va bien falloir qu'un jour elle force le destin, qu'elle puisse vaincre le signe indien. Je crois qu'il ne faut pas se poser 36 fois la question de comment le faire. Il faut arrêter de réfléchir et y aller. A fond."

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