Stielike, Antognoni, Rummenigge et Clausen: ces champions du monde ou d'Europe qui ont braqué les projecteurs sur la LNA dans les années 80

Grand Format

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Introduction

Il fut une époque, très lointaine diront certains, où le championnat suisse attirait des stars internationales. Grâce à des présidents de clubs ambitieux, issus de l'immobilier ou du monde la construction, des sponsors généreux, des champions du monde et d'Europe ont ainsi débarqué en LNA dans la deuxième moitié des années 80. Leurs noms? Uli Stielike, Giancarlo Antognoni, Karl-Heinz Rummenigge et Néstor Clausen.

Chapitre 1
Uli Stielike: de la folie de Santiago Bernabeu à la Maladière

Keystone - STR

La foudre s'abat sur le championnat de Suisse à l'été 1985. Champion d'Europe avec la RFA cinq ans plus tôt, Uli Stielike quitte le Real Madrid pour Neuchâtel Xamax. La légende dit que Gilbert Facchinetti a scellé la venue de l'ancien joueur du Borussia Mönchengladbach d'une simple poignée de main, sans signer de contrat, et avec... du chocolat.

"Ce sera à moi de prouver que je mérite l'argent qu'on me paie ici, confie Stielike le 27 juillet 1985 dans les colonnes du Matin. Ensuite, je voudrais devenir champion de Suisse. Je crois qu'aucun joueur n'a jamais gagné le titre national dans trois pays différents."

Ulit Stielike ici avec le président de Xamax Gilbert Facchinetti. [Keystone - STR]
Ulit Stielike ici avec le président de Xamax Gilbert Facchinetti. [Keystone - STR]

Arrivé à la Maladière à 30 ans, Stielike restera trois saisons dans la maison rouge et noire jusqu'à sa retraite sportive. Le temps pour lui d'ajouter deux lignes de plus à son prestigieux palmarès avec les titres de champion de Suisse décrochés en 1987 et 1988. Les deux seuls de Xamax à ce jour.

"C'était un coup de tonnerre quand Xamax a annoncé la venue de Stielike, raconte Claude Ryf. Au départ, on croyait à des rumeurs, on ne pensait pas qu'il était possible de faire venir le titulaire du Real Madrid. C'était un joueur fantastique. Il est arrivé directement au camp d'entraînement en Allemagne. On a tout de suite vu quel joueur fantastique c'était. Un joueur de classe mondiale qui ne prend pas une seule fausse décision en 90 minutes de jeu. On pourrait le résumer comme ça: un joueur qui joue toujours juste. Un joueur comme Stielike rend ses coéquipiers plus forts. Je suis persuadé que nous avons chacun gagné 10-15% de qualité en plus. "

>> Deuxième titre pour Xamax et les adieux de Stielike (1988) :

Foot: un deuxième titre pour Xamax et les adieux de Stielike
RTS Sport - Publié le 10 juin 2020

"Il est passé d'une organisation comme le Real, qui avait à l'époque 150 employés à plein temps, à un club comme Neuchâtel qui devait avoir un poste et demi en dehors des joueurs, poursuit le défenseur qui a rejoint Xamax en même temps que Stielike. Il a eu des conditions d'entraînement, de matériel, d'attention, qui étaient d'un autre monde. Et je ne l'ai jamais vu avoir un geste de mauvaise humeur quand il manquait quelque chose et que telle ou telle chose était moins bien. Rien que pour ça, j'ai beaucoup de respect pour lui."

Si le vainqueur de l'Euro 1980 a vite mis tout le monde dans sa poche sur le terrain, il a également rapidement conquis ses partenaires en dehors. "Il s'est tout de suite fait des amis et s'est fondu dans l'excellente ambiance qu'il y avait à Neuchâtel, se rappelle Claude Ryf. Il est venu seul au départ, puis sa famille l'a rejoint au bout de deux mois. C'était un homme qui n'était pas facile à aborder pour les supporters ou autres, il devait se protéger. Mais il n'était pas du tout comme ça avec les joueurs. Il y avait des repas et des soirées qui étaient organisés et il venait toujours avec plaisir. On a fait partie de son monde en 24 heures."

Si l'arrivée de Stielike a permis à Xamax de grimper sur le toit du football suisse, elle a aussi permis au club de la Maladière de s'offrir quelques beaux duels sur la scène européenne. Clin d'oeil du destin, le sort place le Real Madrid sur la route de Xamax en Coupe UEFA, quelques mois seulement après l'arrivée de l'Allemand en Suisse.

"Les gens étaient fous lors de son retour, ils lui sautaient dessus et l'embrassaient, confie Claude Ryf. Il a forcé l'admiration lors du match aller à Santiago Bernabeu. Il y avait 100'000 personnes et après quelques minutes de jeu, il a commis une très grosse faute, il a été très agressif pour montrer 'maintenant je suis Neuchâtel Xamax et plus le Real Madrid'. Et il a joué presque tout le match sous les sifflets. Cela m'a beaucoup marqué."

Chapitre 2
Giancarlo Antognoni: "Michel-Ange" débarque à la Pontaise

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Véritable dieu vivant à Florence, où il a porté le maillot de la Fiorentina durant quinze ans, Giancarlo Antognoni rejoint le Lausanne Sports en juin 1987. Le "Michel-Ange" du Calcio avait dit ne pas vouloir jouer pour un autre club en Italie, le LS du président Georges Suri en a profité.

Seule ombre au tableau, Antognoni a connu pas mal de blessures. Une fracture tibia-péroné l'a privé de la totalité de la saison 1984-1985. A  nouveau blessé fin 1986, il ne dispute que 19 matches en 1986-1987. Mais le milieu offensif, dont le salaire est payé par trois sponsors italiens (réd: la Gazetta dello Sport évoque 55'000 francs mensuels), se veut rassurant.

Antognoni a mis un terme à sa carrière sous le maillot de Lausanne. [Keystone - STR]
Antognoni a mis un terme à sa carrière sous le maillot de Lausanne. [Keystone - STR]

"Je voudrais qu'on sache que je suis venu ici pour donner mon maximum et non pour prolonger des vacances, explique le champion du monde 1982 dans les colonnes du quotidien "24 heures". J'ai compris que les Italiens de Suisse attendent beaucoup de mes performances. Mes responsabilités sont énormes."

Il dispute son premier match en LNA le 8 août 1987 lors d'une victoire 3-1 contre Zurich. Il s'offre même un but devant des centaines de tifosi qui ont fait le déplacement pour voir leur idole. Mais le magicien italien ne parvient pas à faire décoller le LS, qui termine 7e, puis 10e du championnat lors de ses deux saisons passées sur les rives du Léman. Au total, il dispute 51 matches (7 buts).

"C'était un honneur de côtoyer un tel joueur, c'était un gentleman, il avait la grande classe, il était modeste, c'était un gars bien, se remémore Pierre-Albert Tachet. On était souvent ensemble à l'époque, il ne se prenait pas la tête, il jouait pour l'équipe, pas pour lui."

"Il se donnait toujours à fond, ajoute celui qui a remporté la Coupe de Suisse en 1981 avec le LS. Sa deuxième saison a été plus difficile, mais durant la première il était au top. Il était vraiment au-dessus d'un point de vue technique",

Et comment était Giancarlo Antognoni en dehors du terrain? "Il était tellement simple que ça s'est bien passé avec tout le monde. Il était souvent avec nous, il habitait avec sa femme sur les hauts de Lausanne. Comme on était assez proches, je suis souvent allé manger chez lui et vice-versa", explique son ancien coéquipier.

>> But d'Antognoni contre Lucerne (13 décembre 1987) :

Foot: Lucerne-Lausanne 13.12.1987, but d'Antognoni
RTS Sport - Publié le 11 septembre 2020

Si le passage de Giancarlo Antognoni n'a pas été une franche réussite sur un plan purement sportif, il a apporté sa renommée dans un pays peu habitué à voir évoluer des joueurs de ce calibre dans son championnat.

"Lors d'un camp d'entraînement en Corse, on devait aller jouer un match chez lui à Florence. Nous avons fait escale en Sardaigne. Il fallait voir le nombre de personnes qui sortaient dans la rue pour le toucher et le voir, c'était hallucinant. Il y avait 30'000 personnes au stade à Florence juste pour le voir. C'était un dieu là-bas", raconte Pierre-Albert Tachet. Un souvenir parmi tant d'autres qui illustre parfaitement l'aura du "Michel-Ange" du Calcio.

Chapitre 3
Karl-Heinz Rummenigge: Servette tient enfin sa star

Keystone - ANGELO GUARINO

Après avoir manqué de peu de faire venir Michel Platini la saison précédente, le Servette FC du président Carlo Lavizzari tient enfin sa star avec Karl-Heinz Rummenigge. Et le palmarès de l'Allemand a de quoi éblouir: vainqueur de la Coupe d'Europe des clubs champions en 1975 et 1976, champion d’Allemagne 1980 et 1981, Ballon d’or en 1980 et 1981, vice-champion du monde en 1982 et 1986 et vainqueur de l’Euro 1980.

Rummenigge a inscrit 34 buts sous le maillot servettien. [Keystone]
Rummenigge a inscrit 34 buts sous le maillot servettien. [Keystone]

Pourtant, la venue de l'ancien attaquant du Bayern Munich fait naître quelques réticences. "Kalle", 32 ans lors de son arrivée, sort en effet d'une dernière saison à l'Inter Milan gâchée par les blessures et certains craignent qu'il ne vienne en pré-retraite sur les bords du Léman. On parle alors, sans doute exagérément, d'un salaire de 100'000 francs par mois.

L'intéressé mettra tout de suite les choses au point. "Je tiens à préciser que je ne viens pas en Suisse pour l’argent. Simplement, j’ai encore envie de remporter des succès sportifs", explique-t-il alors dans les colonnes du "Matin". Et l'ex-international allemand (95 sélections, 45 buts) joint la parole aux actes. Il inscrit 34 buts en 64 matches disputés sous le maillot grenat et amène le club à la 2e place du championnat 1987-1988.

>> Interview de Rummenigge dans l'émission Actualités Sportives (17 avril 1988) :

Foot: interview de Rummenigge dans Actualités Sportives le 17.04.1988
RTS Sport - Publié le 11 septembre 2020

"C'était déjà un plaisir de le rencontrer le premier jour. C'est un Monsieur, qui avait joué plusieurs Coupes du monde, qui s'est retrouvé avec nous, se rappelle José Sinval. "Kalle" était quelqu'un d'impressionnant avec les jeunes, avec les anciens, avec tout le monde." C'était un leader dans le groupe. Pour nous, c'était fantastique de jouer avec lui."

"J'avais 19-20 ans à l'époque, poursuit l'attaquant brésilien, qui a évolué au SFC de 1986 à 1995. Le premier entraînement, j'étais impressionné de me retrouver avec lui. Il était très solide physiquement, il ne bougeait pas lors des contacts. J'aurais pris les mêmes coups, j'aurais dégagé (rires)!"

>> But de Rummenigge contre YB (4 avril 1988) :

Foot: YB-Servette 04.04.1988, but de Rummenigge
RTS Sport - Publié le 11 septembre 2020

Pas facile pourtant de voir arriver un concurrent de calibre international à une époque où seuls deux étrangers pouvaient figurer sur la feuille de match. "Le directeur sportif de Servette Marc Schnyder m'avait parlé de ce transfert avant que Rummenigge arrive. On devait jouer avec deux étrangers et on pouvait en avoir trois dans le groupe. Il y avait John Eriksen et moi, puis Rummenigge est arrivé. J'ai dit 'pas de soucis, le meilleur jouera'. C'était à moi de me battre".

Une attitude qui a permis au jeune Brésilien de devenir proche de Rummenigge. "J'étais assis à côté de lui dans les vestiaires et on discutait en italien. Il avait sa famille avec lui, plusieurs fois je l'ai ramené à Vésenaz où il habitait car au début il ne connaissait pas la région."

>> Dernier match de Rummenigge (14 juin 1989) :

Foot: dernier match de Rummenigge avec Servette
RTS Sport - Publié le 11 septembre 2020

Star internationale avant son arrivée à Genève, Karl-Heinz Rummenigge a fait l'unanimité sur le terrain, mais aussi en dehors. "Il rigolait beaucoup avec nous, il faisait pas mal de blagues. C'était facile de le côtoyer. C'était quelqu'un de formidable", raconte José Sinval.

"J'aurais aimé jouer plus longtemps avec lui. C'est pas le mec qui faisait sa star. Il s'est toujours donné à l'entraînement. Dès qu'il pouvait aider un coéquipier en dehors du terrain, il le faisait avec plaisir. Pour moi il ressemblait plus à un Sud-Américain qu'à un Allemand car il aimait le contact avec les gens et rigoler."

Chapitre 4
Néstor Clausen: le champion du monde argentin aux origines valaisannes

Keystone - STR

Trois ans après Giancarlo Antognoni à Lausanne, un autre champion du monde pose ses valises en Suisse. Néstor Clausen rejoint le FC Sion à l'été 1989. Sacré en 1986 avec l'Argentine de Diego Maradona, il choisit la Suisse et le Valais pour sa première expérience à l'étranger. Un choix pas tout à fait anodin puisque le défenseur a des origines haut-valaisannes.

"Après le Mondial 1986, j'ai reçu plusieurs messages du FC Sion mais je n'ai jamais répondu car je ne comprenais pas, ils étaient parfois en français, parfois en allemand, raconte Néstor Clausen. En 1988, le club m'a téléphoné pour discuter d'un transfert. On a attendu la fin du championnat d'Argentine et on a rapidement trouvé un accord pour que je rejoigne le club en 1989. J'ai été rapidement naturalisé car mon arrière-grand-père était né à Ernen."

>> Retour aux origines pour Néstor Clausen (1992) :

Foot: Nestor Clausen, l'Argentin aux origines valaisannes
RTS Sport - Publié le 11 septembre 2020

"J'avais joué 9 ans à Independiente, j'avais envie de changer d'air et Sion m'a offert cette opportunité, explique l'ex-international argentin (26 sélections). Pour moi, c'était merveilleux. A l'époque, il n'y avait pas beaucoup d'offres pour aller à l'étranger. Les joueurs argentins ont commencé à vraiment s'exporter dans les années 90."

Arrivé en Valais alors qu'il n'a pas encore 27 ans, Clausen s'est rapidement adapté à son nouvel environnement. "C'est facile dans un pays comme la Suisse. J'ai eu un professeur de français pendant deux mois, mais j'ai appris plus vite dans la rue, en parlant avec les gens. J'ai eu un très bon contact avec les autres joueurs de l'équipe, notamment Blaise Piffaretti et François Rey. J'en garde de très bons souvenirs", confie-t-il.

Néstor Clausen a porté le maillot du FC Sion durant cinq saisons. [KEYSTONE - Keystone]
Néstor Clausen a porté le maillot du FC Sion durant cinq saisons. [KEYSTONE - Keystone]

Fort de son prestigieux palmarès qui compte, en plus de la Coupe du monde, deux titres de champion d'Argentine, une Copa Libertadores et une Coupe intercontinentale, Néstor Clausen va remplir un peu plus son armoire à trophées du côté de Tourbillon.

"Sion n'avait encore jamais gagné le championnat. Je disais toujours au président Luisier qu'avec un entraîneur argentin, on serait champion chaque année, se rappelle le natif d'Arrufo. Lors de ma première saison en 1989-1990 avec Yves Débonnaire, on était 2es du championnat et on avait passé le 1er tour de la Coupe UEFA. J'ai néanmoins demandé un entretien avec le président Luisier pour lui dire que, malgré les résultats, l'équipe ne pouvait pas continuer comme ça. Mais le président m'a répondu que tout allait très bien."

Néstor Clausen est ensuite revenu au FC Sion dans le rôle d'entraîneur. [Keystone - RENE RITLER]
Néstor Clausen est ensuite revenu au FC Sion dans le rôle d'entraîneur. [Keystone - RENE RITLER]

"Au fil des semaines, l'équipe a perdu des places au classement. Un jour, Monsieur Luisier est venu dans le vestiaire et a commencé à nous engueuler. Je lui ai répondu que c'était aussi de sa faute car je l'avais prévenu. Il s'est fâché et m'a convoqué dans son bureau quelques heures plus tard. Alors que je m'attendais à être viré, il m'a offert un contrat de 4 ans et m'a dit que je devais amener l'entraîneur argentin qui devait nous faire finir champion chaque année. J'ai accepté et j'ai pris contact avec Enzo Trossero, qui est resté deux ans à Sion. Avec lui, on gagné la Coupe en 1991 et le championnat en 1992 pour la première fois."

Au finale, Néstor Clausen a porté le maillot du FC Sion durant cinq saisons avant de repartir en Argentine, où il a pris sa retraite de joueur en 1998.