Ils n'ont "qu'une" seule sélection en équipe nationale. Entre bonheur, fierté et frustration, des joueurs racontent

Grand Format

Keystone - Walter Bieri

Introduction

Ces 30 dernières années, près de 30 joueurs suisses n'ont goûté qu'à une seule reprise à la sélection nationale, ceci alors que l'on pouvait penser que certains d'entre eux s'y installeraient pour longtemps. Preuve en est que la sélection, le Graal pour un footballeur helvétique, n'est pas fermée, mais qu'y faire son trou n'est pas chose aisée. Alain Rochat, Matias Vitkieviez et Giorgio Contini racontent leur unique expérience et parlent de "l'après", qu'ils ont vécu différemment. Des témoignages auxquels s'ajoutent ceux de Sébastien Roth - souvent appelé mais jamais aligné - et de Michel Pont, ancien entraîneur-assistant de l'équipe de Suisse.

Chapitre 1
Alain Rochat, une unique expédition aux Îles Féroé

Keystone - WALTER BIERI

Une arrivée en Super League (alors LNA) à 17 ans, puis 42 sélections avec les M21, dont quelques-unes avec le brassard de capitaine; c'est peu dire que dès ses premiers pas chez les pros, Alain Rochat présentait le profil pour devenir un international en puissance, un joueur appelé et rappelé sous les drapeaux. Sauf que 20 ans après sa découverte de l'élite helvétique, force est de reconnaître que le Vaudois est resté sur sa faim. Aussi incroyable cela puisse paraître, il ne compte en effet aucune autre seule sélection que celle du 4 juin 2005!

>> Entretien avec Alain Rochat pour le terme de sa carrière (2017) :

Football: entretien avec Alain Rochat, capitaine du Lausanne-Sport
Sport dimanche - Publié le 20 août 2017

C'était aux Îles Féroé, durant la campagne éliminatoire en vue de la Coupe du monde allemande agendée douze mois plus tard. Une cape qui semblait pourtant ouvrir de jolies perspectives au défenseur central alors à YB et qui avait déjà fait banquette l'automne précédent pour un déplacement catastrophe en Russie (défaite 4-1). "J'avais alors été pris parce que j'étais déjà sur place avec les M21, relate l'intéressé, mais là, aux Féroé, c'était autre chose, un vrai appel à défendre le drapeau. Pour moi qui avais été convoqué dans toutes les classes d'âge, l'équipe "A" représentait certes la dernière marche, mais aussi une sorte de suite logique."

Si logique que le défenseur central avait été titularisé par Köbi Kuhn. Il avait même disputé les nonante minutes aux côtés de Patrick Müller. La Suisse s'était imposée (3-1), mais plus jamais le train n'est repassé devant la porte du gamin de Grandson. "Le contexte de cette rencontre était assez particulier, se remémore Rochat, car un déplacement à Torshavn n'est jamais agréable. Ce n'était pas non plus un match de prestige, mais il fallait être concentré, solide. Pour une 1re, je crois que je ne m'en étais pas trop mal sorti."

Alain Rochat (à gauche) bloque ici son compatriote Daniel Gygax lors d'un Rennes-Lille de Ligue 1. [AFP - PHILIPPE HUGUEN]

Au retour en Suisse, le désormais retraité ne cache pas s'être dit que "c'était bon, j'étais dans le groupe". La suite tordra le cou à cette pensée. Peut-être à cause d'un mauvais choix de carrière. "L'été suivant ma sélection, je suis parti à Rennes, où j'ai raté mes deux premiers matches puis j'ai été envoyé en CFA. Loin du plus haut niveau, je ne pouvais naturellement plus prétendre à l'équipe nationale. Mais lorsque j'ai signé au FC Zurich en 2006, retrouver la sélection était un vrai but. J'y croyais."

Il n'était pas le seul. Et cette idée a vite pris du volume sachant qu'au fil des saisons qui ont suivi, Rochat s'est transformé en pilier du FCZ. Il a gagné deux titres avec le club du Letzigrund, puis vécu la Ligue des champions en 2009. "J'ai eu de grandes attentes à chaque fois que nous avons réalisé de belles choses avec Zurich, rappelle aujourd'hui le Vaudois. J'étais titulaire, nous jouions les premiers rôles. Avec la campagne européenne, je croyais vraiment que j'allais redevenir international."

Sauf que le destin n'a pas été tendre avec l'ancien capitaine des M21. Lorsque les protégés de Bernard Challandes réalisent l'exploit de battre l'AC Milan sur sa pelouse, Rochat est en effet aligné sur le côté de la défense dessinée par le technicien neuchâtelois, Heinz Barmettler prenant sa place dans l'axe. Quelques semaines plus tard lorsque tombe la sélection d'Ottmar Hitzfeld pour affronter la Norvège à Genève, c'est ce... même Barmettler qui reçoit sa 1re convocation en tant que défenseur central, et non le Vaudois, qui flambait pourtant depuis des mois à ce poste!

Alain Rochat, ici en Ligue des champions contre l'AC Milan d'Ignazio Abate. [AFP - Damien Meyer]

"Cela alors que Heinz était d'ordinaire remplaçant en Super League, lâche désormais dans un demi-sourire le brave Alain. Ce jour-là, j'ai compris que c'était fini, car honnêtement j'aurais dû figurer dans cette sélection de fin 2009. Je pense que le coach n'aimait pas mon profil. Je me suis alors dit que je devais arrêter de réfléchir et de raisonner par rapport à la "Nati". Je ne devais plus me focaliser là-dessus." Ironie de l'histoire, Heinz Barmettler n'a, lui non plus, plus jamais été retenu au sortir de cette rencontre amicale. Le Zurichois s'est même "reconverti" en international sous le maillot de la République dominicaine!

Alain Rochat n'a pour sa part pas endossé le tricot d'une autre sélection, mais il a changé de pays. En 2011, lui et sa famille ont en effet pris la direction du Canada. Pour vivre autre chose (avec les Vancouver Whitecaps) et peut-être aussi, inconsciemment, pour "couper" avec ce rêve évanoui. Mais aujourd'hui, le Vaudois dit n'avoir aucun regret: "Honnêtement, j'ai fait tout ce que je pouvais pour me donner une chance de retrouver la sélection. Je ne pouvais pas faire plus. Mais je sais, au moins, que j'ai une cape et que jamais on ne pourra me l'enlever, celle-ci. Même si c'était aux Féroé, j'en suis fier."

Chapitre 2
Matias Vitkieviez, un conte de fées face à l'Argentine de Messi

freshfocus - Fresh Focus

Des étoiles, c'est ce que l'on retrouve encore dans les yeux de Matias Vitkieviez, plus de 8 ans après sa seule et unique sélection. Le Genevois a pleinement "bouffé" dans sa courte vie sous le maillot... blanc à croix blanche et mesure la chance qui a été la sienne de vivre ce moment. Encore plus en sachant d'où il venait et quel adversaire il a eu la chance d'affronter ce fameux 29 février 2012, six mois seulement après sa découverte de la Super League: l'Argentine de Lionel Messi. "Pour moi, né et élevé en Uruguay, mais également fan du FC Barcelone ainsi que du Ballon d'or, c'était le top", relève "Mati".

Âgé de 26 ans au moment de son incursion en équipe de Suisse, Vitkieviez avait rêvé ce qu'il lui est arrivé. Mieux encore, il l'avait annoncé: "Avant la convocation de février 2012, j'étais effectivement en vacances de Noël avec Tibert (ndlr: Pont). On avait traversé l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay. Je sortais d'un excellent 1er tour avec Servette et je savais qu'YB s'intéressait à moi. Alors j'ai dit à "Tib": 'Tu verras, je vais signer à Berne, réussir à m'y imposer, puis être sélectionné en équipe de Suisse pour affronter Messi.'..." Inutile de dire que, sur le moment, son meilleur pote a pouffé.

Mati Vitkieviez, au stage d'avant-match. [Keystone - Alessandro Della Valle]

Deux mois plus tard pourtant, ce qui n'était qu'un songe en hiver a bel et bien tourné au conte de fées. Pas par hasard toutefois. "Arrivé à Young Boys, j'ai cartonné, se souvient le natif de Montevideo. J'avais signé un doublé contre... Servette (3-1), obtenu un penalty contre Sion (1-0) et encore réalisé un gros match contre Bâle (2-2). Une semaine plus tard, j'étais appelé par l'ASF. Tout s'est donc passé comme je l'imaginais, mais sans doute davantage parce que d'avoir rêvé tout cela, je l'avais visualisé. J'avais cette foi et cette détermination en moi."

>> Portrait de Matias Vitkieviez après sa seule sélection (2012) :

Football / Super League : portrait de Matias Vitkieviez, néo-international suisse
Sport dimanche - Publié le 4 mars 2012

Reste que malgré son mental et ses convictions, l'attaquant ne disposait d'aucune assurance. Sur le moment, il n'a d'ailleurs pas tout de suite compris qu'il était passé dans un autre monde. "Je sors de l'entraînement et je vois que j'ai beaucoup de messages sur mon portable, décrit-il aujourd'hui. Beaucoup trop de messages même. et je ne comprends pas pourquoi. Puis je consulte les applications de presse et me rends compte que oui, je suis international. Cela a constitué une fierté énorme, car on m'avait retenu pour défendre le pays. J'ai d'ailleurs immédiatement reçu mon sac dans le vestiaire et un ordre de marche, comme à l'armée."

Bref, un véritable appel sous les drapeaux, mais pas en gris-vert. Au contraire, c'est devenu tout rose pour Vitkieviez. "Je parle de fierté, mais pour être franc, c'était encore plus fort que cela, insiste-t-il 8 ans plus tard. Je suis né et j'ai grandi en Uruguay, mais je suis originaire de Saint-Blaise, et j'ai toujours eu un lien très fort avec la Suisse, le pays de mon grand-père. Ma trajectoire, celle d'un ado de Montevideo arrivé à Genève en pleine adolescence et alors considéré dans un premier temps comme "pas assez doué" pour percer à Servette ou à Etoile Carouge, a fait que mon bonheur de devenir international helvétique était certainement encore plus dingue que pour un mec ayant fait toutes ses classes dans notre pays."

Matias Vitkieviez. [freshfocus - Fresh Focus]

Mais pour valider cette convocation, encore fallait-il que "Mati" entre en jeu. Ce qui a pris du temps. "Pendant le match, je voulais entrer tout de suite, j'avais du feu dans les jambes, relève le Genevois. Mais au fil de la soirée, j'ai vu le temps passer, les secondes puis les minutes s'égréner. Je pensais que je n'allais jamais entrer sur le terrain." Puis vient la 86e minute; Derdiyok se blesse, Hitzfeld appelle son No 17 pour le lancer dans le bain. "Là, j'étais tellement chaud bouillant que je n'ai pas eu besoin de m'échauffer, se marre l'intéressé. Je suis arrivé sur la pelouse, j'ai dit à Reto Ziegler de me passer tous les ballons."

Bien qu'il ait tenté de se dépatouiller dans la défense argentine à 1-1, Vitkieviez a vu la Suisse exploser en fin de rencontre (1-3), François Affolter ayant tenté de dribbler Agüero, Higuain et Messi, puis perdu le ballon sur le 1-2, avant de "faucher" le Ballon d'or pour provoquer un penalty 1-3. Ces "ratés" du défenseur central - pourtant excellent durant 88 minutes - convoquent le seul regret du Genevois lié à cette sélection. "Oui, j'ai vraiment été saoulé de perdre, même si ce n'était qu'une partie amicale", dit-il.

>> Matias Vitkieviez revient sur sa seule sélection (vidéo de septembre 2020) :

Matias Vitkieviez parle de sa sélection
RTS Sport - Publié le 23 septembre 2020

En regardant dans le rétroviseur, Matias Vitkieviez, auquel le capitaine d'alors Gökhan Inler a offert le fanion du match, ne veut toutefois retenir que le positif de cette semaine en immersion: "Je suis devenu international suisse, c'est comme si j'avais touché le sommet. Tu ne peux pas aller plus haut. J'avais été accueilli à bras ouverts par les autres, notamment par Stephan Lichtsteiner, un vrai bon gars. Et je me souviens du moment où j'ai enfilé le maillot dans le vestiaire. J'ai regardé autour de moi et je me suis senti "transporté". C'était énorme!"

Peu importe, finalement, qu'il n'y ait plus eu d'appels internationaux derrière. "Très franchement, je savais que ce serait sans doute ma seule sélection et je m'étais fait à cette idée, relativise celui qui évolue encore à Etoile Carouge. Je me suis bien sûr battu pour en revivre, mais le match suivant avait lieu trois mois plus tard. Il aurait fallu que je reste sur mon nuage et qu'YB gagne le titre pour retrouver le cadre... En réalité, la seule petite frustration que je peux ressentir, c'est de n'avoir été convoqué que pour une semaine à une seule rencontre."

Chapitre 3
Giorgio Contini, une apparition venue de nulle part

Keystone - Fabrice Coffrini

Il ne nous en voudra certainement pas de se voir considéré comme l'un des internationaux suisses les plus "curieux" de l'histoire. Il faut en effet reconnaître qu'en février 2001, au moment où il est convoqué pour la 1re fois sous les drapeaux pour un match amical Pologne-Suisse, Giorgio Contini - 27 ans à l'époque - avait débarqué à la manière d'un cheveu sur la soupe en sélection helvétique. La Nati vivait alors une ère difficile, avec une ASF à hue et à dia et un sélectionneur, Enzo Trossero, peu vraiment au fait des affaires de la Ligue nationale A. Après une défaite contre la Russie et un pénible match nul en Slovénie malgré un doublé de Turkyilmaz, la qualification pour la Coupe du monde 2002 n'est pas hypothéquée, mais les affaires sont tout de même mal embarquées.

Quelques semaines avant sa sélection, Giorgio Contini tente de passer Marco Pascolo, alors gardien du FC Zurich. [Keystone - Regina Khuene]

Attaquant d'un FC Saint-Gall champion de Suisse en titre, Contini n'est à l'époque pas titulaire à l'Espenmoos. Charles Amoah, meilleur buteur du championnat la saison précédente, et Ionel Gane sont chargés de l'animation offensive des "Brodeurs". Tous deux ne sont pas du genre à tricoter dans les 16 mètres adverses. Lui, le Zurichois révélé en LNB (Winterthour et Baden) et assez en verve lors de l'exercice 1999/2000, grignote du temps de jeu çà et là, quelques apparitions dans les derniers quarts d'heure, mais n'est plus une priorité dans le système de Marcel Koller.

Autant dire que lorsque son nom apparaît dans la liste établie par Enzo Trossero pour un camp à Chypre, la surprise est totale. Les suiveurs de la Nati tombent des nues. Que vient donc faire ce modeste attaquant dans un groupe au sein duquel sont retenus des "noms" comme Marco Pascolo, Stéphane Henchoz, Sébastien Fournier, Fabio Celestini, Alexandre Comisetti, Hakan Yakin ou encore Stéphane Chapuisat et Kubilay Turkyilmaz? Près de 20 ans plus tard, Giorgio Contini reconnaît s'être aussi posé des questions: "Je ne m'attendais pas du tout à être appelé, confie-t-il. Je savais qu'il y avait quelques soucis d'attaquants, mais c'était étonnant que mon nom figure dans la sélection. Sans doute devais-je celle-ci à ma bonne saison précédente et au fait que Saint-Gall tournait bien."

Sur le moment, le petit avant-centre n'a cure de la situation. Petite crête sur le crâne, bouc soigneusement taillé et boucles d'oreille, il débarque au rassemblement avec la ferme intention de démontrer qu'il vaut bien mieux que sa réputation. Au moment d'endosser le polo bleu officiel de l'équipe nationale, celui qui, depuis, est devenu entraîneur en Super League ne se fait cependant pas trop d'illusions. "La mentalité dans l'équipe n'était pas très bonne, se souvient-il. Les gars n'étaient pas très motivés d'aller disputer un amical contre la Pologne à Chypre; il n'y avait pas de spectateurs, que des journalistes. C'était spécial, mais au moins je peux dire que j'ai joué une fois avec l'équipe nationale."

Cinquante-quatre minutes, en tout et pour tout, aux côtés d'un certain Stéphane Chapuisat. "Mais je crois n'avoir touché que deux ballons, sourit-il aujourd'hui. Ce n'est évidemment pas ce que je souhaitais." Pour "couronner" le tout, la Suisse se noie à Larnaca, où les Polonais, emmenés par leur attaquant d'origine nigériane Emmanuel Olisadebe, en "plantent" quatre dans les filets de Marco Pascolo (2-0 au moment de la sortie de Contini). "On m'avait dit que les attaquants convoqués auraient tous l'occasion de se montrer, mais j'ai fait le pire possible", concède l'actuel coach de Lausanne.

>> Giorgio Contini se souvient de sa sélection (septembre 2020) :

Foot: Giorgio Contini (1 sélection en équipe de Suisse)
RTS Sport - Publié le 18 septembre 2020

Aujourd'hui ne subsiste toutefois qu'un mot à l'heure d'évoquer cette expérience: fierté. Oui, Giorgio Contini ne cache pas se retourner sur ces quelques jours internationaux avec un bonheur incommensurable: "C'était une vraie fierté d'entrer sur le terrain avec ce maillot. La sélection récompensait mon parcours, qui est celui d'un joueur qui n'a jamais été le plus talentueux du pays, mais j'étais un travailleur, un gars discipliné. C'est ce qui m'a permis de jouer en LNA, d'y marquer des buts, d'y gagner un titre, puis d'être appelé par le sélectionneur. Cela prouve aussi que si tu as la bonne attitude, tu peux y arriver."

Italo-suisse, le Zurichois ajoute avoir eu des frissons en entonnant l'hymne helvétique sur la pelouse chypriote - "même si l'hymne italien est un peu plus entraînant", s'esclaffe-t-il. "Représenter ton pays, c'est quelque chose de top", ajoute Contini. Avant d'ajouter, dans un immense éclat de rire: "En réalité, j'ai eu deux sélections: la première et la dernière."

Chapitre 4
Sébastien Roth: "J'ai vécu un Euro. Et ça, on ne pourra jamais me l'enlever!"

Reuters - Reuters Photographer

Des convocations en équipe nationale, il en a eu plus d'une dizaine, entre 2004 et 2005. Mais jamais il n'est entré en jeu! De fait, Sébastien Roth ne compte théoriquement pas la moindre sélection en équipe de Suisse à son actif. Une situation paradoxale, qui le devient d'autant plus quand on sait que le "Jurassien mais Genevois d'adoption" (comme il se définit lui-même) a vécu l'Euro 2004 de l'intérieur!

Appelé à la dernière minute pour remplacer Fabrice Borer blessé, "Tonton" s'était en effet rendu au Portugal pour le grand retour de la Nati sur la scène internationale. Seize ans plus tard, il évoque ces instants avec un plaisir non dissimulé. "Pour moi aussi, c'était une grande fierté que d'être là, souffle celui qui gardait alors les cages du Servette FC. Comment, d'ailleurs, vivre cela autrement alors que des milliers de personnes auraient sans doute aimé être à ma place?"

>> Portrait de Sébastien Roth (2005) :

Football: portrait de Sébastien Roth, ex-gardien de Servette. Bientôt un nouveau club?
Sport dimanche - Publié le 23 octobre 2005

Cette question, Roth l'a toujours gardée enfouie au fond de lui-même afin de vivre chaque rendez-vous international avec le sourire. Jamais il ne s'est plaint de ne pas goûter au gazon avec un maillot de l'équipe de Suisse sur les épaules. "Mais peut-être aussi que pour moi qui étais gardien, c'était plus simple à comprendre et à assimiler que pour un joueur de champ, relève-t-il. On sait très vite, quand on vient comme No 2 ou No 3, que l'on ne devrait pas jouer. Ca fait partie du jeu et tu acceptes ce rôle..."

Force est toutefois de reconnaître que Sébastien Roth a sans doute plus de facilité à revenir sur son parcours avec la Nati car, même sans jamais jouer, il a eu la chance immense de prendre part à un grand événement, chose si rare pour un footballeur suisse. "J'ai effectivement pu vivre un Euro, j'y étais et ça on ne pourra jamais me l'enlever, expose-t-il. Je suis bien conscient de tout cela. Conscient, aussi, d'avoir côtoyé des joueurs d'exception, d'avoir pu tutoyer un niveau de fou. Songez que dans l'effectif au Portugal, il y avait Chapuisat, Müller, Vogel, Henchoz, les frères Yakin ou encore Jörg Stiel, un mec avec un charisme énorme."

Sébastien Roth, aux côtés de Pascal Zuberbühler à l'Euro 2004. [Keystone - Walter Bieri]

Au milieu de tout cela, le natif de Boncourt ne s'est jamais senti différent. Parce que la sélection d'alors était une équipe, une vraie, sur le terrain comme en dehors. "Franchement, à peine arrivé, j'ai été intégré comme si j'étais avec mes coéquipiers depuis toujours, se souvient-il. Nous avions une vie en communauté géniale. Il n'y avait aucune différence entre Romands et Alémaniques. J'avais l'impression d'être dans un vrai groupe de potes."

Après l'Euro 2004, Roth a entamé les éliminatoires de la Coupe du monde 2006. Mais faute de réussite en club et à cause de la faillite du Servette FC, son aventure s'est arrêtée en 2005. Sans regret, vraiment? "Non, aucun", confie celui qui a pourtant été retenu, aligné (et même parfois capitaine) dans toutes les classes d'âge auparavant. Avant de poursuivre dans un discours empreint d'humilité: "On peut toujours refaire l'histoire, mais cela n'en vaut pas vraiment la peine. Il faut aussi savoir être réaliste, savoir d'où l'on vient, et garder le positif de ce que l'on vit et de ce que l'on a vécu."

En l'occurrence, de belles choses et un Euro. Comme dirait Souchon, c'est déjà ça.

Chapitre 5
"Il vaut mieux n'avoir aucune sélection qu'une sélection aux Féroé"

Keystone - Salvatore Di Nolfi

Parmi les meilleurs joueurs suisses à n'avoir jamais goûté au tricot national figure notamment Raphaël Nuzzolo. L'attaquant de Neuchâtel Xamax, qui a brillé à Young Boys, aurait certainement mérité d'avoir sa chance, un jour, au plus haut niveau international. Malgré ses capes chez les jeunes, l'homme n'a jamais eu l'opportunité d'au moins imiter son pote Alain Rochat, convoqué aux Iles Féroé en juin 2005.

Même s'il joue encore, "Nuzz" sait bien que le train lui est passé sous le nez. Il dit n'en garder aucune amertume. Mieux, il en plaisante même, lançant au passage dans un grand éclat de rire à l'adresse de Rochat qu'il vaut peut-être "mieux n'avoir aucune sélection qu'une sélection aux Ìles Féroé."

>> Alain Rochat et Raphaël Nuzzolo évoquent la sélection du Vaudois (vidéo de 2020) :

Alain Rochat évoque sa sélection en compagnie de Raphaël Nuzzolo
RTS Sport - Publié le 23 septembre 2020

Une réflexion qui pourrait poser question, mais que tous nos interlocuteurs balaient d'un revers de la main, prétextant en choeur que même une seule cape fait basculer dans un autre monde. "Car même en n'ayant joué qu'aux Féroé, je resterai pour toujours un international suisse", souligne Alain Rochat. "Quel que soit l'endroit ou l'adversaire, une fois qu'on est international, on l'est pour toujours", retiennent Michel Pont et Matias Vitkieviez.

Beat Rieder, sous le maillot d'Etoile Carouge en 1977. [KEYSTONE - Keystone]

Et l'ancien sélectionneur adjoint de l'équipe nationale de revenir sur une anecdote: "Lorsque j'évoluais à Etoile Carouge en 1977, nous étions montés dans l'élite et, dans l'enchaînement, l'un de nos joueurs, Beat Rieder, avait été appelé en équipe de Suisse, pour aller jouer contre l'Angleterre à Wembley (0-0), qui plus est! Il n'a certes plus jamais été retenu ensuite, mais même plus de quarante ans plus tard, on l'appelle toujours "l'international". On a encore fait une bouffe récemment et à chaque fois on finit par lui parler de cela."

Curiosité de ces dernières années, parmi les joueurs ayant imité Beat Rieder avec une seule cape au compteur, figurent plusieurs hommes devenus des techniciens renommés: Giorgio Contini bien sûr, mais aussi Christian Gross, Joël Magnin, René Weiler ou encore Reto Gertschen.

Voici la liste des joueurs qui, depuis 1990, n'ont obtenu qu'une seule sélection en équipe nationale suisse: Heinz Barmettler, Gaetano Berardi, Sandro Burki, Davide Chiumiento, Eray Cömert, Giorgio Contini, Beg Ferati, Reto Gertschen, Didier Gigon, Thomas Häberli, Florent Hadergjonaj, Izet Hajrovic, Eldin Jakupovic, Léo Lacroix, Johnny Leoni, Joël Magnin, Dimitri Oberlin, Noah Okafor, Alain Rochat, Jonathan Rossini, Vincent Ruefli, Michel Sauthier, Matias Vitkieviez, René Weiler et Adrian Winter.

Chapitre 6
Michel Pont: "C'est parfois une question de chance, de circonstances..."

Keystone - Peter Schneider

Sélectionneur-adjoint de l'équipe nationale de 2001 à 2014, d'abord aux côtés de Köbi Kuhn puis d'Ottmar Hitzfeld, Michel Pont a contribué à lancer de nombreux joueurs sous le maillot rouge à croix blanche. Il se souvient de ceux qui en sont devenus des habitués, mais aussi des autres, qui n'ont pas pu s'inscrire sur la longueur au sein du projet. Il peut surtout raconter comment fonctionnait le staff de l'époque et partager son expérience du vécu international. Avec un constat, d'abord: "Dresser des sélections reste relativement simple pour un entraîneur helvétique. Le territoire est petit, on connaît bien les joueurs et les encadrements des clubs, on peut se déplacer facilement pour superviser les joueurs qui nous intéressent. Le plus important est que tu ne peux et ne dois pas t'interdire de donner sa chance à un élément qui marche bien en club."

Michel Pont a vécu des moments inoubliables avec Köbi Kuhn, un sélectionneur qui a laissé une vraie trace dans l'histoire du foot suisse. [Keystone - Eddy Risch]

Tout au long de son mandat, le Genevois a d'ailleurs pu mesurer au plus près l'importance de la collaboration avec les clubs. "Le relationnel avec eux est effectivement très important, confie-t-il. De notre côté, on regarde les différentes performances des joueurs sur un certain laps de temps, puis on s'appuie également sur les avis des techniciens qui les connaissent et des gens qui les entourent. Cela nous permet de nous faire une idée parfois plus précise sur le personnage, sur ses capacités physiques, sur son mental, sur son comportement, et de décider s'il faut le convoquer ou non."

Mais peut-on "sentir" qu'un joueur qui vient une 1re fois a davantage de chances qu'un autre de... ne pas revenir? "C'est une bonne question, sourit l'ex-entraîneur du FC Lugano, et je n'en ai pas la réponse. En revanche, on sait vite que, sauf catastrophe, d'autres seront là pour longtemps. Cela avait été le cas des éléments que nous avions lancés à Wembley, en juin 2011: Ricardo Rodriguez, Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka. Nous étions à un tournant de notre histoire, un changement de génération devait intervenir et nous avions alors saisi l'opportunité de cette rencontre en Angleterre pour lancer ces trois joueurs qui étaient très prometteurs."

>> Michel Pont revient sur sa carrière (2014) :

Football: Michel Pont revient sur l'actualité de l'équipe de Suisse et sur sa carrière d'entraîneur
Sport dimanche - Publié le 24 août 2014

Neuf ans plus tard, deux d'entre eux sont des piliers du groupe de Vladimir Petkovic. L'autre pourrait l'être, mais c'est une autre histoire. Celle des sélections, en revanche, a la curiosité de démontrer que certains éléments n'étant pas forcément destinés à devenir des internationaux ont fini par s'installer dans le groupe. Alors que d'autres que l'on croyait amenés "à durer" n'ont pas su faire leur place! "Cela peut être une question de contexte, de chance, de circonstances, d'adversaires, constate Michel Pont... Il suffit parfois d'être le bon homme au bon moment, de réaliser une bonne 1re, pour finir par être appelé régulièrement." En France, Bafétimbi Gomis (Euro 2008) ou Franck Ribéry deux ans plus tôt ont, dans ce registre, marqué les esprits.

Parmi les exemples les plus étonnants qu'il ait connus de son côté, le technicien du bout du lac cite volontiers le cas de Milaim Rama. Cet Albanais du Kosovo arrivé en Suisse à l'âge de 17 ans n'avait jamais imaginé qu'il évoluerait aux côtés de Stéphane Chapuisat et Hakan Yakin puis qu'il disputerait l'Euro 2004 avec son pays d'adoption. "Qui aurait en effet pu croire qu'un joueur comme lui puisse un jour rejoindre la Nati?, s'interroge l'ex-sélectionneur adjoint. Seulement, en étant très bon au sein d'un FC Thoune qui venait de monter dans l'élite, en obtenant sa naturalisation dans les temps, puis en profitant du fait qu'il y avait 2-3 blessés, il avait su saisir sa chance."

Milaim Rama, un international que personne ne soupçonnait de pouvoir le devenir. [Keystone - Eddy Risch]

L'état d'esprit de Rama, joueur gai, volontaire et motivé, avait du reste fait un bien fou au groupe helvétique. Un trait de caractère qui peut aussi s'avérer décisif pour qui veut gagner sa place, confirme Michel Pont: "Il est toujours bon d'amener de la fraîcheur, de l'insouciance, car cela permet de "régénérer" l'effectif, d'amener de la concurrence, de l'enthousiasme." Bien qu'il ne se souvienne pas de "néophytes" ayant débarqué avec le melon et de trop hautes prétentions, l'ancien bras droit de "Köbi" et de "Gottmar" insiste sur le bon état d'esprit que doivent afficher les nouveaux. "Un joueur appelé pour la 1re fois doit faire l'effort d'aller vers les autres, il doit avoir la bonne attitude, car il n'est jamais évident d'entrer dans un groupe qui vit ensemble depuis un certain temps."

A l'époque de Kuhn et Hitzfeld, Michel Pont endossait volontiers le rôle d'entremetteur. "C'était à moi de discuter avec le néophyte, de lui mettre un 'coup de bien-être', de faire en sorte qu'il ose montrer ce qu'il vaut, sur le terrain comme en dehors. Un mec qui aurait eu le melon, cela ne l'aurait clairement pas "fait" avec notre génération. Il ne faut en effet jamais oublier que tous les gars sont des compétiteurs, qu'ils ont des ego..."