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"Au FC Yverdon féminin, on mise sur la formation"

Linda Vialatte, 60 ans, dont 31 passés à la tête du FC Yverdon Féminin. [RTS]
Linda Vialatte, 60 ans, dont 31 passés à la tête du FC Yverdon Féminin. - [RTS]
La défaite subie mercredi contre le Servette FC Chênois conforte la place de lanterne rouge de LNA pour le FC Yverdon Féminin. Sa présidente Linda Vialatte, à la tête du club depuis 30 ans, en a vu d’autres. Elle raconte son combat quotidien en faveur du foot féminin.

Contrairement à l'entraîneur des Grenat Eric Severac, tout sourire (lire son interview ici), c'était plutôt la soupe à la grimace du côté vaudois après la défaite concédée dans les arrêts de jeu au stade Municipal. Linda Vialatte se montrait forcément déçue à l'interview, sans pour autant s'avouer vaincue. Abandonner est un verbe inconnu pour la légendaire présidente du FC Yverdon Féminin.

RTSsport.ch: Malgré une prestation solide, vous encaissez ce but dans les derniers instants du match... c'est difficile à accepter?

LINDA VIALATTE: Oui c'est cruel. Sur la seconde mi-temps, ma foi, elles ont été supérieures dans le jeu mais nous avons eu quelques occasions aussi. On aurait mérité le match nul mais c'est le foot, il faut l'accepter. Nous allons tout faire pour grappiller des points avant la trêve. Le championnat est encore loin d'être fini et soyez-en sûr, on va tout faire pour rester en Ligue nationale A!

RTSsport.ch: L’année passée, Yverdon est passé proche de la relégation. Cette saison s'annonce compliquée également. Comment expliquer ce moment difficile pour le club?

LINDA VIALATTE: Cela fait 12 ans que nous sommes en LNA. Depuis que le championnat a été réduit à 8 équipes, effectivement c'est plus dur pour nous. Il y a aussi le manque d'argent évidemment, on ne va pas recruter des joueuses étrangères par exemple. Mais ce problème existe finalement chez quasiment toutes les équipes.

RTSsport.ch: Est-ce aussi lié à la moyenne d'âge? Seule Audrey Riat, la capitaine yverdonnoise est âgée de plus de 30 ans...

LINDA VIALATTE: Oui c'est clair que le manque d'expérience joue un rôle. Une fille comme Audrey, au club depuis plus de 17 ans, c’est vraiment un pilier pour ses coéquipières plus jeunes (voir encadré). De notre côté, on mise beaucoup sur la formation et notre objectif est d'intégrer un maximum de juniors et qu'elles jouent avec la première équipe. Par contre, c'est plus difficile de faire venir des filles plus expérimentées.

RTSsport.ch: Sans compter qu’aucune joueuse n’est payée. Comment faites-vous pour attirer et garder des joueuses?

LINDA VIALATTE: C’est l’esprit du club! Je pense qu'on essaye de garder certaines valeurs tout en faisant notre possible pour que des jeunes talents puissent éclore. Après, il faut bien garder à l'esprit qu'il n'y a que deux Romandes qui jouent outre-Sarine: Thaïs Hurni (Young Boys, sic) et Sandrine Mauron (au FC Zürich Frauen). En dehors de ces deux "expatriées", toutes les meilleures joueuses romandes sont soit à Yverdon, soit à Servette.

La recette de la longévité d'Yverdon? Toujours y croire!

Linda Vialatte

RTSsport.ch: Dans cette optique, voulez-vous rester un club amateur ou le semi-professionnalisme vous tente?

LINDA VIALATTE: Non, pour l’instant on ne peut s’appuyer que sur Yverdon-Sport qui est un club de Promotion League. C'est notre allié "naturel", mais si l'on devait se tourner vers un club romand professionnel, ce serait Lausanne ou Neuchâtel Xamax. Toutefois, cela signifierait partir d'Yverdon, où nous bénéficions de super infrastructures. Et surtout, notre âme est ici, dans ce stade Municipal. Alors certes, des discussions ont déjà eu lieu avec le LS mais cela pose la question de notre identité...

RTSsport.ch: Seriez-vous prête à abandonner le nom de "FC Yverdon Féminin"?

LINDA VIALATTE: [Elle reste silencieuse, puis dans un sourire...] Je ne sais pas. Pour l'instant en tout cas pas. C’est notre club quand même ici à Yverdon!

Linda Vialatte lors de la victoire de la Coupe de Suisse par son club en 2011 contre Young Boys. [Ennio Leanza]

RTSsport.ch: Yverdon souffre du cliché "club de village" mais côtoie pourtant les grands noms du football masculin (FC Bâle, GC, Zurich, YB). Quelle est votre recette?

LINDA VIALATTE: Toujours y croire! Croire en nos filles, en nos jeunes et surtout au travail. Et l'autre secret, c'est la passion! On peut compter sur plein de gens qui nous aident: des bénévoles, un comité, des entraîneurs. D'ailleurs, nous avons la chance cette année de pouvoir compter sur Admir Bilibani pour coacher notre équipe. Qu'un ancien joueur de Super League s'intéresse au football féminin, c'est une sacrée reconnaissance pour nous.

RTSsport.ch: L'ASF a mis en place en 2006 un "label de club", via lequel il distribue de l’argent. Vous nous disiez en 2015 que ce label était "nécessaire" mais que l’ASF devait "aider davantage financièrement" les clubs féminins. Qu’en est-il aujourd’hui ?

LINDA VIALATTE: Il y a du mieux, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Ils ont mis un peu moins l'accent sur la formation pour investir davantage dans les clubs. Mais si on n’a pas d'argent pour la formation, comment on fait dans les clubs? C'est le serpent qui se mord la queue!

Il n'y a pas d'argent pour le foot féminin suisse, c'est un fait.

Linda Vialatte

De toute façon, l'argent que l'on reçoit nous permet tout juste de payer l'entraîneur principal. En Suisse, nous sommes dirigées par le département technique amateur et nous ne faisons pas partie de la Swiss Football League, il faut le rappeler! Donc chaque club se débrouille comme il peut.

RTSsport.ch: Les instances dirigeantes n'en font donc pas assez selon vous?

LINDA VIALATTE: Elles font ce qu'elles peuvent, avec des moyens très limités. Il n'y a pas d'argent pour le foot féminin suisse, c'est un fait. Et les problèmes rencontrés par les clubs sont identiques au sein de l'ASF. Comment défendre le foot féminin quand il n’y a pas de femme qui siège au comité directeur? On doit se battre tout le temps, c’est une lutte quotidienne.

Parallèlement, les gens se lassent du foot masculin de haut niveau avec la circulation de sommes d'argent qui sont indécentes de notre point de vue. Quelque part, je n'aimerais pas que l'on en arrive là pour le foot dames.

RTSsport.ch: Mais ne voyez-vous donc pas là une contradiction entre le fait de réclamer davantage de moyens financiers tout en élevant des valeurs comme la simplicité en porte-étendard du football féminin?

LINDA VIALATTE: Vendre notre âme à l’argent ou pas? Telle est la question. Mais sincèrement, je ne pense pas que je verrai ça de mon vivant [rires].

On doit se battre tout le temps, c’est une lutte quotidienne.

Linda Vialatte

RTSsport.ch: Pendant longtemps Yverdon a été le seul club romand de LNA. Comment voyez-vous l’arrivée du Servette FC Chênois?

LINDA VIALATTE: Pour nous, c’était une satisfaction de voir le SFCCF débarquer en LNA! On côtoie les gens de ce club depuis tant d’années.

RTSsport.ch: A côté de ces deux clubs en revanche, c'est le désert jusqu'en Première ligue. Comment expliquer cet écart avec la Suisse allemande ?

LINDA VIALATTE: Le nombre de joueuses, tout simplement! En Suisse romande, on a multiplié les équipes sans augmenter suffisamment la base. Les petites filles doivent jouer avec les garçons. Il devrait presque y avoir la parité dans ces équipes mais on en est loin! Car on est encore dans le cliché "le foot n'est pas pour les filles".

Malgré des progrès, le football reste encore un fief du machisme.

Linda Vialatte

RTSsport.ch: Vous êtes présidente du FC Yverdon féminin depuis 1987. Qu’est-ce qui a changé après 30 ans?

LINDA VIALATTE: Là aussi, c’est clairement le nombre de joueuses. On a connu une hausse spectaculaire dans les années 1990-2000, mais maintenant je dirais que l'on stagne un peu.

RTSsport.ch: Et sportivement?

LINDA VIALATTE: Les progrès sont fantastiques. Mais l'ASF doit comprendre que sans aides aux clubs en matière de structures et de formation, le foot féminin suisse va régresser.

RTSsport.ch: Les mentalités ont-elles évolué ou constatez-vous les mêmes bâtons dans les roues qu’il y a 30 ans?

LINDA VIALATTE: Honnêtement, je ne pensais pas voir ça quand j'ai commencé. A l’époque, on devait se cacher pour jouer au foot. Aujourd'hui, je suis très contente de voir des filles s'assumer en tant que footballeuses. L'évolution se fait petit à petit, mais on entend encore autour des pelouses - y compris à Yverdon - des remarques désobligeantes.

Le foot reste tout de même un fief du machisme. Alors que quand on va voir certains matches de 5e ligue chez les hommes, on ne peut pas vraiment dire que c'est la Champion's League... Nous avons fait notre chemin, prouvé que nous avions notre place aux côtés du club masculin d'Yverdon et je crois que, désormais, nous sommes très bien acceptées. C'est une belle victoire!

Propos recueillis par Stefan Renna

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Le foot féminin, un rôle social?

RTSsport.ch: Nous vivons une ère de légitimes revendications contre le sexisme, les violences faites aux femmes et les discriminations. Quel rôle social peut jouer le football féminin dans cette trajectoire vers l’égalité?

LINDA VIALATTE: Peut-être sommes-nous déjà le fer-de-lance de ce mouvement! Mais il y a encore beaucoup de barrières à franchir. D'un côté, on a des parents inquiets qui demandent à leur fille: "si tu veux faire du foot, ça veut dire que tu veux sortir avec des filles?". De l'autre, on a aussi des joueuses de l'équipe nationale qui s'affichent publiquement ensemble. C'est une bonne victoire d'étape dans la lutte contre le sexisme et l'homophobie grâce au football.

RTSsport.ch: La victoire sera totale quand on ne vous posera plus ce genre de questions en interview (y compris dans celle-ci)?

LINDA VIALATTE: Exactement! [rires] Vous poseriez jamais ces questions à un président de club masculin. Car un homme, ça fait du foot. Point.

"C'est frustrant!"

Malgré un gros match dans la défense centrale vaudoise, la capitaine d'Yverdon Audrey Riat n'est pas parvenue à éviter l'ouverture du score servettienne signée Sandy Mändly à la... 91e minute! "C'est frustrant, mais on a peut-être un peu trop reculé au fil du match. On a eu moins d'occasions que Servette Chênois, mais on s'est quand même montrées dangereuses plusieurs fois. Malheureusement, on ne marque pas beaucoup de buts et cela a encore été le cas ce soir."

De la frustration certes, mais Audrey Riat ne s'avoue pas vaincue pour autant: "Rien n'est perdu! On aurait bien voulu faire au moins match nul aujourd'hui, mais on a l'habitude d'être dans cette situation donc on ne va pas baisser les bras."

Lucide, la Vaudoise - au coeur de plusieurs duels épiques dans ce match avec la capitaine des Grenat Maeva Sarrasin - évoque le mercato hivernal pour tenter de renforcer sa jeune équipe: "Je pense qu'il faudra recruter à la pause, notamment 1 ou 2 filles d'expérience, car c'est ce qui a fait la différence par rapport à nos adversaires."

Le "derby de la peur" sourit aux Grenat

Occupant respectivement le dernier et l'avant-dernier rang au classement avant ce match, Vaudoises et Genevoises s'affrontaient avec le spectre de la relégation au-dessus de leur tête mercredi soir au Municipal d'Yverdon. La victoire des Grenat 1-0 leur permet de prendre 5 points d'avance sur les Vaudoises (avec un match en plus), qui restent elles scotchées à la dernière place. Les deux équipes doivent encore disputer 3 matches avant la trêve hivernale.

Classement (28.11)

1. Zurich 10/30
2. Lugano 11/24
3. Lucerne 11/19
4. YB 12/14
5. Bâle
11/13
6. Servette
11/11
7. GC 12/9
8. Yverdon 10/6